Auteur(s) de la notice :

DARGNIES Servane

Profession ou activité principale

Conseiller à la Cour d’appel de Lyon

Autres activités
Vice-président de la Société littéraire, historien d’art

Sujets d’étude
Patrimoine national, conservation, enseignement de l’histoire de l’art au XIXe siècle, école de peinture lyonnaise au XIXe siècle

Carrière
Avant 1866 : formation de juriste ; procureur impérial à Rennes
1866 : départ pour Lyon
1866 : chevalier de la Légion d’honneur
1868-1890 : conseiller à la Cour d’appel de Lyon
1872-1879 : président du comité des bibliothèques publiques de Lyon ; séjours en Bourgogne ; vice-président de la Société littéraire de Lyon
1898 : décès, le 11 août, à Chalon-sur-Saône

Chevalier de la Légion d’honneur, le 11 août 1866

Étude critique

Fort dispersée dans ses sujets d’étude, l’œuvre de Léopold Antoine Joseph Étienne Nièpce, à partir de 1870, manifeste la volonté presque exclusive de sensibiliser la nation (de son administration centrale jusqu’aux populations locales) à la question du patrimoine collectif. L’argumentation sur les rapports entre patrimoine, culture et révolution est florissante au XIXe siècle, et Nièpce fait partie de ces intellectuels érudits pour qui les inventions de l’art du XIXe siècle ne sont que le reflet d’une décadence qui aurait pour origine la perte des valeurs traditionnelles et pour remède l’étude des écoles antérieures et la conservation des œuvres du passé. D’où vient en effet la haine de Nièpce pour un contemporain tel que « le peintre d’Ornans, qui a déboulonné la colonne glorieuse de la Grande Armée » (Le Palais Saint-Pierre, 1874), si ce n’est pour son action de « vandalisme » pendant la Commune, et la décadence que représente, tant au niveau esthétique que moral, sa peinture ?

Après sa formation de juriste et l’exercice à Rennes de la fonction de procureur impérial, Léopold Nièpce arrive à Lyon vers 1866, comme conseiller à la cour d’appel de Lyon, et entre dans les cercles d’érudition lyonnais des sociétés savantes, alors particulièrement actives et nombreuses. La Société littéraire, dont Nièpce est vice-président sous la présidence d’Édouard Flouest, fondée en 1807, a bénéficié de l’autorisation ministérielle en 1843. Les comptes rendus ministériels ont pour fonction de déterminer l’intérêt que représente une société savante pour la collectivité, mais très peu gagnent le titre officiel de « société d’utilité publique ». C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit dans les travaux de la Société littéraire, et notamment dans les comptes rendus et inventaires auxquels procède Léopold Nièpce.

Pendant près de vingt ans, de son travail Les Archives de Lyon (1875) à son ouvrage Les Environs de l’île Barbe (1892), Nièpce s’investit dans une entreprise d’instruction et de sensibilisation du public au patrimoine. Ainsi, dans Les Monuments d’art de la primatiale de Lyon, détruits ou aliénés pendant l’occupation protestante en 1562 (1881), il dresse l’inventaire des œuvres du XVIe siècle disparues pendant la prise de Lyon et fait la chronique de leur pillage, afin de montrer combien « l’art a fait, par ces actes stupides et inutiles de vandalisme, des pertes irréparables ». S’il prétend ôter à la question tout contenu proprement politique (« mon étude n’a trait qu’à l’art seul », précise-t-il), il se dresse violemment contre « ces énergumènes qui croient effacer l’histoire en brisant un monument qui rappelle une de ses époques » (Projet de la création d’un musée historique, 1874), et cherche à sensibiliser le public à ces questions afin d’éviter par la suite les erreurs de la Révolution. En effet, si dès 1795 et tout au long du XIXe siècle, la lutte contre le vandalisme s’est véritablement dotée de moyens, il subsiste encore un écart important entre les propos officiels et le comportement des individus, dont le sens du patrimoine collectif reste faible et la haine de certains symboles toujours prête à réapparaître, comme le montrent les événements de la Commune.

Les travaux de Léopold Nièpce réalisés dans le cadre de la Société littéraire de Lyon, ou du Comité des bibliothèques publiques de Lyon, qu’il préside de 1872 à 1879, marquent également une volonté de dynamiser au niveau scientifique les recherches sur le patrimoine. L’inventaire Bibliothèques anciennes et modernes de Lyon (1876), les comptes rendus d’ouvrages (« Monographie de la cathédrale de Lyon » par Lucien Bégule. Compte rendu et étude, 1880), ou son « Appel pour la recherche et l’étude des pierres à écuelles et à bassins dans les environs de Lyon » (Revue du Lyonnais, 1878) sont autant de travaux d’érudition destinés à « [servir] nos annalistes futurs » (Introduction à Chalon-sur-Saône pittoresque et démoli : environs et légendes, de Jules Chevrier, 1883). Il s’agit de susciter à Lyon l’intérêt pour le patrimoine régional et local, sous toutes ses formes, afin de lutter contre la hiérarchisation du patrimoine, due aux choix gouvernementaux se résumant souvent aux « listes de protection » qui instituent une catégorie supérieure de monuments d’art.

La conservation des objets et édifices, ainsi que leur catalogage, dans leur double mission de préserver les œuvres d’une destruction rapide et de sensibiliser le public à l’histoire nationale, marquent donc le souci pédagogique et historique de Nièpce. Mais il donne à l’histoire nationale une définition bien particulière qui détermine en fait une idéologie régionaliste. Selon Nièpce, l’histoire nationale n’est autre que « l’histoire locale multipliée » (La Peinture sur verre à Lyon, 1882), et la cause des révolutions périodiques et du vandalisme se trouve dans les lacunes de l’enseignement de l’histoire dans les lycées et les écoles, cette histoire locale apparaissant comme « la moins connue en France ». Les liens entre patrimoine, culture et révolution sont évidents, et seule une pédagogie permettant de combler les lacunes de l’enseignement permettra d’éviter les erreurs du passé. Dans le Projet de la création d’un musée historique à Lyon (1874), Nièpce préconise la création d’une véritable mnémotechnie. Il s’agit de créer à Lyon un musée historique, sur le modèle du musée Carnavalet à Paris, car « c’est par la vue des objets historiques de toute nature que la connaissance de l’histoire se perfectionne » ; ce musée historique local complètera le rôle des trois musées « vraiment lyonnais » existant (le Musée lapidaire, le musée des Peintres lyonnais, et le musée d’Art et d’industrie).

Outre les enjeux pédagogiques, la posture d’historien régionaliste de Nièpce détermine également ses partis pris méthodologiques dans ses travaux. L’honnêteté intellectuelle de l’érudit, qui se sent investi d’une mission, l’entraîne à privilégier en priorité dans ses travaux la précision et la multiplication des sources d’information. Dans ses deux ouvrages L’Île Barbe : son ancienne abbaye et le bourg de Saint-Rambert (1890) et Les Environs de l’île Barbe (1892), il se présente lui-même « non pas en peintre ou en touriste spirituel, mais en chroniqueur fidèle et exact ». Son œuvre a pour point de départ un cheminement sur les bords de la Saône, qui donne lieu à des descriptions de propriétés et à quoi s’ajoutent une étude approfondie des archives de chaque localité (archives privées des familles ou dépôts publics), la visite des maisons et des entretiens avec les propriétaires. Mais la plupart des maisons de bord de Saône dont il parle n’existent plus ou bien ont été profondément modifiées par les exigences de la mode. De la même manière qu’Édouard Aynard s’inquiètera en 1890 de la perte des traditions décoratives dans la soierie et créera le musée historique des Tissus pour y remédier, Nièpce constate avec regret les ravages faits par le temps et les hommes sur les propriétés et reprend, en 1892, ses arguments sur l’importance de la création d’un musée historique. Dans Les Environs de l’île Barbe, ce sont les descriptions et les listes de lieux et de monuments qui tiennent lieu de musée imaginaire.

Étroitement lié au problème de la mode, le combat le plus virulent de Nièpce, qui a trait à tous les autres, est la lutte contre la décadence qui s’est opérée selon lui dans les productions de l’art au long du XIXe siècle. Malgré la prétention du magistrat de se faire « le porte-voix de tous ceux qui aiment les arts, le vrai progrès, [et] qui gémissent sur la décadence de notre grande et belle école lyonnaise », il est difficile de trouver dans l’œuvre de Nièpce une seule véritable analyse d’un artiste ou d’une œuvre en particulier. Le souhait d’une régénération de l’art lyonnais s’exprime en faveur d’un constat général de perte des valeurs traditionnelles, dans une décadence autant morale qu’esthétique et s’il faut s’en préoccuper, c’est qu’elle risque d’avoir des répercussions sur l’industrie locale. C’est du moins ce que cherche à démontrer Nièpce dans son article « Le Palais Saint-Pierre ; observations sur la réorganisation des musées et de l’École des beaux-arts de Lyon » (1874). Au point de vue de la réorganisation du musée, Nièpce souhaite la création d’une galerie d’exposition permanente des œuvres des artistes lyonnais, car exposer ces œuvres dans leur contemporanéité permettrait de mieux évaluer l’histoire en train de se faire et de voir les évolutions de l’art ; la galerie tiendrait ainsi le rôle de témoin de la décadence de l’art lyonnais.

À ces descriptions matérielles des travaux à réaliser au palais des Arts s’ajoute une réflexion sur une régénération d’ordre immatériel, grâce à l’introduction d’une nouvelle réglementation pour l’École de Lyon, et la définition précise du rôle du Conservatoire des arts, destiné « à faire œuvre de moralisation et de charité chrétienne bien comprise ». Selon Nièpce, la décadence de la production lyonnaise est en effet due à deux principaux phénomènes qu’il s’agit de pallier : d’une part la tendance au réalisme dans l’art, qui « laisse de côté le sentiment de l’art véritable », et d’autre part l’esprit d’indiscipline « propre aux artistes ». Ces deux phénomènes ne sont en réalité pour Nièpce que les aspects d’un même problème, soit la perte d’un sentiment religieux et d’un sens moral, le réalisme n’étant « rien d’autre que la révolte du laid contre le beau, de l’immoralité contre la morale ». Le beau ainsi associé à la morale révèle la persistance du goût pour la peinture et les doctrines idéalistes selon lesquelles le beau n’est beau que parce qu’il est vrai. Nièpce nomme ainsi avec regret des artistes lyonnais comme Pierre Révoil, Hippolyte Flandrin, Michel Grobon, Jean Rey, Simon Saint-Jean, Antoine Guindrand et Joseph Chinard, mais sa réflexion ne va pas au-delà d’une simple évocation. La postérité d’Ingres sert de rempart contre les doctrines réalistes que Nièpce, avec bien d’autres catholiques, considère comme immorales et délétères. On observe, de 1878 à 1885, une sorte de troisième génération d’ingristes formés par Michel Dumas à l’école de Lyon, avec des artistes tels que Brunier ou François Guiguet, qui illustrent une grande partie des aspirations de Nièpce pour la régénération de l’école lyonnaise. Mais les critiques contemporains sont généralement frappés par l’anachronisme de Dumas au milieu des excentriques et des indépendants, et cela met en valeur le conservatisme des écrits de Nièpce en cette fin du XIXe siècle, qui explique en partie son insuccès.

Servane Dargnies, élève à l’École normale supérieure-Lettres et
Sciences Humaines

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Les Archives de Lyon. Lyon : impr. de Vingtrinier, 1875.
  • Le Polyptyque de l’église collégiale de Saint-Paul de Lyon par M. Guigue (sous les auspices de la Société littéraire). Compte rendu. Lyon : impr. de Perrin et Marinet, 1875.
  • Les Bibliothèques anciennes et modernes de Lyon. Lyon : impr. H. Georg, 1876, 632 p.
  • Monographie de la cathédrale de Lyon par Lucien Bégule. Compte rendu et étude. Lyon : impr. de Mougin Rusand, 1880.
  • Les Monuments d’art de la primatiale de Lyon détruits ou aliénés pendant l’Occupation protestante en 1562. Lyon : H. Georg, 1881.
  • La Peinture sur verre à Lyon, à propos d’un nouveau vitrail dans la chapelle de Fourvière. Lyon : impr. de Pitrat aîné, 1882, ; 26 p.
  • Chevrier Jules. – Chalon-sur-Saône pittoresque et démoli : environs et légendes. Introd. de Léopold Nièpce. Paris : A. Quantin, 1883, 214 p. Rééd. fac-similé. Lyon : impr. de la Tour Gile, 1992.
  • Archéologie lyonnaise. Lyon : imprimerie H. Georg, 1881-1885, 3 vol.
  • L’Île Barbe : son ancienne abbaye et le bourg de Saint-Rambert. Lyon, L. Brun, 1890. 2e éd. fac-similé. Paris : R. Georges, 1998. 432 p.
  • Les Environs de l’île Barbe. Lyon, L. Brun, 1892. Rééd. fac-similé. Lyon : R. Georges, 1997.

Articles

  • « Projet de la création d’un musée historique à Lyon ». Revue du Lyonnais, mai 1874.
  • « Le Palais Saint-Pierre. Observations sur la réorganisation des musées et de l’ École des beaux-arts de Lyon. » Revue du Lyonnais, juillet 1874
  • « Appel pour la recherche et l’étude des pierres à écuelles et à bassins dans les environs de Lyon, lu à la Société littéraire, le 20 juin 1878, par M. Léopold Nièpce ». Revue du Lyonnais, 1878.

Bibliographie critique sélective

Aucune étude connue à ce jour.

Sources identifiées

Lyon, Archives départementales du Rhône

  • Dossier Légion d’honneur
    • Série 1M 253 contenant une lettre adressée au préfet du Rhône du 1er septembre 1879 ; une fiche datée de 1891