Auteur(s) de la notice :

GOUREVITCH Danielle

Profession ou activité principale

Ecclésiastique

Autres activités
Historien de l’église primitive, historien de l’art

Sujets d’étude
Art chrétien des premiers temps, catacombes, liturgie, littérature chrétienne, éloquence sacrée

Carrière
1832 : ordonné prêtre
1849 : nommé curé archiprêtre à Bagé-le-Châtel (Jura)
1855 : membre de l’Académie de Mâcon

Chevalier de la Légion d’honneur

Étude critique

L’abbé Martigny fut l’un de ces obscurs ecclésiastiques de province qui ont joué un rôle essentiel dans la vie intellectuelle des petites villes françaises au XIXe siècle. Sa vie personnelle est de peu d’intérêt. Fils d’un « lieutenant préposé aux douanes impériales », Joseph Alexandre a, comme bien des fils doués d’humble famille, fait ses études au petit séminaire et au grand séminaire, puis est devenu prêtre, sans qu’on sache rien aujourd’hui de sa vocation. Il est ordonné à l’âge de 26 ans et sa carrière culmine avec sa nomination, en 1849, comme archiprêtre à Bagé-le-Châtel. Ce qui l’intéresse, ce sont les antiquités chrétiennes, et il aura un vif plaisir à en disserter à l’Académie de Mâcon à partir de 1855, l’année même où un érudit d’une tout autre envergure, Charles Daremberg, signe avec Louis Hachette le premier contrat relatif à un Dictionnaire universel des antiquités orientales, grecques, latines et du Moyen Âge, qui deviendra le « Daremberg et Saglio ». Dans cette affaire, le nom de l’abbé apparaît pour la première fois, du moins dans la documentation conservée, dans des comptes du 30 septembre 1863, entre (François) Lenormant et un certain Morel, qui fera bien vite figure d’escroc (Danielle Gourevitch, « Un épisode de la longue histoire du ‘Daremberg et Saglio’ : l’affaire Morel », Caesarodunum, 29, 1994, p. 31-38). Il a en effet reçu la charge des antiquités chrétiennes : il a patiemment appris l’italien, il s’est entouré « des conseils des hommes les plus compétents » tant à Paris qu’à Rome, où il s’est rendu par deux fois, la deuxième grâce à « l’intelligente initiative de M. Hachette » (ibid., préface p. II de la première édition), il y a fréquenté Jean-Baptiste de Rossi, « l’inventeur des catacombes » et il a fini ses notices rapidement : Hachette, Daremberg et Martigny décident donc d’un nouveau contrat (16 novembre 1863) qui détachera de l’entreprise qui traîne un Dictionnaire des antiquités chrétiennes.

L’abbé entrait ainsi dans l’historiographie de l’art antique, mais une histoire des antiquités chrétiennes posait alors de difficiles problèmes, puisqu’il fallait ménager la vérité et la foi. Daremberg s’était sur ce point très vite heurté à dom Pitra, moine à l’abbaye bénédictine de Solesmes, toujours très directif (Danielle Gourevitch, « Une lettre de Daremberg à Dom Pitra », Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1996, p. 125-128). Dans une lettre du 1er mars 1856, Daremberg remet vertement Pitra à sa place, affirmant qu’il n’a nulle envie d’être mis à l’index et proclamant sa ferme intention de choisir lui-même son collaborateur, voulant être particulièrement « scrupuleux pour un sujet aussi grave et aussi délicat ». Martigny, devenu autonome, insistera sur son orthodoxie, une orthodoxie qui, à ses yeux, n’empêche pas l’honnêteté intellectuelle. Dans sa première préface, du 15 décembre 1864, il « soumet humblement son livre au jugement de l’Église », tout en affirmant dans la deuxième tenir compte des « découvertes et progrès ». Et Martigny revient sur la question des « incorrections de langage et ou de doctrine qui auraient pu échapper », car attention : ce n’est pas « l’intention systématique de plier aux exigences de l’orthodoxie les monuments et les textes soumis à son étude ». Est-il nécessaire d’être prêtre pour faire ce genre de travail ? Oui, oui, même les « non-calottins » en conviennent.

La première édition reçoit ainsi l’approbation de Mgr Pierre-Henri Gérault de Langalerie, évêque de Belley, le 21 décembre 1864, car elle « ne renferme rien qui ne soit conforme à la saine doctrine ; tout […] y respire la piété, le respect des traditions ecclésiastiques, l’amour le plus ardent pour l’Église ». « Cette alliance de la foi avec une sage critique, poursuit-il, pourra donc défendre nos origines par la recherche d’une science s’inspirant aux vraies sources […] » et « nous recommandons avec le plus grand empressement son Dictionnaire à notre clergé, ainsi qu’à tous les hommes qui recherchent de bonnes et solides lectures ». Mgr Joseph Marchal, à son tour évêque de Belley, souhaite , dans un courrier daté du 7 juillet 1877 que la nouvelle édition « soit entre les mains de tous les prêtres », en particulier pour ce qui touche à la symbolique chrétienne. Car « ce n’est pas assez d’expliquer ces symboles vénérables ; il faut les défendre contre les altérations et les non-sens auxquels ils sont exposés dans les reproductions que l’on prétend en faire sous nos yeux. N’en connaissant ni l’origine ni la signification, on les traite comme des ornements qui ne relèvent que de l’art, et trop souvent on se contente d’être artiste quand il faudrait être chrétien »…

C’est ce succès ecclésiastique qui fit sourire les « vrais » historiens comme Mgr Duchesne qui se montra féroce — notamment dans sa correspondance avec Rossi — et il est vrai qu’il est totalement démodé aujourd’hui. Son importance est due à ce qu’il a fait connaître à la France des nouveautés romaines, en particulier les catacombes et leur art. En effet, ces découvertes trouvèrent des échos dans toute l’Europe, tant catholique que protestante, et les publications s’entremêlèrent. Avant Martigny, Louis Perret avait bien donné ses Catacombes de Rome, architecture, peintures murales, lampes, vases, pierres précieuses gravées, instruments, objets divers…, mais cet ouvrage n’est pas très sérieux ! À Londres, James Spencer Northcote et William Robert Brownlow donnent après la première édition de notre abbé leur bonne Roma Sotterranea en 1869, puis 1878, bientôt traduite par Paul Allard (avocat à Rouen !) sous le titre Rome souterraine : résumé des découvertes de M. de Rossi dans les catacombes romaines et en particulier dans le cimetière de Calliste, illustrée de vignettes et de chromolithographies (il y aura aussi une traduction allemande, Roma sotterranea, die römischen Katakomben, eine Darstellung der neuesten Forschungen, mit Zugrundlegung des Werkes von J. Spencer Northcote… und W. R. Brownlow, bearbeitet von Dr Franz Xaver Kraus [prêtre, illustre historien de l’Église], Herder, Fribourg-en-Brisgau, 1873), un an après l’ouvrage du comte Pierre Deshassayns de Richemont, Archéologie chrétienne primitive. Les nouvelles études sur les catacombes romaines : histoire, peintures, symboles (1870), précédé de l’incontournable lettre du Cavagliere. Puis William Smith et Samuel Cheetham choisirent le même titre que Martigny pour leur Dictionary of christian antiquities, à Londres (1875-1880).

Dans son édition de 1877, Martigny cite les autorités sur lesquelles il s’est appuyé, outre Rossi bien sûr, et il faut convenir que ses choix sont bons. Ainsi, Edmond Le Blant qui a déjà publié deux volumes sur trois de ses Inscriptions chrétiennes de la Gaule (1856 et 1865), et qui étudie alors les sarcophages chrétiens d’Arles.

François Lenormant, licencié en droit, brillant numismate, héroïque durant le siège de 1870, devenu professeur d’archéologie près la Bibliothèque nationale en 1874, a notamment publié un Manuel d’histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres Médiques (Paris, 1868), une Histoire du peuple juif (Paris, 1869) ou encore Le Déluge et l’Épopée babylonienne (Paris, 1873) ; son livre Origines de l’histoire d’après la Bible et les traditions des peuples orientaux (3 vol., Paris, 1880-1883) aura le rude honneur de l’index après sa mort (décembre 1887), ce dont il n’avait jamais été question pour le bon abbé. Avec le Belge de Witte, également présenté comme garant de son savoir, il vient de fonder en 1875 la Gazette archéologique. On peut citer encore le marquis Melchior de Vogüé, archéologue, épigraphiste, historien, diplomate, futur académicien (1901), qui a déjà donné Les Églises de la Terre Sainte (Paris, 1860) et La Syrie centrale (Paris, 1865), ouvrages capitaux pour l’histoire de l’architecture chrétienne primitive.

Le travail de ce « cultore della scienza », comme le désigne affectueusement Rossi dans son Bulletino de 1880, a donc été bien préparé, tant par le contact direct, dans la faible mesure où cela lui a été possible, que par la lecture soigneuse des livres à la page, mais ce qui plut au clergé séculier et qui nous gêne aujourd’hui surtout, c’est une espèce de niaiserie ecclésiastique, bien de son temps, un temps où l’on pensait que l’histoire de l’Église était l’affaire des prêtres, un temps d’ordre moral qui connut son apogée dans la première décennie de la Troisième République. On peut tout de même noter que son dictionnaire est à la source de la propagation de certaines erreurs, comme celle des poupées de Maria, femme d’Honorius, qui n’ont jamais existé (cf. Michel Manson, « Histoire d’un mythe : les poupées de Maria, femme d’Honorius », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 1978, n° 90-2, p. 863-869).

Danielle Gourevitch, directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études (sciences historiques et philologiques)

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • Notice historique, liturgique et archéologique sur le culte de sainte Agnès. Paris : Sagnier et Bray, 1847, 103 p.
  • « Des symboles dans l’Antiquité chrétienne » (discours de réception à l’Académie de Mâcon, le 29 novembre 1855). In Annales de l’Académie de Mâcon, 3, 1855, p. 69-106 (ou en fascicule).
  • « Dissertation sur la représentation d’Orphée dans les monuments chrétiens primitifs ». In Annales de l’Académie de Mâcon, 4, 1857, p. 44-61.
  • « Étude archéologique sur l’agneau et le bon pasteur ». In Annales de l’Académie de Mâcon, 5, 1860, p. 44-145.
  • « Notice sur les Agnus Dei ». In Annales de l’Académie de Mâcon, 5, 1860, p. 129-145.
  • « Explication d’un sarcophage chrétien du musée lapidaire de Lyon. Notice préliminaire sur les sarcophages chrétiens en général et ceux de la Gaule en particulier ». In Annales de l’Académie de Mâcon 6, 1864, p. 5-60 (ou en fascicule).
  • « Le Poisson considéré comme symbole chrétien ». In Annales de l’Académie de Mâcon, 6, 1864, p. 170-184.
  • Lettre à M. Edmond Le Blant sur une lampe chrétienne. Belley : imprimerie de Leguay, 1872.

Bibliographie critique sélective

  • Milliet Étienne. – « Nécrologie. Notice sur l’abbé Martigny ». Revue de la Société littéraire, historique et archéologique du département de l’Ain, 1880, p. 190 ; p. 248, supplément par Jean-Baptiste Rossi, traduction de la note par lui publiée dans le Bulletino di archeologia cristiana, 1880, p. 79.
  • Note dans le Bulletin monumental, 46, 1880, p. 853-855 (reproduisant la note du Polybiblion de 1880, n. v.).
  • « Abbé Martigny, notice nécrologique », 1880, p. 853-855.
  • Allard Paul. – « Monseigneur Martigny et les Nouvelles Études sur les antiquités chrétiennes ». Les Lettres chrétiennes, 3, 1881-1882, p. 1-26.
  • Fromage Dom (Lucien). – « Le Symbolisme de l’ancien art chrétien et la sainte Cécile de dom Guéranger ». Les Lettres chrétiennes, 3, 1881-1882, p. 404-410, avec une « réponse à la lettre de dom Fromage », par Paul Allard, p. 411-418.
  • Cabrol Fernand et Leclerq Henri, dir. – Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. X, 2, 1932, s. v. Martigny (Jean-Alexandre, sic).
  • Gourevitch Danielle. – « Un épisode de l’histoire du Dictionnaire des antiquités connu sous le nom de ‘Daremberg et Saglio’ : la publication du Dictionnaire des antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny ». In Les Archéologues et l’Archéologie : actes de colloque, Bourg-en-Bresse, 2527 septembre 1992. Caesarodunum, XXVII, 1993, p. 79-95.
  • Gourevitch Danielle. – « Histoire du Dictionnaire des antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny, émule de G.B. de Rossi ». In Acta XIII congressus internationalis archaeologiae christianae. Editionem curaverunt Nenad Cami et Emilio Marin, Cité du Vatican ; Split, 1998, p. 363-372.
  • Saint-Roch Patrick. – Correspondance de Giovanni Battista de Rossi et de Louis Duchesne (1863-1894). Rome : École française de Rome, 1995 (« Collection de l’École française de Rome »).

Sources identifiées

Belley, archives municipales de Belley

  • Déclaration de décès

Bourg-en-Bresse, archives départementales de l’Ain

  • Déclaration de naissance, déclaration de décès

Paris, archives de la maison Hachette

  • Pour le Daremberg et Saglio

Paris, archives de Sainte-Marie-de-la-Source

  • Cote 1035 (correspondance Daremberg-Pitra)

Paris, Bibliothèque nationale de France

  • Papiers Duchesne NAF 17262 (avec quatre lettres de Martigny à Duchesne)

Sauverny, archives municipales de Sauverny

  • Déclaration de naissance