Auteur(s) de la notice :

RITZ-GUILBERT Anne

Profession ou activité principale

Archiviste

Autres activités
Professeur d’histoire

Sujets d’étude
Art médiéval, manuscrits enluminés, roi René d’Anjou, sceaux, prédication médiévale, Académie de France à Rome

Carrière
1858 : entre à l’École nationale des chartes
1861 : reçu archiviste paléographe
1861-1864 : archiviste à Annecy (Haute-Savoie)
1861 : membre de la Société florimontane (Annecy)
1864-1897 : archiviste aux Archives nationales, section administrative (1864), puis section historique (1882), nommé sous-chef de la section historique (1892)
1877-1880 : professeur d’histoire à l’Institut catholique de Paris
1884 : lance des conférences pour l’enseignement supérieur des jeunes filles à la salle Albert-le-Grand, puis à l’hôtel de la Société de géographie
1885 : entre à la Société des antiquaires de France

Étude critique

Chez le médiéviste Richard-Albert Lecoy de La Marche, l’histoire de l’art apparaît comme l’une des multiples facettes d’une œuvre scientifique très éclectique et originale. Elle occupe dans sa carrière d’érudit une place comparable à celle de l’histoire de la prédication médiévale, de la diplomatie ou encore, exercice de prédilection du savant, à celle de la critique historique de textes.

C’est essentiellement par le biais des fonds d’archives que le jeune chartiste Lecoy de La Marche aborde le domaine des arts. Lorsqu’en 1864, alors qu’il est en poste aux archives de Haute-Savoie et que Léon de Laborde l’appelle pour rejoindre les Archives nationales, il lui est confié le classement des archives de la maison d’Anjou. Cette plongée au cœur des comptes et inventaires d’un mécène et artiste hors du commun devait aboutir en 1873 à la publication d’Extraits des comptes et mémoriaux du roi René pour servir à l’histoire des arts du XVe siècle, suivi deux ans plus tard de la somme en trois volumes Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires. Ce dernier ouvrage, récompensé par le prestigieux prix Gobert de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, reflète non seulement la méthode du savant, une synthèse fondée sur la critique et l’interprétation des sources, mais elle laisse entrevoir « l’audace » scientifique qui imprègne l’ensemble de son œuvre. À partir des pièces d’archives justificatives qu’il prend soin de transcrire en note ou à la fin de son ouvrage, Lecoy de La Marche restitue le portrait du roi René dans le contexte politique, administratif et artistique du XVe siècle. Il revient ainsi sur la personnalité d’un prince médiéval que des publications encore récentes, comme celle de Villeneuve-Bargemont en 1825 ou celle de Quatrebarbes en 1845-1846, maintenaient dans une légende édulcorée.

L’audace de Lecoy de La Marche ne se limite pas à bousculer les poncifs, elle se manifeste aussi par le choix de ses domaines de recherche. À l’occasion de la réédition de textes traduits par le savant et publié sous le titre Le Rire du prédicateur, Jacques Berlioz souligne en annexe le caractère profondément original des travaux de l’érudit sur la prédication médiévale : un champ d’étude totalement ignoré, des textes inédits, une analyse de la société médiévale à partir des sermons révélant une intuition scientifique d’une grande modernité.

En ce qui concerne les arts, le constat est identique. Lecoy de La Marche s’intéresse à des domaines de l’art médiéval peu explorés : celui des sceaux en tant que manifestation artistique, par exemple (un point de vue peu apprécié par ses collègues sigillographes spécialistes de la diplomatique), mais surtout celui des manuscrits enluminés.

Lorsqu’il publie en 1884 son premier livre sur le sujet, Les Manuscrits et la Miniature dans la « Bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts », le savant rappelle en introduction que « la science de l’enluminure est encore une science à créer, et ce ne sera pas une des branches les moins fécondes de l’archéologie lorsqu’elle sera cultivée avec l’attention qu’elle mérite » (p. 117). Certes, un grand érudit avant lui, Auguste de Bastard d’Estang, avait tenté de sortir de l’ignorance l’art de l’enluminure. Lecoy de La Marche reconnaît du reste sa dette envers lui : « un homme de goût, d’érudition et de loisir avait entrepris cette création (la science de l’enluminure), il y a une quarantaine d’années » (p. 117). Mais des événements politiques et financiers empêchèrent Bastard d’Estang de publier tous les volumes de planches prévus de Peinture et Ornements des manuscrits du IVe au XVIe siècle et le texte raisonné qui devait synthétiser sa pensée ne fut jamais présenté au public. Outre cette grande entreprise avortée, Lecoy de La Marche estime le reste des publications sur l’enluminure « à des aperçus généraux d’un caractère assez vague et à des monographies trop peu nombreuses » (p. 117). Il est vrai par exemple que l’ouvrage publié en 1857 par Ferdinand Denis, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève, Histoire de l’ornementation des manuscrits, en dépit d’un effort de synthèse des connaissances acquises sur le sujet – il cite entre autre Bastard – reste un survol et laisse un sentiment de grande confusion. Lecoy de La Marche n’évoquera d’ailleurs Ferdinand Denis qu’une seule fois en note, sans même mentionner le nom de son ouvrage, à propos d’un emploi exagéré du terme « byzantin » : « On a parlé de l’influence byzantine, du goût byzantin, de la mode de Byzance. Cette terminologie a fini par devenir encombrante » (p. 126). Dans Les Manuscrits et la Miniature, l’art de l’enluminure est traité comme un des aspects de l’histoire du livre manuscrit et occupe trois chapitres parmi ceux consacrés à la codicologie, à l’écriture, aux techniques et aux métiers du livre. Après avoir discuté des termes du lexique propre au domaine concerné, le savant propose une classification géographique et chronologique des œuvres en distinguant deux phases principales dans l’histoire de l’enluminure : une phase hiératique, depuis l’époque mérovingienne jusqu’à la période romane, puis une phase naturaliste, de la période gothique à la Renaissance. Si sa démarche s’imprègne du positivisme ambiant, elle crée néanmoins un repère pour les publications ultérieures. Elle marque indubitablement un tournant dans l’histoire de l’enluminure et annonce le foisonnement des études de la génération suivante avec par exemple celles de Paul Durrieu ou celles de Henri Bouchot. Les Manuscrits et la Miniature est un ouvrage savant, qui propose une synthèse étayée innovante et ose aborder des thèmes aussi peu valorisés que le décor secondaire filigrané par exemple, mais il est avant tout, en raison de sa forme illustrée par de nombreux dessins gravés et de sa clarté, un ouvrage pédagogique destiné au grand public.

Le goût de la vulgarisation fait partie intégrante de l’œuvre du savant. Sa facilité d’écriture reconnue par ses confrères et sans doute son expérience d’enseignement en furent les atouts majeurs. À sa mort, Ernest Babelon le souligne dans sa notice nécrologique : « Érudit de profession, Lecoy de La Marche voulut viser le grand public ; il eut le talent de l’atteindre et de mettre à sa portée des découvertes scientifiques, qui seraient vaines et inutiles si elles devaient rester l’apanage des savants qui les ont faites. »

Vulgarisateur éclectique et original, Lecoy de La Marche est aussi un catholique fervent et grand polémiste. Son adhésion, dès sa fondation en 1866, à la Revue des questions historiques – il publiera Amédée VIII et son séjour à Ripaille dans le premier numéro –, l’inclut dans cette génération de chartistes tournée vers Rome, luttant contre les rationalistes de la Revue critique ou de la Revue historique. C’est ainsi qu’il engagera contre Gabriel Monod une joute enflammée à propos du Saint Martin qu’il publie en 1890.

Lecoy de La Marche meurt prématurément en 1897 à l’âge de 57 ans, laissant une bibliographie considérable et travaillant jusqu’au bout, malgré la maladie, aux Archives nationales. Il laisse inachevée sa dernière entreprise de longue haleine, l’inventaire du Supplément du Trésor des chartes.

Anne Ritz-Guilbert, docteur en histoire de l’art, chargée de mission à l’École du Louvre

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • De l’autorité de Grégoire de Tours : étude critique sur le texte de l’histoire de France. Thèse de l’École des chartes. Paris : Libr. Durand, 1861.
  • Histoire de l’histoire. Annecy : Didier-Monnet, 1862.
  • Une œuvre dramatique au Moyen Âge : saint Bernard de Menthon, d’après un mystère inédit. Paris : impr. De E de Soye, 1965.
  • Œuvres complètes de Suger, recueillies, annotées et publiées d’après les manuscrits pour la Société de l’Histoire de France. Paris : Vve J. Renouard, 1867.
  • La Chaire française au Moyen Âge, spécialement au XIIIe siècle, d’après les manuscrits contemporains. Paris : Librairie académique, Didier, 1868 ; rééd. Genève : Slatkine, 1974.
  • Vie de Jésus-Christ, composée au XVe siècle d’après Ludolphe le Chartreux. Paris : G. Hurtrel, 1870.
  • Notes d’un assiégé (septembre 1870 – février 1871). Paris : Bray et Retaux, 1872.
  • Extraits des comptes et mémoriaux du roi René, pour servir à l’histoire des arts au XVe siècle, publiés d’après les originaux des Archives nationales. Paris : A. Picard, 1873.
  • Titres de la maison ducale de Bourbon, t. II. Paris : H. Plon, 1874.
  • Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires d’après les documents inédits des archives de France et d’Italie. Paris : Firmin-Didot frères fils et Cie, 1875 ; rééd. Genève : Slatkine, 1969.
  • Anecdotes historiques, légendes et apologues, tirés du Recueil inédit d’Étienne de Bourbon, dominicain du XIIIe siècle. Paris : H. Loones, Renouard, 1877.
  • La Société au XIIIe siècle. Paris : V. Palmé, 1880 (« Nouvelle Bibliothèque historique »).
  • Saint Martin. Tours : A. Mame et fils, 1881 ; 2e éd. 1890.
  • Les Manuscrits et la Miniature. Paris : A. Quantin (« Bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts »), 1884.
  • Saint Louis, son gouvernement et sa politique. Tours : A. Mame et fils, 1887.
  • Le XIIIe siècle littéraire et scientifique. Lille : Desclée, de Brouwer ; Bruges : Société de Saint-Augustin, 1887 ; rééd. Lille : Desclée, de Brower et Cie(« Collection littéraire ») 1894.
  • L’Esprit de nos aïeux : anecdotes et bons mots tirés des manuscrits du XIIIe siècle. Paris : C. Marpon et E. Flammarion, 1888.
  • Les Sceaux. Paris : Quantin (« Bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts »), 1889.
  • Le XIIIe siècle artistique. Lille : Desclée, de Brouwer et Cie, 1889.
  • Le Bagage d’un étudiant en 1347. Nogent-le-Rotrou : Daupeley-Gouverneur, 1890.
  • La Guerre aux erreurs historiques. Paris : Letouzey et Ané, 1891.
  • Les Relations politiques de la France avec le royaume de Majorque (îles Baléares, Roussillon, Montpellier, etc.). Paris : E. Leroux, 1892.
  • La Peinture religieuse. Paris : Librairie Renouard, H. Laurens, 1892 ; rééd. 1930.
  • Interrogatoire d’un enlumineur par Tristan l’Ermite. Bruges : Desclée, de Brouwer, 1892.
  • La France sous Saint-Louis et sous Philippe le Hardi. Paris : Librairies-imprimeries réunies (« Bibliothèque d’histoire illustrée »), 1893.
  • La Fondation de la France du IVe au VIe siècle. Lille : Société de saint Augustin, Desclée, de Brouwer, 1893.
  • Les Récents Progrès de l’histoire. Lyon : E. Vitte, 1893.
  • À la gloire de Jeanne d’Arc, variétés historiques. Paris : Letouzey et Ané, 1895.
  • À travers l’histoire de France, études critiques. Paris : Téqui, 1896.
  • Le Passé de la France, études historiques. Paris : Téqui, 1897.
  • La Vérité dans l’histoire, études critiques. La Chapelle-Montligeon : Librairie de N.-D. de Montligeon, 1897.

Articles

  • « Note sur l’origine du nom Annecy ». Revue savoisienne, 1861, p. 69-71.
  • « Deux chartes du prieuré de Vallon en Chablais ». Revue savoisienne, 1861, p. 78-81.
  • « Les Franchises de la ville de Thones ». Revue savoisienne, 1862, p. 13-16.
  • « Une grande erreur archéologique ». Revue savoisienne, 1862, p. 88-89.
  • « La Légende de Marcellaz ». Revue savoisienne, 1862, p. 74-76.
  • « Un projet d’érection d’un monument à saint François de Sales par la Société florimontane ». Revue savoisienne, 1863, p. 1.
  • « Trésoriers généraux du Genevois et Châtelains d’Annecy ». Revue savoisienne, 1863, p. 4.
  • « Les Franchises d’Alby ». Revue savoisienne, 15 novembre 1863, p. 88-89.
  • « Notice historique sur Ripaille en Chablais d’après plusieurs documents inédits ». Revue savoisienne, 1863, p. 9-12, 25-28, 33-38 et 45-48.
  • « Exécution du testament d’Amédée III, comte de Génevois, en 1371 : l’église Notre-Dame d’Annecy, la monnaierie des comtes de Genevois ». Bibliothèque de l’École des chartes, juillet-août 1863, p. 500-512.
  • « De l’interprétation d’une lettre de saint Rémy à Clovis ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1866, p. 59-74.
  • « Les Coutumes et Péages de Sens, texte français du commencement du XIIIe siècle ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1866, p. 265-284.
  • « Amédée VIII et son séjour à Ripaille ». Revue des questions historiques, t. I, 1966, p. 192-203.
  • « Des bains au Moyen Âge. Réponse à M. Michelet ». Revue du monde catholique, 1866, t. XIV, p. 870-881.
  • « L’Académie de France à Rome d’après la correspondance de ses directeurs (1666-1792) ». Gazette des Beaux-Arts, 1869, t. I, p. 128-156, 344-365, 462-473 ; t. II, p. 62, 171, 270, 352 ; t. IV, p. 267.
  • « L’Académie de France à Rome d’après la correspondance de ses directeurs (1666-1792) ». Gazette des Beaux-Arts, 1870, p. 128-156, 344-365 et 462-473.
  • « Une fausse Jeanne d’Arc ». Revue des questions historiques, 1871, t. X, p. 562-582.
  • « Note rectificative au sujet de Louis d’Anjou ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1875, p. 585-587.
  • « La Miniature en France du XIIIe au XVIe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, 1884, t. XXIX, p. 64-75, 228-248 et 363-376.
  • « L’Art d’enluminer, manuel technique du XIVe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, 1885, t. XXXII, p. 422-429 ; 1886, t. XXXIII, p. 54-61.
  • « Les Anciennes Collections de manuscrits, leur formation et leur installation ». Gazette des Beaux-Arts, 1887, t. XXXV, p. 57-64, 151-157 et 227-234.
  • « Louis XI et la Succession de Provence, mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres ». Revue des questions historiques, janvier 1888, p. 127-157.
  • « Les Origines de l’architecture gothique ». La Revue générale, 1890, t. LII, p. 641-661.
  • « La Prédication de la Croisade au XIIIe siècle ». Revue des questions historiques, juillet 1890, p. 5-28.
  • « L’Architecture. Les époques de l’art gothique ». In Gaston Cougny, dir., L’Art au Moyen Âge. Paris : Firmin-Didot, 1894, p. 208-228.
  • « La Miniature ». In Gaston Cougny,dir., L’Art au Moyen Âge. Paris : Firmin-Didot, 1894, p. 284-289.

Bibliographie critique sélective

  • Vapereau Louis Gustave. – « Lecoy de La Marche (Albert) ». In Dictionnaire universel des contemporains. Paris : Hachette, 1893,6e éd., p. 269-270.
  • « Obsèques de M. Lecoy de La Marche, discours de M. Servois, discours de M. Babelon, discours de M. l’abbé H. Thédenat ». Bibliothèque de l’École des chartes, 1897, n°58, p. 207- 215.
  • Tapponier Paul. – « Richard Albert Lecoy de La Marche, premier archiviste départemental de la Haute-Savoie ». Revue savoisienne, 1961, p. 378-389.
  • Le Pottier Jean. – « Histoire et Érudition : recherches et documents sur l’histoire et le rôle de l’érudition médiévale dans l’historiographie française du XIXe siècle ». Position des thèses. Paris : École nationale des chartes, 1979, p. 75-82.
  • Cahn Walter. – Romanesque Manuscripts. The Twelfth Century. Londres : Harvey Miller, 1996, vol. 2, p. 30.
  • Berlioz Jacques. – « Albert Lecoy de La Marche (1840-1897) ». In Albert Lecoy de La Marche, Le Rire du prédicateur, récits facétieux du Moyen Âge. Paris : Brépols, 1992, nouv. éd., annexe II, p. 191-197.

Sources identifiées

Paris, Archives nationales

  • Papiers administratifs (cote F/17/2983/A ; F/17/2864 ; F/21/2287, dossier 12 ; F/21/2286, dossier 34)

Paris, bibliothèque de l’Institut de France

  • Correspondance (cote 4390-4391)

Chambéry, médiathèque Jean-Jacques-Rousseau

  • Autographe (cote Mss C 000. 155-148)