Sir Hubert von Herkomer, Emilia Francis (née Strong), Lady Dilke, 1887, Londres, National Portrait Gallery, © National Portrait Gallery. Huile sur toile, 139,7 x 109,2 cm.

Auteur(s) de la notice :

MANSFIELD Elizabeth

Profession ou activité principale

Historienne de l’art, critique d’art

Autres activités
Activiste politique, militante en faveur des syndicats ouvriers féminins

Sujets d’étude
Art français du XVIe au XIXe siècles

Carrière
1858-1861 : études d’art et d’histoire de l’art à Londres, South Kensington Schools, notamment auprès de William Mulready, George Frederick Watts et John Ruskin
1861 : mariage avec le théologien Mark Pattison, diplômé d’Oxford ; installation à Lincoln College, Oxford
1863 : débuts dans l’écriture ; parution des premières critiques d’art, de littérature et de philosophie dans la Saturday Review
1869 : débuts au nouveau magazine Academy en tant que « critique d’art en chef » ; participation à la Westminster Review
1871 : visite de Hippolyte Taine à Oxford au mois de mai : forte influence sur sa vision de l’art
1876 : son premier essai sur le Salon de Paris paraît dans Academy ; séjour à Paris : s’enquiert auprès de Philippe Burty et de Roger Portalis des dernières tendances artistiques de l’art français
1879 : parution de son premier ouvrage, The Renaissance of Art in France ; correspondance régulière avec Eugène Müntz
1884 : parution de Claude Lorrain, sa vie et ses œuvres ; décès de Mark Pattison (juillet)
1885 : voyage en Inde ; retour à Londres en septembre ; mariage avec sir Charles Dilke en octobre
1888 : parution de Art in the Modern State (étude des relations entre culture et politique sous le règne Louis XIV)
1899 : parution de French Painters of the Eighteenth Century, le premier tome d’une série de quatre sur l’art français du XVIII siècle – les trois autres paraîtront entre 1900 et 1902
24 octobre 1904 : décès à Pyrford Rough (Surrey), la maison de campagne des Dilke

Étude critique

Très jeune, Emilia Francis Strong Dilke (Mrs Pattison, puis Lady) décida de se consacrer aux beaux-arts. Elle montra dès l’enfance un goût prononcé pour le dessin et fut encouragée par les amis artistes de son père, John Everett Millais et John Ruskin. Ce dernier lui proposa de travailler sous sa direction aux South Kensington Schools (devenues depuis le Royal College of Art) et elle s’y inscrivit dès l’âge de dix-huit ans, en 1858. Là, elle suivit également les cours d’histoire de l’art de Ruskin. La manière qu’avait ce dernier d’aborder « l’histoire de l’art en tant que science sociale », comme il la définissait lui-même, l’influença beaucoup. Ruskin considérait que l’esprit et les principes de la société étaient des éléments cruciaux pour la compréhension de l’art, ce qui amena Dilke à se détourner des approches purement formalistes. Après avoir étudié pendant trois ans à South Kensington, Dilke renonça à faire carrière comme peintre. Elle épousa Mark Pattison, intellectuel d’envergure qui était aussi le doyen de Lincoln College, à Oxford. Son époux l’encouragea à poursuivre ses études d’histoire de l’art, et lui donna lui-même des cours de langues et de philosophie. C’est lui notamment qui l’introduisit à la théorie positiviste d’Auguste Comte. Elle adhéra à cette philosophie, et se lia d’amitié avec les personnalités britanniques qui contribuaient alors à la populariser, comme Marian Evans (plus connue sous le pseudonyme de George Eliot) et George Lewes. Elle s’intéressa aussi aux travaux d’auteurs européens, comme Hippolyte Taine, qui appliquait les idées positivistes à l’histoire et à la culture.

Elle ne se contenta pas, cependant, d’adopter les idées des autres, mais chercha à se construire une personnalité intellectuelle qui lui soit propre. À cette fin, elle décida de s’imposer dans un champ d’étude qu’elle créerait elle-même. Plus tard, elle exposa ce processus de formation d’identité intellectuelle à sa nièce de la manière suivante : « Lorsque je commençai à travailler, on me fit comprendre que si je voulais “me faire une place”, et “forcer le respect” de mes pairs, il me fallait faire autorité sur un sujet précis. » Elle choisit l’art de la Renaissance en France, comprenant qu’elle aurait peu de rivaux en la matière parmi les chercheurs britanniques. Accompagnée de son mari, Dilke se rendit régulièrement sur le continent durant l’été. Pendant les premières années de leur mariage, leur destination favorite était Vienne, où Dilke fit la connaissance de Moritz Thausing et se familiarisa avec la collection de l’Albertina. Contrainte de rester à Oxford pendant l’année universitaire, elle acquit sa connaissance de l’art français dans les bibliothèques d’Oxford et continua de recevoir des conseils de Ruskin. La correspondance qu’elle entretenait avec des sommités européennes comme Hermann Grimm, Antonio Bertolotti, Károly Pulszky et Moriz Thausing l’aida également à devenir experte en matière d’art français. En 1875, son mari lui accorda la permission de se rendre seule en France pour des séjours prolongés. Son arthrite – que le climat humide d’Oxford faisait empirer – lui donna aussi un prétexte pour se rendre tous les ans en Provence et faire de fréquentes excursions vers des châteaux, ou pour voir des collections artistiques et des archives. Elle publia le fruit de ses recherches en 1879 sous le titre The Renaissance of Art in France. L’ouvrage, présenté en deux volumes, constituait la première étude globale des arts plastiques français pendant la Renaissance, et fut favorablement accueilli en France comme en Grande-Bretagne.

La Renaissance de l’art en France donne un bon aperçu de la richesse de l’apport de Dilke à l’étude de l’histoire de l’art. L’ouvrage révélait en effet sa manière de mêler à un œil expert une réflexion sur l’histoire sociale et la théorie politique. Dilke y révisait la chronologie de certains artistes, ainsi que certaines attributions d’œuvres, jusqu’alors jamais mises en doute, ce qui l’amenait à contredire des autorités comme Léon de Laborde ou Charles Blanc. Substituant le texte à l’image lorsque les coûts de reproduction ou l’indisponibilité des œuvres le lui imposaient, elle faisait des descriptions d’œuvres minutieuses et pleines de sensibilité, attirant l’attention du lecteur sur des imprécisions dans les reproductions existantes. De même, elle s’intéressait aux contextes historique, politique, religieux et économique. Son idée fondatrice était que la Renaissance française était le fruit exceptionnel d’une conjoncture sociale tout à fait particulière. L’étude de l’art de la Renaissance en France, écrivait-elle ainsi, « demande, plus que tout autre, que l’on connaisse ses conditions de production, afin de pouvoir apprécier son excellence ». C’est une des caractéristiques de l’approche de Dilke que de refuser de laisser la part du lion à la peinture et à la sculpture, et de traiter toutes les formes d’art plastique en tant que révélatrices de la société de l’époque. C’est ainsi que le tableau qu’elle dresse de la Renaissance française laisse autant de place aux arts du feu qu’à la sculpture ou aux fresques.

Satisfaite de la réception qu’avait eue son ouvrage en France, Dilke accepta d’effectuer un séjour de recherche à la Bibliothèque internationale de l’art afin de travailler à un volume sur Le Lorrain. Le fruit de ce travail, Claude Lorrain, sa vie et ses œuvres, était destiné à un public moins large, et plus spécialisé, que The Renaissance of Art in France. Elle y mêlait encore analyses de détail d’œuvres et étude très complète des sources écrites, primaires et secondaires, mais elle y insérait également des documents d’archives en appendice, dont des extraits d’actes judiciaires, le testament de l’artiste et les biographies rédigées par Sandrart et par Baldinucci. Dilke cherchait à faire oublier les approches romantiques ou erronées de la carrière de l’artiste, en fondant son récit sur des archives et sur une connaissance précise de son œuvre. Le Lorrain tel qu’il est présenté dans cet ouvrage n’apparaît plus ainsi comme l’artiste génial et spontané de la légende, mais bien plutôt comme un peintre méthodique, travaillant avec une technique irréprochable et une bonne intuition des désirs des commanditaires, sans jamais négliger toutefois ses propres intérêts. Son ouvrage suivant, Art in the Modern State (1888), amena Emilia Dilke à approfondir sa méthode d’analyse des œuvres par le biais du contexte social. Dès l’introduction, elle avertit le lecteur que « l’on trouvera les causes de tout changement relatif à la société, aux arts et aux lettres, voire à la mode, dans les aléas du politique. Ce qui semble n’être que l’effet des caprices du goût peut en réalité être imputé aux mêmes raisons dont dépend l’élaboration d’un traité de paix ». Son étude de l’art français sous le règne de Louis XIV mettait en lumière l’influence du régime absolutiste et des théories mercantilistes à un point tel que certains lecteurs se plaignirent de ce que l’ouvrage sortait du domaine de l’histoire de l’art. Dans la critique qu’il écrivit de l’ouvrage, Claude Phillips, qui incarnait précisément l’approche à laquelle Dilke s’opposait, déplora le fait qu’elle niât « la tendance naturelle qu’avait l’art de cette époque à s’organiser en catégories claires et distinctes ». Bien qu’Art in the Modern State se vendît mal, Dilke ne cessa jamais de penser que c’était là son meilleur ouvrage. Peu avant de disparaître, elle en avait presque achevé une version révisée dans un but de vulgarisation. Elle y avait inséré de nouveaux chapitres consacrés à Poussin et au Lorrain, qui n’apparaissaient que peu dans la version originale, avec l’espoir qu’ils contribueraient à attirer le lectorat anglais.

Malgré la réception mitigée d’Art in the Modern State, la réputation qu’avait Dilke d’être la plus grande spécialiste d’art français en Grande Bretagne resta intacte, et ce jusqu’à sa mort. Elle prouva d’ailleurs que cette réputation n’était pas usurpée grâce à la publication de sa magistrale étude en quatre volumes de l’art français du XVIIIe siècle. En dépit des demandes réitérées de son éditeur, Dilke refusa d’abréger l’ouvrage, au prétexte qu’aucun des arts de l’époque ne saurait être compris s’il était isolé des autres. Elle s’efforça d’accorder une importance égale à la peinture, la sculpture, l’architecture, la gravure et les arts décoratifs. L’éditeur, qui songeait sans doute à un public de collectionneurs, insista néanmoins pour qu’elle organisât la série de volumes par type d’art, et non de manière chronologique, comme Dilke l’avait imaginé. Malgré cette structure imposée, elle réussit à dresser un tableau des arts plastiques de l’époque à la fois complexe et plus large encore que dans ses précédents projets. Elle ajouta à son étude de l’histoire des institutions – qui avait constitué la base d’ Art in the Modern State – des essais substantiels sur les artistes et leurs œuvres. Sa manière si particulière d’opérer la synthèse entre l’histoire sociale, le récit biographique, l’expertise et la sensibilité esthétique la distinguait de ses contemporains et devint un exemple pour les historiens de l’art britanniques du tournant du XXe siècle.

Elisabeth Mansfield, professeur d’histoire de l’art, université de New York

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « Carstens ». Portfolio, 1870, vol. 1, p. 76-80.
  • « Palissy ». Portfolio, 1870, vol. 1, p. 189-91.
  • « Germain Pilon ». Portfolio, 1871, vol. 2, p. 72-75.
  • « Jehan Cousin ». Portfolio, 1871, vol. 2, p. 7-9.
  • « Jehan Goujon ». Portfolio, 1871, vol. 2, p. 22-24.
  • « Nicolas Poussin ». Fortnightly Review, 1872, vol. 17, p. 472-477.
  • « Jean Cousin ». Academy, 1873, vol. 4, p. 26.
  • « A Chapter of the French Renaissance ». Contemporary Review, 1877, vol. 30, p. 466-480.
  • « French Châteaux of the Renaissance, 1460-1547 ». Contemporary Review, 1877, vol. 30, p. 579-597.
  • « Fragonard and His Decorative Paintings at Grasse ». Academy, 1878, vol. 14, p. 149-50.
  • « Jean-Baptiste Greuze ». Encyclopaedia Britannica, 9e éd., 1880, vol. 11, p. 188-189.
  • « Jean Auguste Dominique Ingres ». Encyclopaedia Britannica, 9e éd., 1880, vol. 13, p. 74-76.
  • « Deux documents inédits sur des artistes Français du XVIIe siècle : le testament du Poussin et le testament de Claude Lorrain ». L’Art, 1882, vol. 29, p. 121-128.
  • « Jean François Millet ». Encyclopaedia Britannica, 9e éd., 1883, vol. 16, p. 321-322.
  • « Dessins de Claude Lorrain : le livre de vérité ». L’Art, 1883, vol. 34, p.253-260, 267-274, vol. 35, p. 44-51
  • « Les Eaux-fortes de Claude Lorrain ». L’Art, 1883, vol. 35, p. 148-157.
  • « The Glass Paintings of Jean Cousin at Sens ». Academy, 1883, vol. 24, p. 423.
  • « France under Richelieu ». Fortnightly Review, 1885, vol. 38, p. 752-767.
  • « France under Colbert ». Fortnightly Review, 1886, vol. 39, p. 209-220.
  • « The Royal Academy of Painting and Sculpture in France ». Fortnightly Review, 1886, vol. 46, p. 605-616.
  • « Art-teaching and Technical Schools ». Fortnightly Review, 1890, vol. 6, p. 231-241.
  • « Christophe ». Art Journal, 1894, p. 40-45.
  • « Le Boudoir de la Marquise de Sérilly au musée de South Kensington ». Gazette des Beaux-Arts, 1898, vol. 3, p. 5-, 118-.
  • « L’Art français au Guildhall ». Gazette des Beaux-Arts, 1898, vol. 3, p. 321-.
  • « Jean-François de Troy ». Gazette des Beaux-Arts, 1899, vol. 3, p. 280-291.
  • « Chardin et ses œuvres à Potsdam et à Stockholm ». Gazette des Beaux-Arts, 1899, vol. 3, p. 177-190, 333-342, 390-396.
  • « Les Coustous : les chevaux de Marly et le tombeau du Dauphin ». Gazette des Beaux-Arts, 1901, vol. 3, p. 5-14, 203-214.
  • « The “Laiterie” of Marie Antoinette at Rambouillet ». Athenaeum, 1903, n. 3932, p. 312-313.

Bibliographie critique sélective

  • Dilke Charles. – « Memoir ». In Dilke Emilia, The Book of the Spiritual Life. Londres : John Murray, 1905, p. 1-128.
  • Askwith Betty. – Lady Dilke. A Biography. Londres : Chatto & Windus, 1969.
  • Eisler Colin. – « Lady Dilke (1840-1904) : The Six Lives of An Art Historian ». In Claire Richter Sherman, Adele M. Holcomb, éd., Women as Interpreters of the Visual Arts. Westport : Greenwood Press, 1981, p. 147-180.
  • Mansfield Elizabeth. – Art, History, and Authorship : The Critical Writings of Emilia Dilke (1840-1904). Ph.D., Harvard University, 1996.
  • Israel Kali. – Names and Stories : Emilia Dilke and Victorian Culture. New York : Oxford University Press, 1999.
  • Mansfield Elizabeth. – « The Victorian Grand Siècle : Ideology as Art History ». Victorian Literature and Culture series, 2000, vol. 28, p. 133-147.

Sources identifiées

Londres, British Library

  • Dilke Papers : BM Add. MS 43,903 ; BM Add. MS 43,904 ; BM Add. MS 43,905 ; BM Add. MS 43,906 ; BM Add. MS 43,907 ; BM Add. MS 43,908
  • BM Add. MS 36,725
  • BM Add. MS 42,570
  • BM Add. MS 42,575
  • BM Add. MS 43,934
  • BM Add. MS 45,665

Londres, Victoria and Albert Museum, National Art Library

  • Nominal File SF 468
  • MS 86. E.E.

Londres, Trades Union Congresses Library

  • MS 501, MS 621, Supplementary File A, « Lady Dilke’s Notebook »
    Gertrude Tuckwell, « Reminiscences », tapuscrit

Newcastle-upon-Tyne, University of Newcastle

  • Trevelyan Papers

Oxford, Bodleian Library Oxford

  • Pattison Papers : Mss. Pattison 57, 60, 118, 140
  • MS Eng. misc. d. 176
  • MS Acland d. 89
  • MS Acland d. 167
  • MS Acland d. 172
  • MS Eng. lett. d. 187
  • MS Eng. lett. d. 187
  • MS Don. e. 64

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits

  • NAf MS 11305

Paris, École nationale supérieure des beaux-arts

  • MS. 519 : catalogue des dessins de Delaune et de son école, conservés à la bibliothèque d’Oxford par Lady Dilke. Lady Dilke avait noué amitié avec Eugène Müntz lors de ses recherches sur Étienne Delaune. C’est ce qui motiva sans doute le don de ces notes à l’École des beaux-arts en 1891