Auteur(s) de la notice :

GOUZI Christine

Profession ou activité principale

Professeur à l’École des beaux-arts, éditeur

Autres activités
Historien de l’art

Sujets d’étude
Art du XVIIIe siècle, dessin français, arts décoratifs

Carrière
1903 : docteur ès lettres en histoire de l’art
Vers 1905-1911 : secrétaire de l’École des hautes études sociales et collaborateur de la revue Athéna, dirigée par Dick May (alias Jeanne Weill) ; chargé d’un cours libre d’histoire du dessin à la Sorbonne
Avant 1910 : directeur de publication de la collection « Art et esthétique » aux éditions F. Alcan
Août 1911 : après le vol de La Joconde au Louvre et le renouvellement d’une partie du personnel, nommé au musée à un emploi temporaire ; entreprend l’inventaire des dessins du Louvre et de Versailles avec Jean Guiffrey
Novembre 1911 : rédige un rapport sur les Beaux-Arts pour le Parlement
Juillet 1912 : élu professeur d’histoire générale à l’École des beaux-arts ; membre de la Société d’Histoire de l’Art français, de 1911 à 1913 ; président du syndicat des membres de l’enseignement des Beaux-Arts et président du conseil supérieur de l’enseignement des Beaux-Arts
Août 1914-1918 : sous-lieutenant du 35e R.I. territorial ; puis chargé de la direction du service photographique et cinématographique de l’armée
1921 : fondateur, avec Maurice Caullery, de la coopérative d’édition et de librairie les Presses universitaires de France, dont il devint administrateur et codirecteur avec Edmond Schneider
À partir de 1932 : supervise la politique financière et éditoriale de la revue Europe, dont les parts viennent d’être cédées aux PUF et qui appartiennent aux éditions Rieder
1937 : n’est plus chargé aux PUF que des relations universitaires et coopératives
1940-1944 : empêché d’enseigner et forcé d’abandonner ses fonctions aux PUF en raison des lois raciales sous l’Occupation ; vit dans la clandestinité à Lyon ; participe au journal interdit Le Patriote lyonnais
1945 : intente un procès aux PUF et à ses dirigeants devant le tribunal civil de Paris pour leur attitude durant la guerre ; malgré une indemnité pécuniaire, est débouté de ses requêtes administratives et morales ; quitte le poste de professeur à l’École des beaux-arts
À partir de 1945 : secrétaire général de l’Entraide française (ancien Secours national)

Étude critique

Jeune historien de l’art (il obtient, en 1898, une maîtrise à la Sorbonne sur le graveur du XVIe siècle Jean Martin) et dreyfusard de la première heure, Pierre Marcel (né Pierre-Marcel Lévi) fut introduit très tôt dans les cercles parisiens favorables à la révision du procès d’Alfred Dreyfus. Remarqué vers 1901 par Jeanne Weill, directrice d’une école de journalisme rue de la Sorbonne (l’École des hautes études sociales), il occupe à partir de cette époque un poste de secrétaire auprès d’elle. Là, il côtoie Joseph Reinach, Georges Weill, Claude Casimir-Périer et sa cousine, l’actrice Madame Simone, puis Charles Péguy, dont il devient l’ami et le confident. Proche de Jean Guiffrey, qui l’aide à entrer au musée du Louvre en 1911, il entreprend avec lui, à partir de 1907, le vaste inventaire des dessins français du Louvre et de Versailles. Sa thèse, soutenue en 1905 et qui portait sur la peinture française de la mort de Charles Le Brun à la mort d’Antoine Watteau, lui permet de postuler à la maîtrise de conférences en histoire de l’art à l’École normale supérieure de Sèvres, où il échoue. L’année suivante, il est élu professeur à l’École des beaux-arts et succède à Henry Lemonnier. Dès cette période, Pierre Marcel est attiré par les idées de Jean Jaurès, sans pourtant jamais n’adhérer à aucun parti. Il fait également partie des promoteurs d’une laïcité affirmée, comprise comme une chance d’assimilation définitive des Français d’origine juive dans la nation française. Sans approuver le retour de Charles Péguy à la religion catholique, il fut un de ses rares amis à ne pas se brouiller avec lui pour cette raison, à l’inverse de Daniel Halévy, qu’il tenta de réconcilier en 1911 avec l’écrivain.

Ces prises de position intellectuelles sont essentielles pour comprendre à la fois ses écrits d’historien de l’art et son activité d’éditeur. Il eut, en effet, un rôle fondateur dans la formation de la coopérative des Presses universitaires de France qui se voulaient à la fois le socle nouveau des publications universitaires, mais aussi un programme de « reconstitution sociale », sans l’appât du gain ni du profit. Si Pierre Marcel fut à l’origine de la naissance des PUF en 1921, il en occupa surtout pendant plus de quinze ans le poste de directeur (qu’il partageait avec Maurice Caullery) et fut un des artisans du sauvetage des éditions avec Paul Angoulvent et Pierre Schneider lors de leur faillite en 1934. Parallèlement, il présida à partir de 1932 à la destinée de la revue Europe, qu’il tenta de rendre financièrement rentable et dont les positions antifascistes lui étaient chères. Son rôle dans le choix des écrivains de la collection « Prosateurs français contemporains », liée à Europe aux éditions Rieder, vient d’être remis en lumière par Maria Chiara Gnocchi et montre qu’il fut un homme polyvalent, attentif à la diffusion des idées qu’il défendait.

Ses premiers écrits reflètent précisément toutes ces idées. Sa maîtrise expose ainsi le travail de traduction des traités antiques par le graveur Jean Martin au XVIe siècle et le présente comme une généreuse œuvre de vulgarisation qui servit à « l’éducation des classes ouvrières », enfin armées pour se défendre contre la suprématie italienne de la Renaissance. Cette vision des artistes comme les acteurs d’une classe ouvrière ou artisanale revivifiant le génie de la nation française se retrouve dans son ouvrage sur les industries artistiques en 1904. Étudiant tous les aspects de l’art décoratif sous l’Ancien Régime, même les plus humbles, il démontre la supériorité de l’atelier, creuset d’une œuvre collective dont les qualités utilitaires ne sont pas les plus négligeables. Cet angle d’attaque de l’art, pour restrictif qu’il soit parfois, n’empêche pourtant jamais Pierre Marcel de respecter scrupuleusement la chronologie, de mettre au jour des œuvres inédites tout en s’appuyant sur les récentes découvertes d’archives publiées par la Société d’Histoire de l’Art français. Dès le début de sa carrière, il se spécialisa également dans l’étude du dessin, pour lequel il semble avoir eu une véritable prédilection. Ses cours à la Sorbonne furent peut-être remarqués par Jean Guiffrey, qui lui proposa en 1907 de commencer avec lui le vaste inventaire des dessins du Louvre, selon les méthodes scientifiques les plus rigoureuses. Plusieurs attributions de la collection doivent de la sorte à l’œil de Pierre Marcel.

Cependant, sa contribution majeure à l’histoire de l’art concerne la peinture française du XVIIIe siècle. En choisissant pour sujet de sa thèse, en 1903, la fin du règne de Louis XIV et la Régence comme bornes d’une étude de la peinture française, il voulait renouveler l’historiographie, qui séparait alors de façon distincte le Grand Siècle et le Siècle des lumières. En cela, la thèse de Pierre Marcel, avant celle de Jean Locquin en 1912, apporte une contribution majeure sur la marche des institutions artistiques, sur l’évolution des styles et sur l’émergence de nouveaux genres picturaux au début du XVIIIe siècle. Néanmoins, la mise en perspective historique orientait de façon très personnelle l’interprétation de l’évolution de la peinture. Le règne de Louis XIV, compris comme celui de l’absolutisme sans nuance, aurait déteint sur les arts, privés d’invention ; ces derniers ne pouvaient se libérer que débarrassés de ce joug, sous la férule d’un Régent plus libéral. Ainsi, le rocaille et la peinture légère du début du XVIIIe siècle purent-ils s’épanouir, selon l’auteur, à la faveur d’un retournement politique. Ce qui n’empêchait pas en même temps la « dégénérescence » de l’art, puisque la peinture de grand genre, et notamment la peinture religieuse, était abandonnée au profit de sujets plus aimables et plaisants. Pour outrée qu’elle paraisse résumée ainsi, cette vision fut pourtant jusqu’à une date récente celle défendue par de nombreux historiens de l’art. Ils fondèrent souvent leurs thèses à partir de celle de Pierre Marcel, publiée dès 1906 et précisée par quelques articles, parus avant 1914. Dans son ouvrage sur Le Brun, en 1909, Pierre Marcel nuance quelque peu sa vision dirigiste et absolutiste de la commande royale, tout en considérant le Premier Peintre du roi comme le chef de file d’une école de peinture répétitive, sinon uniforme. Toute l’ambition qu’il reconnaît à la génération suivante aura été de s’affranchir du style du maître.

L’activité pédagogique de Pierre Marcel à l’École des beaux-arts est encore mal connue, mais il joua certainement un rôle dans le développement des cours illustrés par l’image. Son directorat du service photographique et cinématographique de l’armée pendant la Première Guerre mondiale le sensibilisa peut-être à cet aspect de l’enseignement. Quoi qu’il en soit, il publia avant-guerre une série de commentaires sur des monuments d’architecture espagnole destinée à accompagner les plaques de projections lumineuses qui leur correspondaient. Cette attention portée aux problèmes techniques de l’apprentissage de l’histoire de l’art, son activité débordante en tant que rédacteur de catalogues, d’articles, d’essais, mais aussi en tant qu’éditeur engagé placent Pierre Marcel parmi les figures les plus intéressantes de l’histoire de l’art de la première moitié du XXe siècle.

Christine Gouzi, maître de conférences des universités

Principales publications

 

  • Les Influences italiennes sur la Renaissance artistique française. Un vulgarisateur, Jean Martin. Paris : Garnier frères, [1898].
  • Les Industries artistiques. Paris : Schleicher, [1904].
  • Inventaire des papiers manuscrits du cabinet de Robert de Cotte, premier architecte du roi (1656-1735) et de Jules-Robert de Cotte (1683-1767) [conservés à la Bibliothèque nationale]. Paris : H. Champion, 1906.
  • La Peinture en France au début du XVIIIe siècle 1690-1721. Paris : Ancienne Maison Quantin, [1906].
  • Espagne. Séville, Alcazar, la maison de Pilate, enseignement sur les projections lumineuses. Notices rédigées sous le patronage de la Commission des vues instituée près du musée pédagogique. Paris : G. Vitry, [1908].
  • Espagne. Séville, monuments civils et religieux, enseignement par les projections lumineuses. Paris : G. Vitry, 1908.
  • Espagne. Séville, vues générales, rues, places, promenades, fêtes, types et scènes populaires, enseignement par les projections lumineuses. Paris : G. Vitry, 1908.
  • Espagne. Grenade, l’Alhambra, le Généralife, enseignement par les projections lumineuses. Paris, [1909].
  • Grenade. Monuments civils et religieux, enseignement par les projections lumineuses. Paris : G. Vitry, [1909].
  • Charles Le Brun. Paris : Plon-Nourrit et Cie, [1909].
  • Moreau Jean-Michel. – Carnet de croquis par Moreau le jeune. Fac-similé de lalbum du musée du Louvre, préf. et description de Pierre Marcel. Paris : J. Terquem, 1914.
  • La Peinture française. Le XVIIIe siècle. Paris : Ch. Eggimann, 1914 ; rééd. Paris : A. Morancé, 1921.
  • « Les Peintres et le Public en France au XVIIIe siècle ». Mélanges Bertaux. Paris : E. de Boccard, 1924, p. 205-213.
  • Jean Martin. Paris : F. Alcan (« Art et esthétique »), 1927.
  • Guiffrey Jean et Marcel Pierre. – Inventaire général des dessins du musée du Louvre et du musée de Versailles. École française, t. I-X, collab. de Gabriel Rouchès ; t. X, collab. de René Huygue t. XI. Paris : éd. Albert Morancé/Réunion des musées nationaux, 1907-1928, 11 vol.
  • Marcel Pierre et Terrasse Charles. – La Peinture au musée du Louvre, École française, XVIIIe siècle, Jean Guiffrey dir. Paris : L’Illustration, [1928].
  • Cervantès chez les pirates d’Alger. Paris : Jules Taillandier, 1933.

Articles

  • « Un débat entre les peintres et les poètes au début du XVIIIe siècle ». La Chronique des arts et de la curiosité, 1905, p. 182-183, 206-207.
  • Marcel Pierre et Guiffrey Jean. – « Une illustration du “Pas des armes de Sandricourt” par Jérôme ou Nicolas Bollery ». Gazette des Beaux-Arts, t. XXXVII, avril 1907.
  • « Frantzouskié rissounki » [Les Dessins français I. Le Moyen Âge. La tradition française au XVIe siècle]. Stayé Gôdy, juin 1911, p. 3-16.
  • « Frantzouskié rissounki » [Les Dessins français II. Le XVIe siècle]. Stayé Gôdy, juin 1911, p. 3-17.
  • « Deux tableaux de Jean-François de Troy aux musées de Rouen et d’Orléans ». Les Musées de France, 1912, p. 102-103.
  • « Une exposition de cent dessins anciens et modernes à Lyon ». Les Musées de France, 1912, n° 1, p. 16-18.
  • « Frantzouskié rissounki » [Les Dessins français III. Première moitié du XVIIe siècle]. Stayé Gôdy, novembre 1912, p. 16-31.
  • « La Collection des dessins de Gabriel Lemonnier au musée de Rouen ». A.A.F., Mélanges Henry Lemonnier, 1913, p. 467-495.
  • « Les Peintres et la Vie politique en France au XVIIIe siècle ». Revue du XVIIIe siècle, 1914, n° 4, p. 2-23.
  • « Le Vrai Péguy d’après une correspondance inédite ». L’Œuvre, 25 et 26 mars 1926.

Bibliographie critique sélective

  • Frizzoni Gustavo. – « L’Inventario generale dei disegni nei musei del Louvre e di Versailles ». Rassegna d’Arte, octobre 1910, p. 147-155.
  • Michel André. – « Causerie artistique. Dessins du Louvre, à propos de l’Inventaire général des dessins du musée du Louvre par MM. Jean Guiffrey et Pierre Marcel… ». Le Journal des débats, 6 février 1912.
  • Simone [Madame]. – Sous de nouveaux soleils. Paris : Gallimard, 1957, p. 273.
  • Isaac Jules. – Expériences de ma vie. Paris : Calmann-Lévy, 1959, p. 308-309.
  • Martin Auguste. – Feuillets de l’amitié Charles Péguy, juillet 1949, V, p. 7 ; juillet 1954, XXXIX, p. 27-28 ; avril 1957, LXVII, p. 8 ; janvier 1959, LXIX, p. 3-11.
  • Riby Jules. – Lettres à Joseph Lotte, cahiers de l’amitié Charles Péguy, n° 98, I, 1963, XCIX, CI, CII, CV.
  • Guillemin Henri. – « Henri Guillemin ouvre la correspondance de Péguy avec Pierre Marcel ». Le Monde, 8 septembre 1972.
  • Charles Péguy : [catalogue de l’exposition], Paris, Bibliothèque nationale de France, 1974, p. 138-139.
  • Marcel Pierre et Péguy Charles. – Correspondance : 1905-1914. 398 textes réunis, classés et annotés par Julie Sabiani. Paris : « Cahier de l’amitié Charles-Péguy », n° 27, 1980.
  • Caumont J. – « Lévi Pierre, Marcel ». In Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Jean Maitron, dir., 4e partie « 1914-1939, de la Première à la Seconde Guerre mondiale », t. XXXIV. Paris : Éditions ouvrières, 1981, p. 352-353.
  • Bouju Marie-Cécile. – « Europe et ses éditeurs 1923-1949 ». In Actes du colloque « Europe, une revue de culture internationale 1923-1998 ». Henri Béhar, dir. Paris : Europe, numéro spécial, 1998.
  • Gnocchi Maria Chiara. – La Revue Europe et les « Prosateurs français contemporains » de Rieder (1923-1938) : statistiques et commentaires. Paris : Europe, automne 2003.

Sources identifiées

Orléans, centre Péguy, archives des Cahiers de la quinzaine

  • Huit lettres (correspondance Pierre Marcel/Charles Péguy)

Paris, archives des Presses universitaires de France

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits

  • Fr, n.acq. 16579, 248 lettres (correspondance Charles Péguy/Pierre Marcel)

Archives privées J. Caumont-G. Prache

En complément : Voir la notice dans AGORHA