Ferdinand Mulnier, Eugène Fromentin, avant 1876, Paris, musée d'Orsay, ©Photo musée d'Orsay / RMN. Photographie, épreuve photomécanique (photoglyptie) 11,8 x 8,2 cm.

Auteur(s) de la notice :

CAHN Isabelle

Profession ou activité principale

Peintre, écrivain

Autres activités
Critique, historien de l’art

Sujets d’études
Algérie, peinture hollandaise et flamande

Carrière
1838-1839 : publication de ses premiers poèmes
1843 : apprentissage de la peinture dans l’atelier Rémond puis dans celui de Cabat
1845 : collaboration à la Revue organique des départements de l’Ouest ; premier essai de critique d’art sur le Salon de 1845
1846 : voyage en Algérie
1847 : première exposition au Salon
1847-1848 : séjour en Algérie
1853 : séjour en Algérie ; visite des confins sahariens
1867 : membre du jury de l’Exposition universelle
1870 : voyage à Venise
1875 : voyage en Belgique et en Hollande ; rédaction des Maîtres d’autrefois
1876 : candidat malheureux à l’Académie française

Médaille de seconde classe au Salon (1849) ; élu membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de La Rochelle (1856) ; chevalier de la Légion d’honneur (1859) ; première médaille du Salon (1859) ; médaille de première classe à l’Exposition universelle (1867) ; officier de la Légion d’honneur (1869)

Étude critique

Fromentin est l’auteur d’un unique livre de critique, Les Maîtres d’autrefois, rédigé à l’issue d’un voyage de quelques jours en Belgique et en Hollande, du 5 au 30 juillet 1875. Publié peu de temps avant sa mort, cet ouvrage connaît un succès considérable et de nombreuses rééditions. Lionello Venturi le tenait pour l’une des meilleures études de critique d’art, en particulier pour les pages sur Rembrandt et Rubens.
Plusieurs raisons poussent l’artiste à entreprendre ce voyage d’étude vers le Nord, loin de l’Algérie qui lui avait apporté gloire et fortune. Les deux volumes consacrés à la peinture des Pays-Bas – L’Histoire des peintres de toutes les écoles de Charles Blanc ainsi que les travaux de Thoré-Bürger Les Musées de la Hollande (1858, 1860) – l’encouragent à venir découvrir sur place les tableaux qu’il ne connaît que par la gravure et les compositions des petits maîtres auxquels les critiques comparent parfois leurs œuvres. « Je viens voir Rubens et Rembrandt chez eux, et pareillement l’école hollandaise dans son cadre, toujours le même, de vie agricole, maritime, de dunes, de pâturages, de grands nuages, de minces horizons. […] Je ne ferai que traduire avec sincérité les sensations sans conséquence d’un pur dilettante », écrit-il en guise de prologue à son étude.

Le voyage de Fromentin, commencé par une visite au musée des Beaux-Arts de Bruxelles, se poursuit à Malines, Anvers et La Haye où il admire Rubens, Ruysdael et Van Dyck. Le 16 juillet, il est à Amsterdam pour voir les Rembrandt. De passage à Haarlem le 20, il s’attarde devant les Frans Hals. Il se rend ensuite à Gand et à Bruges pour Memling et Van Eyck avant de finir sa tournée à Bruxelles à la découverte des primitifs flamands. Durant ce périple à travers les vieilles cités, pendant lequel il ne s’amuse ni se repose, Fromentin consigne ses observations devant les tableaux ou en consultant des catalogues. Ses abondantes notes servent de base au livre rédigé à son retour dans sa propriété de Saint-Maurice près de La Rochelle pendant l’été et l’automne 1875.
Les Maîtres d’autrefois sont un récit de voyage centré non pas sur les monuments ou les curiosités naturelles mais sur la peinture analysée d’un point de vue historique et technique, sans exclure l’exposé des sentiments qu’elle éveille ni la description des sujets qu’elle représente. « Il y a des formes pour l’esprit, comme il y a des formes pour les yeux ; la langue qui parle aux yeux n’est pas celle qui parle à l’esprit. Et le livre est là non pour répéter l’œuvre du peintre, mais pour exprimer ce qu’elle ne dit pas » (préface à la troisième édition d’Un été dans le Sahara).
Admirateur de Taine, Fromentin applique ses théories sur la race, le milieu et le moment en prenant soin de planter le décor physique et intellectuel qui a vu naître les œuvres des peintres flamands et hollandais. Ses discussions esthétiques s’animent de la réalité locale. Ainsi écrit-il à propos de Ruysdael : « De tous les peintres hollandais, Ruysdael est celui qui ressemble le plus noblement à son pays. Il en a l’ampleur, la tristesse, la placidité un peu morne, le charme monotone et tranquille. »

Un autre point essentiel de sa méthode est l’importance accordée à l’analyse stylistique. Pour bien comprendre l’originalité d’un artiste, il est nécessaire de décortiquer sa technique et ne pas se contenter de raconter les toiles comme Diderot dans ses Salons. Fromentin, peintre lui-même, excelle à cet exercice et ses considérations sur le métier tiennent plus de place que ses commentaires historiques ou anecdotiques sur les œuvres. Présentées comme une sorte de conversation picturale, sans autre prétention que de traduire une vision spontanée, soulever des idées et exprimer des opinions, ses analyses s’adressent avant tout aux artistes que Fromentin, dans une figure de style, interpelle pour faire partager ses impressions. Profitant de ce dialogue, il s’épanche, n’hésite pas à se confier comme il ne l’a jamais fait et à se projeter dans certains aspects de la vie et de l’œuvre des artistes du passé, Rembrandt, Rubens ou Frans Hals.
Ainsi ce texte, loin d’être une simple revue critique de l’art du passé, est un véritable « livre de combat », comme l’a fait justement remarquer Jacques Foucart. Le travail d’investigation critique entrepris par Fromentin une année avant sa mort constitue une forme de bilan contrasté des goûts de l’artiste, de ses méthodes d’analyse, de sa vision de l’époque ainsi qu’une confession autobiographique. L’auteur y livre ses doutes sur son métier de peintre où, sans formation suffisante, il s’est trouvé enfermé dans un genre pittoresque et une sécheresse académique dépourvue de vie et d’observation vraie. Les Maîtres d’autrefois lui offrent l’occasion de développer ses idées sur la peinture, de s’ouvrir à un art libéré de la culture classique italienne, qui l’a conduit à une impasse stylistique, et d’oublier ses modèles favoris, Chardin, Le Sueur et Delacroix.

Rédigé à une époque où la peinture en France se trouve remise en question, Fromentin milite en faveur de nouveaux modèles pour contrer les innovations de Courbet, Manet et des jeunes impressionnistes dont la première exposition s’est tenue un an plus tôt. Mais son désir de faire la leçon à la jeune école déplaît à ses défenseurs, Edmond Duranty et Théodore Duret, qui considèrent son auteur comme l’exemple même du critique « traditionnaliste » en plein désarroi. Le goût de Fromentin pour le plein air s’arrête à la génération des peintres des années 1830-1840 qui travailla à Barbizon. Dupré, Corot et Rousseau représentent à ses yeux les maîtres du paysage français contemporain, le maillon intermédiaire entre les peintres hollandais et la nouvelle école : « Il [Rousseau] contribua à créer une école qu’on pourrait appeler l’école des sensations. » Pour Fromentin, l’art s’arrête aux écoles du Nord, rendant toute tentative de transformation de la peinture inutile. « En vérité, quand on s’y concentre, c’est une peinture qui fait oublier tout ce qui n’est pas elle et donnerait à penser que l’art de peindre a dit son dernier mot, et cela dès la première heure », écrit-il à propos des frères Van Eyck. Sa démonstration vise à discréditer la peinture impressionniste dépourvue à ses yeux de toute élévation et son public « disposé à fêter un art qui représente avec tant de fidélité ses habits, son visage, ses habitudes, son goût, ses inclinaisons et son esprit. »
Les professions de foi de Fromentin suscitent non seulement des réserves parmi les partisans de la nouvelle école de paysage français mais également chez les inconditionnels de Rembrandt, qui ne lui pardonnent pas son analyse négative de La Ronde de nuit ni ses réserves vis-à-vis de l’artiste, « cet homme de rien, ce fureteur, ce costumier, cet érudit nourri de disparates, cet homme des bas-fonds, de vol si haut ; cette nature de phalène qui va à ce qui brille […], ce disgracié si bien doué, ce prétendu homme de matière, ce trivial, ce laid, c’était un pur spiritualiste, disons le d’un seul mot : un idéologue. » Ses analyses lumineuses de Rubens, au contraire, sont unanimement louées.

La subjectivité des études de Fromentin ainsi que le ton adopté par le peintre écrivain, sûr de sa plume et dédaigneux des procédés de la critique, font des Maîtres d’autrefois un ouvrage de référence. Le succès de ce premier texte l’encourage à poursuivre ses promenades commentées avec un projet autour des tableaux du Salon carré du musée du Louvre, mais la mort le surprend sans lui laisser le temps de réaliser son dessein.

Isabelle Cahn, conservateur du Patrimoine

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • « Un été dans le Sahara ». Revue de Paris, juin-décembre 1854.
  • « Alger. Fragments d’un journal de voyage ». L’Artiste, LIX, juillet-août 1857, p. 300-303 ; 321-324 et 335-337.
  • Un été dans le Sahara. Paris : Michel Lévy frères, 1857.
  • Une année dans le Sahel. Paris : Michel Lévy frères, 1859.
  • « Dominique ». Revue des deux mondes, 15 avril-15 mai 1862.
  • Dominique. Paris : Louis Hachette et Cie, 1863.
  • Un été dans le Sahara, augmenté d’une préface et d’Un été dans le Sahel. Paris : Lemerre, 1874.
  • « Les Maîtres d’autrefois ». Revue des deux mondes, 1er-15 janvier, 1er et 15 février, 1er et 15 mars 1876.
  • Les Maîtres d’autrefois. Paris : E. Plon et Cie, 1876.
  • Voyage en Égypte, 1869. Journal publié d’après le carnet manuscrit avec introduction et notes de Jean-Marie Carré. Paris : Éditions Montaigne, 1934.

Articles

  • « Le Salon de 1845 ». Revue organique des départements de l’Ouest, 1845, p. 194-208, 258-272.

Bibliographie critique sélective

  • Vincens Charles. – « Eugène Fromentin ». Revue politique et littéraire, 30 septembre 1876.
  • Bigot Charles. – « Eugène Fromentin ». Revue politique et littéraire, 14 avril 1877.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XVII, 1878, p. 401-413.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XVIII, 1878, p. 84-96.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XIX, mars 1879, p. 240-254.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XX, octobre 1879, p. 281-296.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XXI, janvier 1880, p. 50-69.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, mai 1880, p. 464-479.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, t. XXII, août 1880, p. 139-149
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, septembre 1880, p. 216-227.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, octobre 1880, p. 319-332.
  • Gonse Louis. – « Eugène Fromentin peintre et écrivain ». Gazette des Beaux-Arts, novembre 1880, p. 404-418.
  • Gonse Louis. – Eugène Fromentin peintre et écrivain. Paris : A. Quantin, 1881.
  • Souquet Paul. – « L’œuvre critique : Les Maîtres d’autrefois ». Nouvelle Revue, t. VIII, janvier-février 1881, p. 860-880.
  • Dorbec Prosper. – Eugène Fromentin. Biographie critique. Paris : Henri Laurens Éditeur, 1926.
  • James Henry. – « Les Maîtres d’autrefois : 1876 ». In The Painter’s Eye : Notes and Essays on the Pictorial Arts. Londres : John L. Sweeney, 1956.
  • Fromentin Eugène. – Les Maîtres d’autrefois. Belgique-Hollande. Présentation et notes de Jacques Foucart. Paris : Le Livre de poche, 1965.
  • Fromentin Eugène. – Dominique. Introduction, notes et appendice critique avec les variantes du manuscrit original par Barbara Wright. Paris : Didier, 1966, 2 vol.
  • Fromentin. Le peintre et l’écrivain 1820-1876 [catalogue de l’exposition]. La Rochelle : Bibliothèque municipale ; musée des Beaux-Arts, 1970.
  • Fromentin Eugène. – Les Maîtres d’autrefois. Texte établi avec introduction, chronologie, indications bibliographiques, relevé et variantes, notes et index par Pierre Moisy. Paris : Garnier-Flammarion, 1972.
  • Bouverot Danielle. – Le Vocabulaire de la critique d’art (arts musicaux et plastiques) de 1830 à 1850. Thèse de doctorat de l’université de Paris III, 1976 (voir en particulier p. 980-1062).
  • Fromentin Eugène et Bataillard Paul. – Étude sur l’« Ahasvérus » d’Edgard Quinet. Éd. critique de Barbara Wright et Terence Mellors. Genève ; Paris : Droz, 1982.
  • Fromentin Eugène. – Œuvres complètes. Textes établis, présentés et annotés par Guy Sagnes. Paris : Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1984.
  • Correspondance d’Eugène Fromentin. Textes réunis, classés et annotés par Barbara Wright. Paris : CNRS-Éditions et Universitas, 1995, t. I : 1839-1858 et t. II : 1859-1876, 2 vol.
  • « Eugène Fromentin : vers l’autonomie de l’image ». Colloque international. Écrits de peintres belges. Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix. Namur, 24 mai 2007.

Sources identifiées

La Rochelle, Archives de la famille Dahl, descendants de l’artiste

Versailles, Bibliothèque municipale

  • Manuscrit des Maîtres d’autrefois

Principales collections conservant des lettres autographes

  • La Rochelle, Archives départementales de la Charente-Maritime
  • Los Angeles, The Getty Research Institute
  • Paris, Archives nationales
  • Paris, bibliothèque de l’INHA-collections Jacques Doucet
  • Paris, bibliothèque de l’Institut de France
  • Paris, bibliothèque et archives des Musées nationaux
  • Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris
  • Paris, Institut néerlandais, Fondation Custodia
  • Paris, musée du Louvre
  • Paris, musée Gustave Moreau

En complément : Voir la notice dans AGORHA