Félix Nadar (atelier), Léon Gozlan, 1900, photographie posée sur un papier albuminé d'après un négatif sur verre, Paris, Bibliothèque nationale de France.

Auteur(s) de la notice :

MANCEAU Nathalie

Profession ou activité principale

Hommes de lettres et journaliste

Autres activités
Historien de l’art

Sujets d’étude
Peinture espagnole, Antoine Watteau, châteaux français, Jacques Callot

Carrière
1828 : s’installe à Paris et débute une carrière de journaliste
1830 : entre au Figaro
1836 : publie son premier roman important, Le Notaire de Chantilly ou les Influences
31 décembre 1837 : membre du comité provisoire de la Société des gens de lettres
16 avril 1838 : membre du comité définitif de la Société des gens de lettres
1839 : première édition des Tourelles ; plusieurs extraits avaient été publiés dans la Revue de Paris depuis 1836 et dans la Revue des deux mondes
1842 : commence à écrire pour le théâtre
1849 : visite Bruxelles et Anvers
1852 : première publication de Balzac chez lui. Souvenirs des Jardies. Il y aura plusieurs réédition sous le même titre ou sous le titre Balzac en pantoufles
1857 : réédition des Tourelles sous le titre Les Tourelles. Histoire des châteaux de France

Chevalier de la Légion d’honneur (1846) ; officier de la Légion d’honneur (1859) ; membre et président de la Société des gens de lettres ; membre de la Société des auteurs dramatiques ; membre de l’Association des compositeurs et auteurs dramatiques

Étude critique

Léon Gozlan fait partie de la nébuleuse des hommes de lettres du XIXe siècle aujourd’hui grandement oubliés. Journaliste, il collabore à de nombreux périodiques, écrit des portraits politiques, des critiques littéraires et théâtrales. Il publie également des contes et des nouvelles, des pièces de théâtre, et a pour ambition d’être romancier. Ami et peut-être nègre d’Honoré de Balzac, il fait paraître après la mort de ce dernier un recueil de témoignages sur le grand homme. Quant à ses travaux portant sur l’art, ils sont épars.

Les Châteaux de France est un projet ambitieux, à la visée historique et politique. Il souhaite établir « une collection monumentale » en sélectionnant des châteaux qui seraient représentatifs d’une époque, qui auraient servi de cadre à des événements d’importance nationale, où auraient vécu des figures françaises d’envergure. Lui-même écrit sur Rambouillet, Luciennes, Chantilly, etc. Il traite ces lieux comme des décors de ces événements, en les évoquant plus qu’en les décrivant. Il s’agit d’une histoire abondante en anecdotes, vraies ou fausses, loin de toute érudition. Il a visité les lieux, consulté ouvrages et archives, mais mêle ces informations dans un récit romanesque qui uniformise ses sources. Il a à cœur de ranimer les figures aristocratiques du passé, en persiflant les nouveaux propriétaires, bourgeois, de ces demeures.

C’est probablement lors de sa visite à Chantilly que Gozlan a vu les peintures de singeries, alors attribuées à Antoine Watteau (aujourd’hui à Christophe Huet), et qu’il découvre cet artiste et lui consacre un article. Là encore, il est peu historique et ne mentionne que Le Pèlerinage à Cythère (conservé au Louvre), sans doute le seul tableau de lui qu’il ait réellement vu. Gozlan dénonce en termes vifs « l’école désastreuse » de David qui aurait méprisé les bergères de Watteau et affirme ainsi – en totale cohérence avec les positions prises lors de l’écriture des Tourelles – un goût très net pour le rococo. Et s’il apprécie le peintre, il hésite à le considérer pleinement comme un artiste sérieux : « Il a peut-être manqué à Watteau, pour achever en lui la puissance de l’artiste, une meilleure santé ou un grand malheur. » Il fait le portrait du peintre en un être maladif (reprenant en cela les biographies précédentes) et présente ses figures comme de « jolis squelettes […] condamnées à mourir de la poitrine » comme leur créateur. Cette évocation d’un artiste pauvre et mort jeune a tout pour plaire à la génération romantique et annonce la vision mélancolique de ce peintre. Watteau incarne seul la Régence et tout le siècle ; cet article est à rapprocher des textes d’auteurs comme Théophile Gautier qui se créent un XVIIIe siècle de toutes pièces et ressuscitent comme un paradis perdu un passé aristocratique, devenu un symbole d’opposition à la bourgeoisie et au matérialisme de leur temps. Gozlan est l’un des premiers à écrire sur Watteau et ses critères d’appréciations, marqués par le romantisme littéraire, seront repris.

Sur un tout autre sujet, deux articles saluent en 1838 l’inauguration de la Galerie espagnole au Louvre par Louis-Philippe. Pour le public français, c’est une révélation, et Gozlan n’échappe pas à la règle. Conscient sans doute de son ignorance, il appuie ses textes sur le Diccionario historico de Juan Agustín Ceán Bermúdez, paru en 1800, ouvrage qu’il cite presque mot pour mot. Il mentionne plusieurs noms d’artistes mais n’en commente effectivement que très peu. Il émet tout d’abord une opinion sur l’ensemble de l’école, fortement marquée par une image romantique et stéréotypée de l’Espagne (ainsi dans les portraits se mêleraient « dignité sauvage » et « indomptable fierté »). Lors de son second article, il s’intéresse à trois artistes sévillans, Alonso Cano, Bartolomé Esteban Murillo et Francisco de Zurbarán. Cano séduit Gozlan par « son âme de feu » et sa vie mouvementée ; l’auteur rapporte, en suivant à la lettre Ceán Bermúdez, sa formation, ses travaux importants, ses élèves et les anecdotes sanglantes le concernant, tout en pointant du doigt leur caractère hypothétique. Il se penche ensuite sur ses tableaux exposés au Louvre, sans analyser techniquement des œuvres qu’il loue pourtant vigoureusement. Le deuxième artiste à être mis en valeur est Murillo. Parmi les tableaux qui l’impressionnent, La Vierge à la ceinture permet un rapprochement avec Raphaël, et fait de lui le peintre des vierges douces. L’article s’achève avec Zurbarán, véritable révélation, représenté par quatre-vingts tableaux dont plusieurs de grande qualité. Il est, pour les critiques, le peintre de deux personnages opposés, le moine et la sainte. Gozlan, contrairement aux autres, s’attarde peu sur le tableau Saint François à genoux avec une tête de mort (Londres, National Gallery), se bornant à évoquer la présence d’un « moine en prières. » Ces deux articles expriment en premier lieu l’enthousiasme individuel et collectif face à un choc visuel, le désir de se documenter est évident et se traduit par l’usage systématique d’un ouvrage de référence, mais l’absence de véritable analyse d’œuvre est flagrante. L’accent est mis sur la vie des artistes, présentés comme des personnages romantiques, tourmentés et maudits.

Un dernier exemple, très représentatif de l’intérêt de Gozlan pour le pittoresque, est constitué par les articles sur Jacques Callot, parus une première fois en 1839. Ainsi, il cite les Entretiens d’André Félibien qui rapporte que l’artiste aurait fait le voyage d’Italie à onze ans, en compagnie de bohémiens. Gozlan prend le soin de donner son avis sur cet épisode (« nous avons conclu que le fait était discutable à tous les titres ») mais ne résiste pas au plaisir d’une longue évocation haute en couleurs, extrêmement marquée par l’imaginaire romantique, de ces bohémiens. Ce qui est cependant notable, c’est que là encore il semble être légèrement précurseur. La chronologie est révélatrice : en 1828, l’éloge de Callot est prononcé à l’Académie Stanislas par Des Maretz ; en 1841, Élisa Voïart, nancéenne, publie à Paris Jacques Callot ; en 1877, à Nancy, une statue est érigée à sa gloire. Et à partir de 1850, la Société d’archéologie de Lorraine de Nancy publie les premiers documents d’archives. Gozlan n’est ni historien ni lorrain, ses articles se situent donc en marge de ce mouvement, mais, comme pour Watteau, il participe de la redécouverte d’un artiste français, en précédant de quelques années les ouvrages majeurs. Il est dommage, à nos yeux, que ses textes restent souvent au niveau anecdotique, nous apprenant beaucoup plus sur la réception des arts par la génération romantique que sur les artistes eux-mêmes.

L’intérêt de Gozlan pour les arts n’est donc pas celui d’un véritable érudit, mais correspond beaucoup plus à la curiosité de l’homme cultivé. L’écrivain estime qu’il est de son devoir, en plus de commenter l’actualité littéraire et théâtrale, de participer aux créations littéraires de son temps, de redécouvrir des artistes français du passé et de saluer les inaugurations de musées (il rédige aussi un article sur le musée de Marine et sur le musée du château de Versailles). Toutefois, l’œuvre d’art est surtout un moyen d’évoquer de façon vivante un passé disparu, et le texte historique construit plus comme un roman que comme un modèle d’érudition met en valeur avant tout ses qualités d’homme de lettres.

Nathalie Manceau, doctorante en histoire de l’art, université de Paris X Nanterre

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Les Tourelles. Les Châteaux de France. Paris : Michel Lévy frères, 1857.

Articles

  • « Le Musée de marine ». L’Artiste, 1836, t. XII, p. 201-206.
  • « Le Musée espagnol à Paris ». La Revue de Paris, mai 1837, t. XXXXI, p. 107-120, 283-296.
  • « Fêtes de Versailles ». La Revue de Paris, juin 1837, p. 137-166.
  • « Antoine Watteau ». L’Artiste, 1838, t. XVI (série 2, t. I), p. 156-162.
  • « Jacques Callot ». L’Artiste, 1839, t. XVIII (série 2, t. III), p. 23-26, 55-58 ; 1866, 1 (nouvelle période, t. IX), p. 73-76 ; 1866, 2 (nouvelle période, t. IX), p. 5-8.
  • « Secrétaire de Henri IV et commode de Marie de Médicis, meubles florentins du seizième siècle, retrouvés par M. de Balzac ». Musée des familles : lectures du soir, août 1846, vol. 11, p. 321-324.

Bibliographie critique sélective

  • Audebrand Philibert. – Léon Gozlan, scènes de la vie littéraire (1828-1865). Genève : Slatkine reprints, 1970 (réimpression de l’éd. de Paris, s. d.).
  • Guinard Paul. – « Zurbarán et la découverte de la peinture espagnole en France sous Louis-Philippe ». Hommage à Ernest Martinenche. Paris : Éditions d’Artrey, 1939, p. 23-33.
  • Posner Donald. – « Watteau mélancolique : la formation d’un mythe ». Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1973, p. 345- 361.
  • Jones Shirley. – « Vues sur Cythère… Watteau et la critique romantique du XIXe siècle ». Revue des sciences humaines, n° 157, 1975-1, p. 5-21.
  • Baticle Jeannine et Marinas Cristina. – La Galerie espagnole de Louis-Philippe au Louvre 1838-1848. Paris : Réunion des musées nationaux, 1981.
  • Guze Justyna. – « Watteau w oczach romantykow francuskich z kregu Boheme Galante » Biuletyn historii sztuki, 1989, vol. 51, n° 3-4, p. 267-272. -* Charpentier Françoise-Thérèse. – « De la fortune critique de Jacques Callot au XIXe siècle ». In Jacques Callot (1592-1635). Actes du colloque organisé par le Service culturel du musée du Louvre et la ville de Nancy à Paris et à Nancy les 25, 26 et 27 juin 1992. Paris : Louvre ; Klincksieck, 1993, p. 571-592.
  • Géal Pierre. – « L’invention de l’école espagnole de peinture aux XVIIIe et XIXe siècles » Cahiers du GRIMH. Image et hispanité, n° 1, 1999, p. 193-303.
  • Manet-Velázquez. La manière espagnole au XIXe siècle. Catalogue d’exposition. Paris, musée d’Orsay, 16 septembre 2002-5 janvier 2003 et New-York, The Metropolitan Museum of Art, 24 février-8 juin 2003. Paris : Réunion des Musées Nationaux, 2002.

Sources identifiées

Marseille, Archives municipales

  • Microfilm 1E196 (acte de naissance)

Paris, archives de la Ville de Paris

  • Microfilm 5Mi3/684 (acte de décès)

Paris, Archives nationales

  • Légion d’honneur, dossier n° L 1183093
  • Fonds de la Société des gens de lettres, 454 AP 1-455

En complément : Voir la notice dans AGORHA