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ENGERAND, Fernand
Mis à jour le 2 décembre 2008
(15 avril 1867, Caen – 10 novembre 1938, Paris)
Auteur(s) de la notice :
WEIL-CURIEL Moana
Profession ou activité principale
Homme politique, écrivain-journaliste
Autres activités
Historien de l’art
Sujets d’étude
Collections royales de peinture et sculpture (XVIIe-XVIIIe siècles), art français du XVIIIe siècle, musées de Caen et patrimoine du Calvados
Carrière
1898 : secrétaire général du Musée social (jusqu’en 1902)
1902-1932 : élu, sans interruption, député du Calvados durant trente ans, il est l’auteur de nombreux projets de lois qui se situent pour l’essentiel dans le domaine social mais aussi, en 1905, d’un projet de loi relatif aux musées de province
Étude critique
Même s’il est né à Caen, en 1867, Fernand Engerand fait partie de cette génération marquée par la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine. Ainsi, comme pour beaucoup de ses contemporains impliqués dans la vie politique française (il fut député du Calvados entre 1902 et 1932), une large partie de son œuvre et de son action est consacrée, avant la guerre de 1914-1918 mais surtout pendant et après le conflit (auquel participe son fils aîné), à la place forcément restreinte qui doit revenir à l’Allemagne, à travers une double question : celle des frontières de l’Est et celle du minerai de la Sarre. De même, s’il manifeste à de nombreuses reprises une réelle fibre sociale (dont témoignent ses nombreux projets de loi sur la condition des ouvriers, des femmes ou des pêcheurs), ses écrits d’histoire de l’art témoignent non seulement de ce nationalisme devenu chez lui presque systématique (les références à « la gloire nationale » et à la cause de l’art « français » y sont récurrentes), mais aussi parfois d’un paternalisme marqué, autre héritage de ses aînés. Après ses études de droit, Engerand devient tout d’abord avocat mais il est très vite choisi pour occuper les fonctions de secrétaire général du Musée social, organisme créé par une élite éclairée réunie autour du comte de Chambrun qui était désireux de favoriser études et travaux, afin de développer un droit social alors presque inexistant en France. D’ailleurs, à l’époque où Fernand Engerand en assure le secrétariat général (1898-1902), le principal thème de réflexion de ses membres était celui des assurances sociales, sujet qui inspirera certains des projets de loi que le futur député du Calvados présentera et fera parfois voter par la Chambre des députés.
Si Engerand semble s’être intéressé à l’art dès sa jeunesse, c’est de façon encore superficielle, même s’il n’hésitera pas, au soir de sa vie, à publier certains de ses « Amusements archéologiques » en 1934. Une soudaine humilité lui fait alors constater que « curiosité, futilité, inutilité, ces trois mots riment assez richement ». Quoi qu’il en soit, c’est au milieu des années 1890 qu’il fait paraître ses premiers véritables travaux d’histoire de l’art. Ce sont, dans un premier temps, des articles, notamment publiés dans la Gazette des Beaux-Arts. Mais, c’est durant ces mêmes années que paraissent aussi ses principaux ouvrages où, comme pour ses articles, se mêlent l’étude des collections de la Couronne et celle des richesses artistiques de sa Normandie natale. Ainsi l’Histoire du musée de Caen paru en 1898 précède d’un an son travail sans doute le plus célèbre, la publication de certains inventaires des collections de la Couronne : l’Inventaire des tableaux du Roi rédigé en 1708 et 1709 par Nicolas Bailly (Paris, 1899) et, l’année suivante, l’Inventaire des tableaux commandés et achetés par la direction des Bâtiments du Roi (1709-1792) (Paris, 1900). Ces deux premiers volumes devaient être suivis d’un troisième, l’Inventaire des collections de statues de la Couronne (travail qui sera en partie repris par Marc Furcy-Raynaud), mais ces trois livres seront pratiquement les seuls qu’il aura menés à bien. En effet, Engerand envisageait alors d’en rédiger deux autres consacrés, pour l’un, à la sculpture romane dans l’arrondissement de Bayeux et, pour l’autre, à la broderie dite de la reine Mathilde, mais il y renoncera, sans doute trop pris par l’action politique.
Néanmoins, l’histoire de l’art n’est pas totalement absente de ses activités de député, puisque Engerand est aussi l’auteur d’un projet de loi relatif aux musées de province, présenté le 16 mars 1905. Dans l’exposé des motifs, il rappelle tout d’abord que leurs richesses sont encore trop méconnues, malgré les efforts d’un Chennevières ou d’un Clément de Ris. Après un bref rappel historique de la constitution des collections des principaux musées de province, il émet le souhait qu’une étude systématique de leurs fonds donne lieu à la publication de véritables inventaires, qui tiennent notamment compte des œuvres reléguées dans leurs réserves (« connaîtra-t-on jamais l’état exact de ces greniers des musées de province et le nombre d’œuvres estimables qui y sont réunies ? »). Engerand envisage surtout que l’on puisse ainsi parvenir à une meilleure répartition des collections nationales entre le Louvre et les musées de province (« le Louvre ayant prélevé dans l’œuvre de chaque peintre les pièces les plus importantes, le surplus, composé d’œuvres très honorables et même de morceaux de choix, irait en province »), ce qui contribuerait à leur mise en valeur. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce texte que de devoir constater à quel point il demeure malheureusement d’actualité. Pourtant, même si Engerand s’interroge ainsi sur les droits et les devoirs respectifs de l’État et des municipalités concernées (il a certainement en tête l’exemple de Caen dont il a souligné, non sans ironie, les carences dans son Histoire du musée de la ville), les termes de son projet de résolution apparaissent finalement bien timides : « La Chambre invite le Gouvernement à nommer une commission extra-parlementaire qui sera chargée de reconnaître la situation actuelle des musées de province, l’état des richesses d’art qui s’y trouvent et les moyens de mettre en valeur ces collections avec le concours de l’État et des municipalités intéressées. »
Cette timidité, qui tient manifestement compte des équilibres institutionnels, contraste avec le style habituel d’Engerand, souvent déclamatoire (l’Avant-propos aux Trésors d’art religieux du Calvados comporte cette déclaration martiale : « Quand on veut, on peut, et quand on peut, on doit : l’œuvre est nationale au premier chef. C’est une croisade ! Je ne dresse le flambeau que pour le passer à d’autres »), sinon complaisant (l’Introduction de l’Inventaire des tableaux du Roi se conclut sur ces mots : « La plus précieuse récompense de l’auteur sera d’avoir pu servir la bonne et noble cause de l’art français. »). Mais surtout, le patriotisme d’Engerand le pousse vers une mauvaise foi presque caricaturale dès qu’il s’agit de défendre les richesses nationales. Ainsi, dans son Histoire du musée de Caen dont les chefs-d’œuvre proviennent, pour l’essentiel, des prélèvements effectuées par les troupes françaises en Italie et en Allemagne, il n’hésite pas à évoquer les droits « absolus » de la France sur ces œuvres dont les villes d’origines n’en avaient, selon lui, qu’une « estime assez modérée » et n’auraient été souvent que « trop heureuses » de donner ces tableaux en guise de contribution de guerre. Selon Engerand, leur propriété était, dès ce moment, « légalement et strictement » passée à la France, tandis que le « retrait » opéré plus tard par les armées d’occupation en 1815 ne le sera que par la force.
Les principaux livres d’Engerand demeurent, par la richesse de leurs informations, des ouvrages de référence sur les collections de la Couronne, les trésors religieux de Normandie ou les collections du musée de Caen. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’avancer des conclusions parfois hâtives dans les textes d’introduction ou d’accompagnement des documents qu’il publie. Ainsi, à propos de l’inventaire des tableaux du Roi rédigé par Bailly, il considère que si ses attributions sont « très contestables » pour les œuvres des anciens maîtres étrangers, son témoignage est nécessairement « des plus sûrs et des plus valables » pour les artistes français puisque Bailly, qui était le contemporain de la plupart d’entre eux, avait dû travailler “d’après leurs indications et sous leur contrôle”. De même, s’il retrace brillamment la genèse de la collection royale, de ses inventaires successifs et des modifications ou des restaurations portées aux œuvres, il accorde plus de valeur à la répartition topographique (par bâtiments et par salles) des inventaires du XVIIIe siècle qu’à l’ordre suivi par l’Inventaire Le Brun (1683) qu’il juge arbitraire, alors qu’il témoigne des apports successifs au noyau d’origine de cette collection.
Plus tard, en dehors de quelques articles et de conférences plus secondaires, la première partie (« Caen et l’arrondissement de Caen ») des Trésors d’art religieux du Calvados, achevée par sa fille et publiée par elle en 1940, témoigne une dernière fois de l’importante documentation qu’il avait réunie. On y trouve aussi l’hommage renouvelé aux efforts d’une administration des Beaux-Arts toujours impécunieuse. Il cite notamment l’exemple de ses conservateurs départementaux condamnés au bénévolat comme le furent ses prédécesseurs, ces historiens d’art de province, « vrais bénédictins laïcs » qui ont dépassé la tradition d’érudition monastique puisqu’ils ont « toujours travaillé dans la pauvreté sans en avoir fait le vœu ».
Moana Weil-Curiel, historien de l’art
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Histoire du musée de Caen. Caen : C. Valin, 1898.
Inventaires des collections de la Couronne. Inventaire des tableaux du Roy rédigé en 1709 et 1719 par Nicolas Bailly, publié pour la première fois, avec des additions et des notes. Paris : E. Leroux, 1899.- Inventaires des collections de la couronne. Inventaire des tableaux commandés et achetés par la direction des bâtiments du roi (1709-1792) . Paris : E. Leroux, 1900.
- Projet de résolution relatif aux musées de province… présenté par M. Fernand Engerand… (16 mars 1905). Paris : impr. de Motteroz, Chambre des députés, 8e législature, session de 1905, N ° 2313.
- Curiosités et Amusements archéologiques : les petits chiens, manchon, masque de visage, canne, les étrennes, illuminations et feux d’artifice. Paris : Librairie Bloud & Gay ; Caen : Société d’impression de Basse-Normandie, 1934.
- Préface. In Herval René. Caen, la ville aux clochers. Caen : A. Froment, 1935.
- Les Trésors d’art religieux du Calvados. t. I. Caen et l’arrondissement de Caen. Caen : 1940 [complété et publié par sa fille Marthe].
Articles
- « Fredou (peintre) ». L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux. Correspondance littéraire, historique et artistique, n° 700, 30 août 1895 et n° 704 (10 octobre 1895) et n° 709 (10 octobre 1895 (?)).
- « Modèles et Bordures de tapisseries des XVIIe et XVIIIe siècles ». Revue de l’art français ancien et moderne, t. XII, 1896.
- « Robert Tournières ». Revue de l’art français ancien et moderne, t. XII, 1896.
- « Les Commandes officielles de tableaux au XVIIIe siècle. L. David ». Gazette des Beaux-Arts. Chronique des arts et de la curiosité, 1897.
- « Trois lettres inédites de Robert Lefèvre (1812-1815) ». Revue de l’art français ancien et moderne, t. XIII, 1897.
- « Les Restaurations du tableau de Titien Jupiter & Antiope ». Gazette des Beaux-Arts. Chronique des arts et de la curiosité, 7 mai 1898.
- « Les Portraits présumés de Mme de Parabère, de Chapelle et Racine au musée de Caen ». Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, t. XIX, 1898.
- « Deux opuscules rarissimes de l’abbé de Saint-Martin : le Livret des voyageurs de la ville de Caen et le Supplément au livret des voyageurs de la ville de Caen, publiés avec une introduction et un essai bibliographique ». Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, t. XX, 1899.
- « La Dentelle à la main ». L’Action populaire, 2e série, n° 5, 1903.
- « La Dentelle de France ». Le Correspondant, 25 avril 1905.
Bibliographie critique sélective
- Bazin, Germain. Histoire de l’histoire de l’art de Vasari à nos jours. Paris : Albin Michel, 1986, p. 482.
Sources identifiées
Quelques documents sont conservés par ses descendants. D’autres, déposés aux Archives départementales du Calvados, ont été détruits dans les bombardements de 1944. Seul y subsiste un buste en bronze daté de 1924, signé du sculpteur Armand Roblot, qui a été offert, en 1956, à la Ville de Caen par les petits-enfants de Fernand Engerand mais il n’a jamais été photographié.