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CHASSINAT, Émile
Mis à jour le 22 juillet 2010
(5 mai 1868, Paris – 26 mai 1948, Saint-Germain-en-Laye)
Auteur(s) de la notice :
CAUVILLE Sylvie
Profession ou activité principale
Égyptologue, directeur de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire
Sujets d’étude
Langue égyptienne, publications de textes religieux, langue copte (archéologie, philologie, publications de manuscrits)
Carrière
1882 : ouvrier typographe à l’Imprimerie nationale
1888 : début des études en égyptologie à l’École pratique des hautes études
1894 : diplôme de l’École pratique des hautes études
1892-1895 : secrétaire de la Revue de l’histoire des religions
1894 : attaché au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre
1895 : membre de l’Institut français d’archéologie orientale
1897 : membre de la Commission internationale du catalogue scientifique du musée du Caire
1899-1912 : directeur de l’Institut français d’archéologie orientale
1903 : officier de l’Instruction publique
1909 : chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur
1927 : prix Maspero de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour la publication du Temple d’Edfou
1948 : membre de l’Institut d’Égypte
Étude critique
Né dans un milieu modeste, Émile Chassinat commença à travailler dès quatorze ans comme ouvrier à l’Imprimerie nationale. Pour améliorer ses compétences en matière de typographie, il commença l’apprentissage des langues anciennes en suivant les cours de Gaston Maspero à l’École pratique des hautes études. Ce dernier lui conseilla de passer le baccalauréat et de s’initier aux langues classiques. Parallèlement, le brillant étudiant achevait son diplôme de l’École pratique des hautes études qui portait sur un grand texte de Dendara, le temple dont il fut par la suite l’éditeur scientifique.
Membre de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (IFAO) à 27 ans, Émile Chassinat en devint directeur à 31 ans, pour une période de treize ans. Il rétablit d’abord l’administration de l’Institut, quelque peu négligé pendant la maladie de son prédécesseur Urbain Bouriant (qu’il remplaça à partir de 1898). Ses qualités de gestionnaire apparurent très vite quand il vendit l’ancien bâtiment et acquit le palais Mounira (1907) en réalisant des bénéfices substantiels. Il créa très vite la grande imprimerie de l’Institut pourvue d’une fonte hiéroglyphique complète (7 000 signes) où il utilisa sa triple compétence (en typographie, dessin et épigraphie). Cette imprimerie florissante publia non seulement les magnifiques livres dont on se sert encore quotidiennement, mais aussi, pour le Service des antiquités, l’inestimable Catalogue général du musée du Caire. C’est à partir de son mandat que l’IFAO devint ce qu’il est aujourd’hui : un grand institut, ouvert à toutes les périodes de l’histoire de l’Égypte et qui a donné au monde scientifique des publications inestimables, notamment celles de milliers de pages de textes hiéroglyphiques.
Son activité de fouilleur est moins connue, pourtant il engagea de nombreux chantiers et œuvra lui-même dans toutes les périodes de l’histoire : Ancien Empire (Abou Roach), Moyen Empire (Meir et Assiout en Moyenne Égypte, Qattah près du Caire), Nouvel Empire (Vallée des Rois), période gréco-romaine (Fayoum et Tehneh), période copte (monastère de Baouît) ; aucune région d’Égypte ne fut négligée. Il commença avec Gustave Jéquier un grand dictionnaire d’archéologie, mais aucun éditeur ne voulut assumer le risque financier que constituait sa publication.
La spécialité d’Émile Chassinat fut l’épigraphie ptolémaïque : l’égyptologie lui doit 5 000 pages (en format in quarto) de textes hiéroglyphiques provenant des sites d’Edfou et de Dendara. Ses compétences ne se limitaient pas à ce vaste domaine et il explora les champs d’étude les plus divers (copte et arabe, monnaies, plantes et parfums, médecine) ; de fait, il embrassait la civilisation égyptienne dans tous ses aspects et à toutes époques. Sa magistrale étude du papyrus médical copte témoigne d’une profonde connaissance des sources classiques et arabes. Un raisonnement rigoureux allié à un esprit aiguisé lui permit en effet d’aborder le domaine médical, jusqu’alors inconnu de lui, avec une grande justesse d’analyse. En toute chose, la curiosité l’amenait à ne pas rejeter les éléments à première vue irrationnels ; il ne considérait pas que quoi que ce soit dût être négligé de cette civilisation égyptienne qui n’a produit que du beau pendant trois millénaires, et qu’il aborda toujours avec un respect touchant à humilité. On se prend, paradoxalement, à regretter que l’incomparable talent du savant à publier des textes l’ait empêché de nous livrer plus d’études remarquables, tel ce Mystère d’Osiris dont les deux volumes d’analyses lexicographiques et de synthèses religieuses constituent un travail inégalable.
Un siècle après les débuts d’Émile Chassinat, les égyptologues peuvent lire les textes des temples d’Edfou et de Dendara, assis à leur table de travail. Pour Émile Chassinat, en revanche, la situation était tout autre : échelles et échafaudages instables, chaleur étouffante à certaines époques, air raréfié dans les cryptes de Dendara, travail achevé parfois à la lorgnette de poche ! Bref, des conditions matérielles qui eussent découragé quiconque n’eût pas eu son sens du devoir et sa passion infatigable. Émile Chassinat reprit la publication du temple d’Horus à Edfou commencée par Maxence de Rochemonteix. Quelques mois par an lui permirent de terminer la copie ; c’est ainsi qu’en moins de vingt semaines, en 1925-1926, il releva les parois extérieures du naos et du pronaos (Edfou IV, soit 400 pages environ). Comment trouva-t-il l’énergie, après avoir copié l’ensemble des inscriptions d’Edfou d’entreprendre la copie de celles du temple d’Hathor à Dendara ?
Alors qu’il était directeur de l’IFAO, un marchand lui soumit un lot de manuscrits coptes dont Émile Chassinat ignorait qu’il était le produit d’un vol : une campagne de presse fielleuse l’accusa de complicité. Sa gestion scientifique de l’Institut fut par la suite remise en cause. Enfin, lassé, il donna sa démission en 1912 ; sa carrière s’arrêta là. Il se consacra alors à la publication des temples d’Edfou et de Dendara. Mais en 1935, alors qu’il venait d’achever le quatrième volume de Dendara, un ultime malentendu mit fin à ses missions en Égypte et il ne put mener à bien la publication de ses manuscrits – à quoi se consacra François Daumas qui hérita de la documentation rassemblée par son maître. Les dernières années furent pénibles, le manque de ressources matérielles se conjuguant à une grande solitude. Ne pouvant corriger les épreuves des volumes de Dendara en cours de publication, le savant infatigable s’attela cependant sans se décourager à son grand œuvre, Le Mystère d’Osiris au mois de khoiak, qui parut vingt ans après sa mort.
Émile Chassinat a publié une trentaine d’ouvrages, dont 5 000 pages de textes hiéroglyphiques inédits. Sans lui, des chapitres entiers de la religion égyptienne n’auraient pu être écrits, point d’égyptologue contemporain qui n’utilise régulièrement ses publications ; que n’a-t-il subi pourtant tout au long de sa vie, se débattant dans des problèmes financiers, frustré de la juste reconnaissance que méritait une telle œuvre ! Pour la postérité, il figure au nombre des plus grands égyptologues français et son œuvre n’a pas vieilli.
Il a laissé à ceux qui l’ont connu le souvenir d’un homme aimable, souriant, au regard vif et pénétrant (les photos en témoignent), enthousiaste et travailleur jusqu’à son dernier souffle. Générosité et fidélité le caractérisaient, tout comme l’absence d’esprit courtisan, pour les uns… de souplesse, pour les autres. Il en reste un esprit intelligent servi par une curiosité illimitée et une puissance de travail hors pair. L’Égypte, la France et l’orientalisme ne peuvent qu’éprouver une profonde gratitude pour ce savant qui a si bien servi les dieux du pays du Nil.
Sylvie Cauville, directeur de recherche, CNRS
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Le Temple d’Edfou. Collab. de Maxence de Rochemonteix.
- Fouilles de Qattah. Collab. de Henri Gauthier et Henri Piéron. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1906, IX-79 p., XVIII pl., 17 fig. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XIV).
- Catalogue des signes hiéroglyphiques de l’Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, et suppl. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1907-1930.
- La Seconde Trouvaille de Deir el-Baharî. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1909, 88 p.
- Fouilles à Baouît. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1911, t. I, 88 p., XIV pl., 52 fig. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XIII).
- Le Quatrième Livre des entretiens et épîtres de Shenouti. [Éditeur scientifique]. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1911, 210 p., II pl. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XXIII).
- Une campagne de fouilles dans la nécropole d’Assiout. Collab. de Charles Palanque. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1911, VII-241 p., XL pl. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XXIV).
- Un papyrus médical copte. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1921, XV-396 p., XX pl. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XXXII).
- Le Mammisi d’Edfou. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1910-1939, 74 pl. (« Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire », XVI) [nouv. éd. 2009].
- Le Temple de Dendara. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale.
- I. 1934, 86 pl. [nouv. éd. 2004].
- II. 1934-1935, 244 p.,82 pl. [nouv. éd. 2004].
- III. 1934-1935, 208 p., 81 pl. [nouv. éd. 2004].
- IV. 1934-1935, 290 p., 66 pl.
- V. Collab. de François Daumas, 1952, 174 p.
- VI. Collab. de François Daumas, 1965, 190 p.
- VII. Collab. de François Daumas, 1974, 220 p.
- VIII. Collab. de François Daumas, 1978, 170 p. [nouv. éd. 2004-2005].
- Le Manuscrit magique copte n° 42573 du musée égyptien du Caire. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale/Paris : A. Maisonneuve, 1955 (IV. « Bibliothèque d’études coptes »).
- Le Mystère d’Osiris au mois de khoiak, I et II. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1966 et 1968, 832 p.
Articles
- « Les Papyrus magiques 3237 et 3239 du Louvre ». Recueil de travaux, XIV, 1892, p. 10-17.
- « Le Livre de protéger la barque divine ». Recueil de travaux, XVI, 1894, p. 105-122.
- « Textes provenant du Serapeum de Memphis ». Recueil de travaux, XXI. 1899, p. 56-73 ; XXII. 1900, p. 9-26, 163-180 ; XXIII. 1901, p. 76-91 ; XXV. 1903, p. 50-62.
- « Une monnaie d’or à légendes hiéroglyphiques trouvée en Égypte ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. I, 1901, p. 78-86.
- « Sur quelques textes provenant de Gaou el-Kébir ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. I, 1901, p. 103-107.
- « Une tombe inviolée de la XVIIIe dynastie découverte aux environs de Médinet el-Ghorab ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. I, 1901, p. 225-234.
- « Fragments de manuscrits coptes en dialecte fayoumique ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. II, 1902, p. 171-206.
- « Quelques cônes funéraires inédits ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. VII, 1910, p. 155-163.
- « Note sur un papyrus chirurgical grec ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. VIII, 1911, p. 111-112.
- « À propos de deux tableaux du mammisi d’Edfou ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. X, 1912, p. 183-193.
- « La Mise à mort rituelle d’Apis ». Recueil de travaux, XXXVIII, 1917, p. 33-60.
- « Un type d’étalon monétaire sous l’Ancien Empire ». Recueil de travaux, XXXIX, 1921, p. 79-88.
- « Sur quelques passages du De Iside et Osiride de Plutarque ». Recueil de travaux, XXXIX, 1921, p. 89-94.
- « Fragment des Actes de l’apa Nahroou ». Recueil de travaux, XXXIX, 1921, p. 95-96.
- « À propos d’une tête en grès rouge du roi Didoufri (IVe dynastie) conservée au musée du Louvre ». Monuments Piot, 25, 1921-1922, p. 56-64.
- « Les Trouvailles de monnaies égyptiennes à légendes hiéroglyphiques ». Recueil de travaux, XL, 1923, p. 131-157.
- « Le Temple d’Horus Behouditi à Dendera ». Revue de l’Égypte ancienne, I, 1927, p. 298-308.
- « Une nouvelle mention du pseudo-architecte du temple d’Horus à Edfou ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. XXIX, 1929, p. 1-10.
- « Quelques parfums et onguents en usage dans les temples de l’Égypte ancienne ». Revue de l’Égypte ancienne, III, 1930, p. 117-167.
- « Le Mar du roi Menibrê à Edfou ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. XXX, 1931, p. 299-303.
- « Deux bas-reliefs historiques du temple d’Edfou ». Mélanges Maspero, I, 1934, p. 513-523.
- « Deux formules pharmaceutiques coptes ». Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, t. IL, 1950, p. 9-22.
Bibliographie critique sélective
- François Daumas. – « Émile Chassinat, esquisse de biographie ». Annales du Service des antiquités de l’Égypte (ASAE), 51, 1951, p. 537-548.
Sources identifiées
Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, archives scientifiques
- Correspondance avec le directeur de l’imprimerie, Geiss (1902-1905)