Théophile Gautier, Portrait par Auguste de Châtillon, 1839, Paris, musée Carnavalet.

Auteur(s) de la notice :

PELTRE Christine

Profession ou activité principale

Poète, romancier, critique d’art

Sujets d’étude
Peinture moderne, arts du dessin, l’Italie

Carrière
1822-1829 : scolarité au collège Charlemagne à Paris où il a pour condisciple Gérard Labrunie, bientôt Gérard de Nerval
1829 : fréquente l’atelier du peintre Rioult
25 février 1830 : première d’Hernani et « bataille »
Fin de l’année 1830 : se joint au Petit Cénacle qui se constitue dans l’atelier de Jehan Duseigneur
1831 : premier article de critique d’art dans Le Mercure du XIXe siècle : « Arts. Buste de Victor Hugo »
Mars 1833 : premier compte rendu de Salon dans La France littéraire
Novembre 1835 : Mademoiselle de Maupin
26 août 1836 : publie son premier article dans La Presse d’Émile de Girardin ; sa collaboration se poursuivra jusqu’au 4 avril 1855, avec environ mille deux cents articles : critiques d’art, critiques littéraire, récits de voyage, œuvres narratives
1er octobre 1836 : début de la collaboration au Figaro
Décembre 1836 : commence à publier dans La Charte de 1830 (les articles de critique d’art sont presque tous reproduits en 1880 dans Fusains et eaux-fortes)
5 mai-7 octobre 1840 : voyage en Espagne avec Eugène Piot : compte rendu, d’abord dans La Presse, puis en 1843 dans le volume Tra los montes
Juin 1846 : se rend en Belgique, puis en Hollande : visite le musée d’Amsterdam et le Mauritshuis à La Haye
29 septembre-19 octobre 1846 : deuxième voyage en Espagne
1er septembre 1847 : « Du beau dans l’art : réflexions et menus propos d’un peintre genevois, ouvrage posthume de M. Töpffer », dans la Revue des deux mondes : véritable manifeste esthétique (reproduit dans L’Art moderne)
10 février-17 février 1849 : parution dans La Presse de trois premiers feuilletons consacrés aux galeries de peinture du musée du Louvre que viennent de réorganiser Jeanron et Villot ; l’ensemble des articles sur ce sujet sera reproduit dans Tableaux à la plume
27 juillet-7 septembre 1850 : dans La Presse, cinq feuilletons consacrés aux musées français, repris dans Tableaux à la plume
3 août-9 octobre 1850 : voyage en Italie avec Louis de Cormenin ; le compte rendu commence à paraître dans La Presse, le 24 septembre 1850 ; l’ensemble des feuilletons est repris en volumes sous le titre Italia en 1852, puis en 1875 sous le titre Voyage en Italie
1er décembre 1856 : débuts dans sa fonction de rédacteur en chef de L’Artiste, qu’il remplira jusqu’en février 1859
15 septembre 1858 : départ pour la Russie, pour préparer avec le photographe Richebourg les Trésors d’art de la Russie ; les articles parus dans Le Moniteur universel seront repris en volumes en 1866 sous le titre Voyage en Russie
1861 : Second voyage en Russie
Mai 1862 : se rend à l’Exposition universelle de Londres et publie à cette occasion une série de feuilletons consacrés à Hogarth, Reynolds, Gainsborough et Lawrence (Le Moniteur universel, 4 mai-11 juin)
19 décembre 1863 : La Bibliographie de la France annonce Les Dieux et les demi-dieux de la peinture par Théophile Gautier, Arsène Houssaye et Paul de Saint-Victor : Gautier est l’auteur de l’introduction et des chapitres consacrés à Corrège, Vélasquez et Murillo
1er avril 1867 : parution dans L’Artiste de « La Grande galerie du Louvre », fragment de la description du musée du Louvre rédigée pour le Paris-Guide, à l’occasion de l’Exposition universelle (repris dans Guide de l’amateur au musée du Louvre en 1882)
23 octobre 1872 : mort à son domicile, 32, rue de Longchamp à Neuilly

Étude critique

Connu par les « perles tout enfilées » qui, selon Zola, tombaient de sa plume, ou par un tropisme oriental qu’il aimait arborer en quelques accessoires vestimentaires, Théophile Pierre Jules Gautier a longtemps imposé l’image d’un écrivain fécond et fantasque, peu compatible avec la rigueur d’une pratique historienne. Pourtant, le regain d’intérêt suscité à la fin du XXe siècle par sa critique d’art, après un long purgatoire, les travaux récents menés sur divers aspects de ses écrits esthétiques, la réédition complète de ses œuvres à l’aube du XXIe siècle ont développé une approche renouvelée de son œuvre. Au sein de celle-ci, le regard porté sur le passé et le souci d’en donner une vision construite jouent un rôle important, qu’il s’agisse, par exemple, de bâtir l’histoire du romantisme ou celle de l’art dramatique en France. Dans le domaine plastique, si les créations de son temps requièrent en priorité la plume de Gautier, celle-ci semble en permanence, comme chez d’autres critiques tels Stendhal ou Planche, puiser son autorité dans la perspective d’une continuité historique. Moins connus que les textes sur l’art du XIXe siècle, les écrits sur les maîtres du passé sont nombreux, répartis en articles – dès les premières années de son activité journalistique, comme « Le Passage du Thermodon » (La Presse, 8 novembre 1836) ou « Les Rubens de la cathédrale d’Anvers » (La Presse, 29 novembre 1836) –, en ouvrages ou en récits de voyage parmi lesquels s’imposent Le Voyage en Espagne (1845) ou Italia (1852).

Au sein d’une activité touffue et d’une prose artiste, il est possible de dégager chez Gautier le profil d’une méthode dans son approche de l’histoire de l’art. Sa formation de peintre dans l’atelier de Rioult détermine d’abord l’exigence d’une proximité avec l’œuvre et la reconnaissance de sa singularité, avant toute élaboration d’un discours théorique. Les articles publiés sur l’art ancien sont en général l’écho de visites, de contemplations in situ, non de synthèses abstraites. Les tableaux sont considérés dans leur matérialité, dans leur état contemporain et font l’objet d’une attention à leur vieillissement ou à leur restauration. L’œuvre d’art est dotée d’une vie personnelle avant d’être la représentation d’un sujet, d’autant que forme et fond sont le plus souvent étroitement associés, comme en témoignent les tableaux de Vélasquez : « Il amenait l’âme à la peau ; il dégageait le caractère et l’incorporait à sa pâte » (« Une esquisse de Velazquez », Tableaux à la plume, 1880, p. 225. Du fait de la nécessité de la confrontation avec les œuvres, rendue plus évidente encore avant la généralisation des reproductions photographiques, il accordera donc une place essentielle au voyage, souvent évoqué dans les textes, par exemple à propos de Vélasquez : « Deux voyages en Espagne nous ont permis d’admirer, au musée de Madrid, ce peintre […] ». Il ne s’agit pas là, précise Gautier, de s’attribuer « des gants de connaisseur cosmopolite », mais de « bien établir [sa] compétence dans un cas spécial » (Tableaux à la plume, 1880, p. 216-217). De cette « compétence », il peut témoigner aussi pour les œuvres d’Italie, d’Angleterre, d’Allemagne ou de Russie. De Madrid ou de Venise, cette histoire de l’art est chez Gautier la plus libre, maniant la référence informée et l’impression viatique dans un style que Meyer Schapiro appelait chez Fromentin « la critique de plein air » (Style, artiste et société, 1982, p. 239).

À ce rythme itinérant est lié le souci pédagogique de guider le visiteur, à l’instar du critique au sein des Salons contemporains, dans le déroulement de l’histoire. Les « Études sur les musées » écrites en 1849-1850, après le nouvel accrochage de Jeanron et Villot, traduisent l’esprit de cette démarche : du « magasin rempli de merveilles » on est passé au « cours d’art complet », à « une histoire de la peinture » (« Le Musée ancien », Tableaux à la plume, p. 4). Dans le sillage d’Alexandre Lenoir – dont il loue à l’occasion le rôle pour la préservation des sculptures –, la suite chronologique écrit l’histoire de l’art au Louvre, aidée par la présence des cartouches dorés auxquels ne manquent que la date des œuvres et celles des artistes. Si cette « simple promenade » restitue mieux qu’une « histoire écrite » l’enchaînement des styles, Gautier lui-même ne dédaigne pas de soutenir ce progrès muséographique par une contribution personnelle. Ainsi cherche-t-il à « établir […] un ordre à peu près chronologique et retraçant la suite de l’histoire de la sculpture en France » pour « le musée français de la Renaissance » où cette rigueur manque encore, avec la proximité « absurde » d’œuvres incompatibles dans une même salle (Tableaux à la plume, 1880, p. 91).

Approchées, examinées, situées, les œuvres se dévoilent ensuite dans le luxe des descriptions tant reprochées au critique, de Delacroix à Émile Faguet. Comme celles de l’art contemporain, les créations du passé surgissent dans un écrin de mots, dans un torrent d’images et de sensations destinées à faire voir, autant que le sujet, la « pensée pittoresque ». Cette démarche, Gautier la résume lui-même en une apostrophe au Titien, dans les vers ardents du Musée secret (1864) :

Le voyage en Italie de 1850 qui, selon la remarque de Marie-Hélène Girard (Italia, présentation, 1997, p. 22), donne à la France un ouvrage comparable à l’Italienische Reise de Goethe ou aux Pierres de Venise de John Ruskin, offre de ces « transpositions » des exemples magistraux pour l’architecture, avec les descriptions de Saint-Marc ou du dôme de Milan, où la parole rivalise avec l’œuvre pour assurer sa permanence. Pour la peinture, la plume cerne sans académisme la liberté des effets, comme pour le Saint Marc délivrant un esclave de Tintoret : « […] dans un des raccourcis les plus violemment strapassés que la peinture ait jamais risqués, [saint Marc] pique une tête du ciel et fait un plongeon sur la terre, sans nuages, sans ailes, sans chérubins, sans aucun des moyens aérostatiques employés ordinairement dans les tableaux de sainteté » (Italia, 3e éd. 1860, p. 238). Tel un archéologue, l’écrivain ramène l’art à la lumière, par la magie d’une « sorcellerie évocatoire », admirée par Baudelaire : « C’est alors que la couleur parle, comme une voix profonde et vibrante ; que les monuments se dressent et font saillie sur l’espace profond » (« Théophile Gautier », in Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, 1976, p. 118).

Ces outils sont au service d’une pensée certes cultivée par une sensibilité créatrice mais également nourrie par les ouvrages informés : plusieurs indices au fil des textes témoignent du recours à une documentation précise. Dans ses « Études sur les musées » (Tableaux à la plume, p. 30), l’auteur se réfère explicitement à Arsène Houssaye qui vient d’écrire en 1847 une Histoire de la peinture flamande et hollandaise. Si la « muraille » des musées est plus que tout autre support l’instrument idéal de la connaissance, Gautier livre quelques noms de savants initiateurs : Vasari, l’abbé Lanzi, Séroux d’Agincourt (Tableaux à la plume, p. 5). L’information ne tourne certes jamais à l’érudition, la pesanteur documentaire est toujours tenue à distance avec l’aisance du dilettante, mais le rôle de l’histoire de l’art n’est jamais sous-estimé : « Qu’a-t-il manqué à Jean Cousin pour tenir dans la postérité le rang qui lui est dû ? un biographe, un Vasari » (Tableaux à la plume, p. 130). Le recours à l’« histoire écrite » ne relègue pas pour autant les œuvres dans un passé lointain.

Comme d’autres contemporains, tel Fromentin qui évoquera les impressionnistes dans Les Maîtres d’autrefois, mais plus encore en raison de ses fonctions habituelles de critique, Gautier n’oublie pas l’art du présent en évoquant celui de l’histoire. Ses propos sur Vélasquez sont ainsi riches d’allusions à la situation contemporaine : « S’il ne cherche pas la beauté comme les grands artistes d’Italie, Velazquez ne poursuit pas la laideur idéale comme les réalistes de nos jours ; il accepte franchement la nature comme elle est, et il la rend dans sa vérité absolue, avec une vie, une illusion et une puissance magiques, belle, triviale ou laide, mais toujours relevée par le caractère et l’effet » (« Une esquisse de Velazquez », Tableaux à la plume, p. 224). Il est aisé de rapprocher ces lignes des flèches destinées à Courbet, le « maniériste en laid » qui « outre à dessein la grossièreté et la trivialité » (La Presse, 15 février 1851). Mais l’approche empathique de Gautier transforme rarement la visite en démonstration acerbe ; il s’agit plutôt d’associer des artistes ou des œuvres qui semblent appartenir au même « microcosme ». Lors de la visite à l’Accademia de Venise, la Pietà de Delacroix de l’église Saint-Denis du Saint-Sacrement est évoquée devant la tardive Pietà du Titien, « sinistre et douloureuse » (Italia, p. 247).
La Remise de l’anneau au doge de Bordone se voit attribuer le « mérite, assez rare dans l’école italienne » de représenter un « sujet romantique » tel que Delacroix ou Louis Boulanger l’auraient pu choisir (ibid., p. 232). Au Louvre, un tableau de Peter de Hooch suggère d’éventuels emprunts par Decamps de ce « blanc ensoleillé, épais, pétri de lumière » (Guide de l’amateur au musée du Louvre, 1882 [2e éd. : 1994], p. 112). Les critères d’appréciation sont en effet semblables pour l’art du passé comme pour celui du présent. Parmi eux s’impose, autrefois comme aujourd’hui, l’idée « pittoresque » qui se distingue de l’idée philosophique, morale ou dramatique, dans le culte de l’art pour l’art, c’est-à-dire de la forme pour le beau, comme l’a tôt exprimé la préface de Mademoiselle de Maupin en 1835 (http://gallica2.bnf.fr/ark:/12148/b…). Ainsi, Gautier se montre réservé à l’égard de Greuze, usager de « moyens de captation » jugés grossiers et « trop en dehors des conditions pittoresques » (« La Galerie française », Tableaux à la plume, p. 51). Parmi ces pensées plastiques, celui qui est aussi un critique dramatique témoigne sa sensibilité à l’esthétique du geste, à l’instar de ses contemporains, férus de théâtre : Baudelaire, dans son Salon de 1846, songe à Frédérick Lemaître et à Macready à propos des « gestes sublimes » de Delacroix. Ainsi, à l’Accademia, Gautier note dans un des tableaux de Carpaccio, La Vie de sainte Ursule, « le geste du jeune homme laissant glisser sur son épaule sa cape au collet de velours » (Italia, p. 253), tout comme il souligne, à propos de L’Embarquement pour Cythère, au Louvre, l’élégance d’une femme qui relève la traîne de sa robe : « Il n’y a que Watteau pour saisir au vol ces mouvements féminins » (Guide de l’amateur au musée du Louvre, p. 142).

Toujours attentif, dans son approche des œuvres, aux frémissements de son temps, Gautier n’en construit pas moins une certaine vision de l’histoire de l’art, dans l’enfilade des siècles. Celle-ci s’organise selon la muséographie naissante, accordant un rôle souverain à la notion d’« école », chacune recélant la singularité d’une maturation veillée par un environnement spécifique. L’école espagnole permet par exemple de définir cette notion, constituée « par une réunion de maîtres […] facilement reconnaissables à des habitudes spéciales de composition ou d’exécution », de tableaux « dotés d’un goût de terroir » et exprimant « en bien comme en mal une intime et sincère originalité » (« Collection de tableaux espagnols », La Presse, 24 septembre 1837). Dans la perspective de conceptions formulées avant lui, Gautier se fait l’interprète des théories du climat. Il oppose souvent l’Italie aux écoles du Nord, soulignant les bienfaits pour la première de « l’azur du ciel clair et de la mer », accordant aux secondes les apports féconds de la brume où peuvent « grouiller […] les monstrueuses imaginations des rêves légendaires » (Italia, p. 250). Amateur de voyages, Gautier est particulièrement sensible à ces questions géographiques, dont « la vapeur » a révélé l’intérêt à son siècle et permet l’adaptation au terrain artistique car « toute la terre est inconnue sous le rapport plastique » (Le Moniteur universel, 28 mai 1859). La carte de géographie dont Gautier à plusieurs reprises souligne la poésie graphique joue son rôle dans l’éclosion de ces écoles : ainsi, selon lui, l’Espagne, baignée par la Méditerranée et l’océan, séparée de l’Europe par une chaîne de montagnes, n’a subi aucune influence classique (« Le musée espagnol », Tableaux à la plume, p. 102).

Le rayonnement des écoles s’organise selon la vision cyclique de la renaissance des arts que Gautier développe en particulier dans les considérations liminaires des Beaux-Arts en Europe (1856). Au « repos » des anciennes métropoles de l’art que furent Athènes, puis Rome, succède à son époque la souveraineté de Paris. L’accès à celle-ci s’est opéré selon le mode de l’évolution dont Gautier, suivant le schéma traditionnel, expose le cheminement dans « Le Musée ancien » en 1849 (Tableaux à la plume, p. 21) : « Au début de chaque école on retrouve les lignes droites, les teintes plates, les bras collés au corps ; il y a une Égypte en tête de l’Italie, de la Flandre et de la France […]. » Des images divines, on passe à la reproduction des personnages, puis aux transformations des naturistes chez qui le paysage prend de l’importance. Au-delà n’existent plus que « le trompe-l’œil et le daguerréotype », avant le recommencement de cette évolution. Les préférences de Gautier ne sont évidemment pas tributaires de ce schéma de « progrès » et, souvent jugé conservateur dans ses goûts, il apporte sur plusieurs fronts des soutiens novateurs. Il manifeste un intérêt particulier pour les primitifs, tels ces « gothiques vénitiens » admirés à Venise, qui surprennent celui qui venait voir Titien, Véronèse et Tintoret. Si Gautier n’est pas le pionnier de cette admiration, il va dans le sens de ce courant propre à son temps qui trouve son illustration dans le mouvement nazaréen. Cette modernité apparaît aussi dans le soutien enthousiaste et inspiré qu’il apporte à l’école espagnole, trouvant des accents uniques pour décrire les moines de Zurbarán (La Presse, 24 septembre 1837). Une précocité certaine apparaît enfin dans son jugement sur le XVIIIe siècle, qu’il s’agisse du décor, rendu entre autres familier par la Bohème du Doyenné, ou des peintres de Venise, Canaletto ou les Tiepolo.

Cette vision de l’histoire de l’art, cohérente, reste toujours portée par l’approche des œuvres, par l’œil et la sensibilité plus que par l’abstraction des théories esthétiques. Le texte écrit par Gautier dans la Revue des deux mondes en 1847, repris dans L’Art moderne en 1856, à propos de l’ouvrage de Rodolphe Töppfer, Réflexions et menus propos d’un peintre genevois, témoigne de ses réticences : « Combien de dissertations esthétiques n’ont servi qu’à ennuyer les gens du monde ou à faire briller la souplesse de quelques rhéteurs ! […] Les grands artistes s’en sont médiocrement occupés, et l’on peut dire qu’ils y étaient tout à fait étrangers aux plus glorieuses époques de l’art » (« Du Beau dans l’art », L’Art moderne, 1856, p. 165).

Informée par les publications contemporaines, approchée par la fréquentation des collections, contextualisée par la pratique viatique, l’histoire de l’art occupe ainsi une place distincte et visible dans l’œuvre de Gautier. On ne saurait toutefois sous-estimer son étroite association avec la création littéraire qui s’en inspire dès les premiers ouvrages, comme en témoigne le goût du rococo dans Omphale (1834) ou l’évocation de Dürer dans le poème Melancholia (1834). La frontière est ténue entre la fiction et l’histoire : le « feuilleton » de 1836 dans La Presse qui décrit, d’après sa traduction sur cuivre, le passage du Thermodon représenté par Rubens annonce le poème publié en 1838 dans La Comédie de la mort où l’auteur entend dans son cabinet « la gravure sonner comme une vieille armure ». Comme pour beaucoup d’auteurs du XIXe siècle, l’histoire de l’art chez Gautier est aussi matériau littéraire : il en nourrit sa création, il « l’incorpore à sa pâte ».

Christine Peltre, professeur d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Les Grotesques. Paris : Desessart, 1844, 2 vol.
  • Voyage en Espagne. Paris : Charpentier, 1845.
  • Les Noces de Cana, de Paul Véronèse, gravure au burin par Z. Prévost, notice par Théophile Gautier, précédée de la biographie de Paul Véronèse par Frédéric Villot. Paris : Goupil, s. d. [1852].
  • Caprices et zigzags. Paris : V. Lecou, 1852.
  • Italia. Paris : V. Lecou, 1852.
  • Constantinople. Paris : Michel Levy, 1854.
  • L’Art moderne. Paris : Michel Levy, 1856.
  • Les Beaux-arts en Europe. Paris : Michel Levy, 1856, 2 vol.
  • Trésors d’art de la Russie ancienne et moderne. Paris : Gide, 1861-1866.
  • Les Dieux et les demi-dieux de la peinture. Paris : Morizot, 1863.
  • Voyage en Russie. Paris : Charpentier, 1867.
  • Fusains et eaux-fortes. Paris : Charpentier, 1880.
  • Tableaux à la plume. Paris : Charpentier, 1880 (http://gallica2.bnf.fr/ark:/12148/b…).
  • Guide de l’amateur au musée du Louvre, suivi de La Vie et les Œuvres de quelques peintres. Paris : Charpentier, 1882 ; 2e éd. Paris : Séguier, 1994.
  • Correspondance générale (1818-1872). Lacoste-Veysseyre Claudine éd. Genève ; Paris : Droz, 1985-2000, 12 vol.

Articles
Feuilletons écrits par Gautier dans les divers journaux et revues entre 1831 et 1872. En l’absence d’une édition exhaustive, voir les recueils partiels, cités ci-dessus et, pour la période 1831-1840, la thèse de Francis Moulinat (1994).

Bibliographie critique sélective

  • Spencer Michael-Clifford. – The Art Criticism of Theophile Gautier. Genève : Droz, 1969.
  • Snell Robert. – A Romantic critic of the Visual Arts. Oxford : Clarendon Press, 1982.
  • Théophile Gautier, l’art et l’artiste : actes du colloque international, Montpellier, septembre 1982, numéro spécial du Bulletin de la Société Théophile Gautier. Montpellier : Société Théophile Gautier ; université Paul Valéry, 1982, 2 vol.
  • Lacoste-Veysseyre Claudine. – La Critique d’art de Théophile Gautier. Montpellier, 1985.
  • Montandon Alain. – « Gautier et Watteau ». In Moureau François et Morgan-Grasselli Margaret, dir., Antoine Watteau (1684-1721), le peintre, son temps et sa légende : actes du colloque international, Paris, octobre 1984. Paris : Champion ; Genève : Slatkine, 1987, p. 301-308.
  • Moulinat Francis. – Théophile Gautier, critique d’art, dans les années 1830. Thèse de doctorat de l’université de Paris IV, 1994, 3 vol.
  • Guégan Stéphane et Yon Jean-Claude, éd. – Théophile Gautier, la critique en liberté : [catalogue de l’exposition], Paris, musée d’Orsay, 18 février-18 mai 1997. Paris : Réunion des musées nationaux, 1997.
  • Girard Marie-Hélène. – « Présentation ». In Girard Marie-Hélène, éd., Italia. Voyage en Italie. Paris : La Boîte à documents, 1997, p. 7-23.
  • Peltre Christine. – « Les “ Guide-ânes ” des Salons du XIXe siècle : entre critique et voyage ». In Chabaud Gilles et al., éd., Les Guides imprimés du XVIe au XXe siècle : Villes, paysages, voyages. Paris : Belin, 2000, p. 189-198.
  • Girard Marie-Hélène. – « Gautier et la religion de l’art ». In Rappresentazioni del sacro nel romanticismo francese. Moncalieri : Centro Interuniversitario di ricerche sul viaggio in Italia, 2002, p. 247-268.
  • « Gautier et l’architecture ». Bulletin de la Société Théophile Gautier, 2002, n° 24.
  • Bann Stephen. – « Entre philosophie et critique : Victor Cousin, Théophile Gautier et l’art pour l’art ». In Frangne Pierre-Henry et Poinsot Jean-Marc, dir., L’Invention de la critique d’art. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 137-144.
  • Tortonese Paolo. – « Théophile Gautier, écrivain archéologue ». In Basch Sophie, éd., La Métamorphose des ruines : actes du colloque international organisé à l’École française d’Athènes, 27-28 avril 2001. Athènes : École française d’Athènes, 2004, p. 85-93.
  • Drost Wolfgang et Girard Marie-Hélène. – Gautier et l’Allemagne. Siegen : Universitätsverlag, 2005.
  • Drost Wolfgang. – « Le Sens de l’antique et le sentiment moderne dans la critique d’art de Théophile Gautier ». Revue des sciences humaines, 277, 2005, p. 135-153.
  • Tortonese Paolo. – Bibliographie de la critique sur Théophile Gautier, site de la Société Théophile Gautier : http://www.theophilegautier.net/cad….

Sources identifiées

Paris, bibliothèque de l’Institut de France

  • Fonds Spoelberch de Lovenjoul
    • C-402 à C-467 : œuvres
    • C-468 à C-500 : correspondance
    • C-501 à C-516 : documents divers

En complément : Voir la notice dans AGORHA