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LECARPENTIER, Charles-Jacques-François
Mis à jour le 28 septembre 2009
(1744, Pont-Audemer – 1822, Rouen)
Auteur(s) de la notice :
MARTIN Catherine
Profession ou activité principale
Professeur de l’École de dessin et de peinture de Rouen, peintre
Autres activités
Historien de l’art
Sujets d’étude
Peinture française, italienne, flamande et hollandaise, peintres du XVe au XIXe siècle, arts décoratifs, hiérarchie des genres et techniques du paysage, histoire de l’art du paysage de l’Antiquité au XIXe siècle
Carrière
Élève de Gabriel François Doyen (1726-1806) et de Jean-Baptiste Descamps à Paris
S’établit à Rouen et y est professeur à l’École des beaux-arts. Maître du peintre et sculpteur Paul Claude Michel Lecarpentier, dit Carpentier après 1824
1801 : expose au Salon Grotte éclairée à travers le feuillage par un accident de soleil, avec figures et animaux
1802 : expose au Salon Clair de lune par une mer agitée (dessin, musée de Rouen)
1810 : publie son premier ouvrage important, Galerie des peintres
1817 : publie son Essai sur le paysage
Membre de l’Académie royale des sciences, arts et belles-lettres de Rouen, de la Société d’émulation de la même ville, de l’Athénée des arts, de la Société philotechnique de Paris, de l’Académie de Caen
Étude critique
En 1817, l’Académie royale des beaux-arts crée le premier Grand Prix de Rome de paysage historique, signe évident d’une classification par genre de plus en plus périlleuse. Des historiens d’art, des critiques et des artistes souhaitent une ouverture des premiers rangs, et non l’abolition de la hiérarchie. En Angleterre et en Allemagne, le paysage est déjà reconnu en tant que tel. La France du début du XIXe siècle est encore au stade des débats.
Charles Jacques François Lecarpentier est l’un des premiers à prendre la mesure de l’apport d’une étude de la nature en tant que telle pour les artistes. Peintre de paysage, il devient historien d’art dans ses écrits sur ce même sujet. Ses publications de jeunesse l’amènent à définir une généalogie du paysage en France et en Europe. Des artistes comme Nicolas Poussin ou Raphaël, cités traditionnellement comme bases de la généalogie de l’art européen en tant que peintres d’histoire, sont dans les écrits de Lecarpentier appréhendés dans leur rapport à la nature, utilisé comme ciment technique. Cette vision est appelée à une forte postérité et la rend ainsi très novatrice dans le cadre des recherches de l’époque, qui sont alors essentiellement tournées vers le maintien de l’histoire universelle face à la contemporanéité fraîchement affirmée par les romantiques. Dans le même esprit d’ouverture, Lecarpentier ne reprend pas la traditionnelle séparation entre arts mineurs et arts majeurs par le biais de ses éloges funèbres lus en séance publique à la Société d’émulation de Rouen. Il place au premier plan les problèmes techniques. L’art du sculpteur sur ivoire Bouteiller est un mystère. Comment cet artiste pratiquement autodidacte a-t-il pu atteindre un tel degré de perfection dans ses figures nues si l’enseignement académique est le seul qui soit véritablement valable ? La question de l’allégeance à la nature comme référent formateur est clairement posée, sans qu’aucun postulat direct ou indirect ne soit pas évident. La Vérité passe par une référence exacte à la nature. L’art du sculpteur, ou de tout autre artiste au sens large du terme, repose sur son adresse, sa capacité à atteindre l’harmonie, sa justesse et donc, sur un talent inné à reproduire les beautés de la nature. Sa vision est celle d’un romantique, disciple de Jean-Jacques Rousseau et de la pensée anglophile en matière de jardins et de nature sauvage. L’artiste est celui qui est capable d’extraire la quintessence de la nature à travers ses œuvres quel que soit le sujet ou le matériau employé.
Le discours de Lecarpentier est identique quel que soit l’artiste abordé, de Rembrandt à Poussin. Le paysage est un genre spécifique, mais qui procède de règles comparables à celles de l’histoire. Il peut ainsi légitimement s’en approcher. Lecarpentier se rapproche de critiques et de théoriciens de son époque comme Jean-Baptiste Desperthes, auteur d’une Théorie du paysage publiée en 1818, Auguste-Hilarion de Kératry et son Du Beau dans les arts d’imitation avec un examen raisonné des diverses écoles de peinture, publié en 1822, ainsi que d’Antoine Quatremère de Quincy avec son Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, paru en 1823. Comme l’ouvrage de Desperthes, l’Essai sur le paysage publié en 1817 est un guide théorique de l’artiste, une sorte de traité pédagogique. Il est accompagné d’une histoire de l’art du paysage de l’Antiquité à l’époque contemporaine afin de fournir un support comparatif, qui doit permettre au jeune élève de se déterminer par rapport à ses propres talents, dans le cadre rassurant de la marche générale de l’art. La démarche est classique, les références citées le sont moins. Lecarpentier divise le paysage en différents genres selon quatre parties bien distinctes et hiérarchisées : le paysage héroïque, proche de l’histoire, le genre pastoral, dans la lignée des œuvres de Théocrite et de Virgile, ce qu’il qualifie d’imitation pure et simple de la nature chez les Flamands et les Hollandais, avec ou sans figures ou animaux, et enfin, le genre des marines. Il prône une approche plus instinctive, plus sensible des éléments naturels, ce qui le place aux côtés des jeunes romantiques. Les conventions académiques ne fonctionnent pas dans le cadre de l’irrégularité du paysage. L’universalité est dans la beauté de la référence, non dans la façon de l’aborder. Son expérience l’amène à des ouvertures vers le travail en plein air, l’étude sur le scintillement de la nature mouillée sous l’effet de la lumière ou sur les éléments atmosphériques et leur conséquence dans le rendu des paysages. Il consacre ainsi plusieurs parties de son Essai aux nuages, aux différents moments de la journée et aux saisons. Soixante-douze notices de peintres de paysage complètent le texte, tel un miroir de l’histoire de l’art du paysage, parallèle à celle du grand genre. Ces notices ont été publiées successivement, puis réunies en 1821 dans deux volumes chez le même éditeur sous le titre de Galerie des peintres célèbres.
L’Essai et la Galerie sont les deux plus importantes contributions de Lecarpentier à l’histoire de l’art. Raphaël et Poussin restent les modèles de perfection à atteindre. Lecarpentier profite de ses ouvrages théoriques pour défendre les écoles des beaux-arts tout en accordant une place prépondérante à la personnalité et à la formation individuelle. La formation d’un paysagiste doit être un dosage savant entre apprentissage du dessin et démarche sélective sur le motif. Sa Galerie des peintres célèbres montre qu’il ne nie pas le maniérisme et qu’il s’intéresse aux peintres de la couleur et de ce qu’il appelle, comme ses contemporains, « la grande manière », avec par exemple Le Dominiquin et les Vénitiens. Il tente de rompre avec les traditionnelles vies d’artistes, pour se tourner vers une étude plus technique des genres abordés par chaque artiste, en intégrant une étude stylistique chronologique. Si l’anecdote est présente, plagiant parfois les Vies de Giorgio Vasari dans l’approche biographique comme dans les larges citations, l’ambition affichée et la qualité de l’analyse formelle de certaines œuvres de Michel-Ange ou de Poussin, la volonté d’offrir une mise en perspective aux jeunes artistes en devenir, le placent parmi les premiers historiens de l’art du paysage en France et en Europe. Son champ d’étude commence dans ce cas précis à Léonard de Vinci et s’achève au XVIIIe siècle, tous pays confondus. Chaque fiche se développe selon un plan identique qui s’ouvre par une courte introduction faite d’éloges généraux, puis se poursuit soit par une suite d’analyses d’œuvres, soit par le récit de la carrière de l’artiste associant étroitement vie et œuvre. Le style du peintre est donc évoqué plus ou moins longuement à travers les commentaires d’œuvres choisies. Les biographies ne sont en effet pas exhaustives.
Le regard de Lecarpentier évolue de celui d’un homme des Lumières, érudit, amateur d’art, praticien et enseignant, développant l’idée d’une histoire de l’art cyclique traditionnelle dans son Discours de 1807, vers une pensée proche d’un courant fondamental pour l’histoire de l’art du XIXe siècle, intégrant l’idée de progrès et de sensibilité à une certaine idée de nature. Dès 1817, le goût pour la nature comme source d’inspiration et de renouvellement, modèle concret et tabernacle renfermant la Beauté et le Sublime se rencontrent dans ses ouvrages, tout en suggérant l’envie naissante de peindre directement sur le motif à la suite d’idées appliquées notamment par John Constable.
Catherine Martin, docteur en histoire de l’art
Principales publications
- Éloge historique du Poussin, par C. Lecarpentier : lu dans la séance publique de la Société libre d’émulation de Rouen. Rouen : V. Guilbert, 1805.
- Précis sur David Téniers, par C. Lecarpentier : lu le 1er février, dans la séance de la Société libre d’émulation. Rouen : V. Guilbert, an XIV.
- Suite des remarques sur quelques peintres de différentes écoles : lues, le 1er mars dans la séance de la Société libre d’émulation de Rouen, par C. Lecarpentier… Wouwermans. Rouen : V. Guilbert, an XIV.
- Essai historique sur Sébastien Bourdon : lu à l’Institut, dans la séance de la classe des beaux-arts du 25 octobre 1806, Galerie des peintres célèbres. Rouen : V. Guilbert, 1806.
- Notice sur Honoré Fragonard. Rouen : V. Guilbert, [daté 1806 par une note manuscrite].
- Discours sur les causes de la chute des arts, et de leur renaissance en Europe. Rouen : V. Guilbert, 1807.
- Philippe de Champagne : suite de la galerie des peintres célèbres. Rouen : V. Guilbert, 1807.
- Notice sur François Doyen, peintre (1726-1806). Rouen : V. Guilbert, 1809.
- Notice nécrologique sur feu M. Masquelier, graveur à Paris, associé correspondant de la Société d’émulation de Rouen : lue dans la séance du 1er juillet 1811. Rouen : P. Périaux, 1811.
- Notice nécrologique sur M. Bouteiller, sculpteur en ivoire : lue dans la séance publique de la Société d’émulation de Rouen, le 9 juin 1812, par M. Lecarpentier. Rouen : F. Baudry, 1812.
- Notice sur M. Houel, peintre : lue le 1er décembre 1813, à la Société libre d’émulation de Rouen. Rouen : F. Baudry, 1813.
- Domenico Zampiéri, dit le Dominiquin. Rouen : F. Baudry, 1813.
- Rembrandt Van Ryn : né en 1606 près Leyden, mort à Amsterdam en 1674, suite de la Galerie des peintres célèbres. Rouen : F. Baudry, 1814.
- Antoine Watteau. Rouen : F. Baudry, 1815.
- Itinéraire de Rouen : Guide des voyageurs, Rouen, F. Baudry, 1816.
- Paul Caliari Véronèse : suite de la galerie des peintres célèbres. Rouen : F. Baudry, 1816.
- Essai sur le paysage : dans lequel on traite des diverses méthodes pour se conduire dans l’étude du paysage suivi de courtes notices sur les plus habiles peintres de ce genre. Paris : Treuttel et Wurtz, 1817.
- L’Albane, peintre : suite de la galerie des peintres célèbres. Rouen : F. Baudry, 1818.
- Galerie des peintres célèbres : avec des remarques sur le genre de chaque maître. Paris : Treuttel et Wurtz, 1821, 2 vol.
- Notice nécrologique sur M. Bervic, graveur : lue à la séance publique de la Société libre d’émulation de Rouen, le 10 juin 1822. Rouen : F. Baudry, 1822.
Bibliographie critique sélective
- Gabet Charles. – « Charles Jacques François Lecarpentier ». In Dictionnaire des artistes de l’école française au XIXe siècle. Paris, 1831.
- Auvray Louis. – « Charles Jacques François Lecarpentier ». In Dictionnaire général des artistes de l’école française depuis l’origine des arts du dessin jusqu’à nos jours. Paris, vol. 2, 1882-1885.
- Bénézit Emmanuel. – « Charles Jacques François Lecarpentier ». In Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Paris : Librairie Gründ, 1999.
Sources identifiées
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Imprimés
- Paris : lettre manuscrite concernant son Philippe de Champagne, 1807