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PORTALIS, Roger (baron)
Mis à jour le 25 novembre 2008
(22 janvier 1841, Paris – fin décembre 1912, Thielle-Wavre [Suisse])
Auteur(s) de la notice :
RAUX Sophie
Profession ou activité principale
Écrivain et historien de l’art
Autres activités
Bibliophile, graveur, collectionneur
Sujets d’étude
Peinture et arts graphiques en France au XVIIIe siècle, histoire du livre
Carrière
De 1880 à 1902 : collaboration régulière à la Gazette des Beaux-Arts
Étude critique
Pour qui s’intéresse à l’art français du XVIIIe siècle, les écrits du baron Roger Portalis demeurent une source incontestable de référence. Pourtant, malgré l’ampleur et le rayonnement de l’œuvre, la vie et la personnalité de Portalis nous échappent en grande partie. Il ne semble pas avoir exercé d’activité professionnelle et la seule formation qu’on lui connaisse est une formation artistique : il a étudié la peinture auprès d’Hippolyte Flandrin et fut l’élève du célèbre aquafortiste Maxime Lalanne. S’il a peu gravé lui-même – seulement quelques eaux-fortes – il s’est consacré à d’impressionnantes recherches sur la gravure française du XVIIIe siècle dont il n’a cessé de publier les fruits de 1877 à sa mort en 1912. Passionné par le livre ancien, il fut membre de la Société des bibliophiles françois et de la Société des amis du livre, où il eut l’occasion de fréquenter le duc d’Aumale, Henri Houssaye, Eugène Paillet et Henri Béraldi. Grand connaisseur en reliures et en calligraphie, on lui doit des études sur Jean Grolier ou Nicolas Jarry.
Cependant, son goût pour le livre rejoignit sa passion pour les arts graphiques du siècle des Lumières, dès la publication de son irremplaçable étude Les Dessinateurs d’illustrations au XVIIIe siècle (1877). D’emblée, Portalis apportait une contribution majeure à l’étude de l’art français du siècle précédent, dont la réhabilitation impulsée par les frères Goncourt depuis une décennie avait conduit à un nouvel engouement. Quelques ventes publiques retentissantes, comme la dispersion des collections Didot, Béhague ou Muhlbacher, avaient également aiguisé la curiosité des amateurs pour le dessin et la gravure du XVIIIe siècle, avec pour conséquence une envolée brutale des prix sur le marché. Déplorant les excès dus à la mode et le manque d’outils de travail mis à la disposition du public, Portalis avait l’ambition d’offrir un ouvrage de référence destiné à développer les connaissances des amateurs et à affiner leur discernement afin de « raisonner leur enthousiasme ». Plus de soixante-dix dessinateurs étaient ainsi présentés à travers des notices biographiques nourries de nombreux documents d’archives inédits qui constituaient autant de petites monographies. Dans son désir de former le jugement du public, Portalis s’attachait à qualifier le style de chaque artiste en portant un regard critique sur l’œuvre de chacun.
Peu après, il publia en collaboration avec Henri Béraldi son non moins célèbre dictionnaire des Graveurs français du XVIIIe siècle (1880-1882). Il s’agissait cette fois d’offrir au public une vaste synthèse, inédite par son ampleur, réunissant en trois tomes plus de quatre cents notices. Ce livre se distinguait des publications antérieures sur la gravure française du XVIIIe siècle, beaucoup plus générales, comme celles de Prosper de Baudicour ou de Charles Le Blanc, par sa richesse d’information et la clarté de son organisation. Les partis pris précédemment adoptés se confirmaient : l’ouvrage était conçu comme un instrument de travail fondé sur l’exploitation méthodique des sources et sur le jugement critique. Chaque notice reposait sur une somme précieuse d’informations, classées par ordre chronologique et suivies d’un catalogue raisonné sommaire destiné à donner une vue d’ensemble de l’artiste et de son œuvre. Les auteurs n’hésitaient pas à souligner les faiblesses de certaines gravures et à mettre en valeur les pièces qui leur paraissent les plus remarquables, incitant ainsi l’amateur à rechercher la qualité plutôt qu’à se fier au seul prestige du nom. Leur but n’est pas « de dresser des œuvres complets », mais « d’apprécier le genre et le talent de chacun » et « d’indiquer seulement les pièces les plus belles ». Cette approche audacieuse, résolument tournée vers le parti des collectionneurs, avait déjà été clairement affirmée dans la monographie que Portalis et Béraldi (ce dernier dissimulé sous le pseudonyme d’Henri Draibel) avaient consacrée peu de temps auparavant au graveur Charles-Étienne Gaucher (1879) : « Est-il bien nécessaire d’ailleurs de former des œuvres complets de dessinateurs ou de graveurs ? Cela se comprend pour les collections d’étude, les bibliothèques publiques. Mais pour les collections d’agrément, pour un amateur, réunir un œuvre complet, accepter les pièces sur le vu d’une signature, n’est-ce pas se condamner à placer sous ses yeux, à côté de chefs-d’œuvre, des choses pitoyables ? » Dans leur volonté de dresser un panorama complet de la création graphique du XVIIIe siècle, tout en donnant aux lecteurs les moyens les plus étendus de faire leurs choix, ils n’hésitèrent pas à inclure dans leur étude des formes de gravures plus pragmatiques souvent négligées jusqu’alors, telles que l’illustration, l’ornement, l’almanach, la caricature, l’image populaire ou le physionotrace. Portalis travailla ensuite à la cinquième édition du célèbre Guide de l’amateur de livres à gravures d’Henri Cohen (1886), qu’il corrigea et augmenta de plus de six cents nouvelles entrées. Son apport majeur se concentra à nouveau vers des domaines peu considérés par les historiens de la gravure, comme les recueils d’ornements, les almanachs, les livres de voyage et les descriptions de galeries. Ainsi, à travers l’ensemble de ses travaux sur la gravure, Portalis témoigna d’une largeur et d’une indépendance d’esprit remarquables face aux hiérarchies artistiques traditionnelles.
Portalis s’intéressa également à la peinture du XVIIIe siècle. Il eut le mérite de faire émerger de l’oubli des personnalités telles que Claude Hoin (1900), Adélaïde Labille-Guiard (1902) et Henri-Pierre Danloux (1910), à travers de solides études monographiques bien documentées. Mais il demeure surtout l’auteur de la première monographie « scientifique » consacrée à Jean-Honoré Fragonard (1889). Certes, les Goncourt l’avaient précédé en publiant, vingt-quatre ans plus tôt, une belle étude sur le peintre de Grasse, dans le style lyrique et évocateur qui fait leur charme, mais sans grande rigueur méthodologique. Au contraire, Portalis s’attacha à l’élaboration d’une structure claire et cohérente, organisée selon un ordre thématique ou chronologique selon les chapitres. Si le style était parfois emphatique, si le récit regorgeait d’anecdotes, l’auteur renouvelait totalement la connaissance de la vie et de l’œuvre de Fragonard, par un travail archivistique et documentaire de fond. Il ne négligeait aucune piste : correspondances, journaux de voyages, catalogues de ventes ; découvrait de nombreuses pièces d’archives inédites, enrichissait considérablement le catalogue de l’œuvre peint et dessiné, pour fournir la monographie qui allait faire autorité jusqu’aux travaux de Pierre Rosenberg et de Jean-Pierre Cuzin, un siècle plus tard.
Collectionneur, Portalis avait réuni un bel ensemble de dessins de Maîtres anciens, avec une prédilection, guère surprenante, pour le dessin français du XVIIIe siècle. Il possédait également quelques tableaux et estampes. Ses collections passèrent en vente publique à cinq reprises de son vivant (1862, 1873, 1884, 1887 et 1911) et leur dispersion fut achevée lors de la vente de sa succession en mai 1913.
Portalis s’éteignit à la fin du mois de décembre 1912, au château de Thielle près de Neufchâtel en Suisse. Sa mort, dont la date exacte n’est même pas connue, passa inaperçue.
Sophie Raux, maître de conférences en histoire de l’art, université Charles de Gaulle Lille 3, IRHiS (UMR CNRS 8529)
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Les Dessinateurs d’illustrations au dix-huitième siècle. Paris : Damascène Morgand-Charles Fatout, 1877,vol. 1 ;vol. 2 ; 2e éd. Amsterdam : G. W. Hissink, 1970.
- Charles-Étienne Gaucher, graveur, notice et catalogue. Collab. d’Henri Draibel (pseudonyme d’Henri Béraldi). Paris : Damascène Morgand-Charles Fatout, 1879, 150 p.
- La Collection Walferdin et ses Fragonard. Paris : A. Quantin et Cie, 1880, 30 p.
- Les Graveurs français du XVIIIe siècle. Collab. d’Henri Draibel (pseudonyme d’Henri Béraldi). Paris : Damascène Morgand-Charles Fatout, 1880-1882, 3 vol., XII p., 754 col., ; 2e éd. New York : Franklin, 1970 ; 3e éd. Paris : l’Échelle de Jacob, 2001, 786 p.
- Henry Cohen. – Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle. Préf. de Roger Portalis. 5e éd. rev. et augm. par Roger Portalis. Paris : P. Rouquette ; Évreux : imprimerie Ch. Hérissey, 1886, XXII p., 756 col.
- Honoré Fragonard, sa vie et son œuvre. Paris : J. Rothschild, 1889, 348 p.
- Nicolas Jarry et la calligraphie au XVIIe siècle. Paris : Techener, 1896, 142 p.
- Claude Hoin (1750-1817) : gouaches, pastels, miniatures. Paris : Gazette des Beaux-Arts, 1900, 112 p.
- Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803). Paris : G. Petit, 1902, 106 p.
- Scènes de la vie champêtre : panneaux décoratifs de Fragonard. Paris : G. Petit, 1902, 24 p.
- Bernard de Requeleyne, baron de Longuepierre (1659-1721). Paris : H. Leclerc, 1905, 216 p.
- Portalis Roger, éd. – Researches concerning Jean Grolier, his life and his library, with a partial catalogue of his books. New York : the Grolier Club, 1907, 2 vol., XLV p., 386 p. ; 2e éd. New York : Burt Franklin, 1971.
- Henry-Pierre Danloux, peintre de portraits, et son journal durant l’émigration (1753-1809). Paris : E. Rahir, 1910, 493 p.
- Cohen Henry. – Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle. Préf. de Roger Portalis. 6e éd. rev. et augm., Paris : A. Rouquette, 1912, XXVI p., 1248 col. ; nouv. éd. Brueil-en-Vexin : Éd. du Vexin français ; Paris : Diffusion Coulet et Faure, 1973 ; Mansfield : Maurizio Martino, 1997.
Articles
- « Lettre en vers de Charles-Nicolas Cochin fils ». Nouvelles archives de l’art français, 1880-81, p. 41.
- « La Collection Walferdin et ses Fragonard ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1880, p. 163-172.
- « Les Graveurs amateurs du XVIIIe siècle ». Annuaire de la Société des amis du livre, 1882, 55 p.
- « Exposition des pastellistes français à la rue de Sèze ». Gazette des Beaux-Arts, mai 1885, p. 437-449.
- « Les Peintures décoratives de Fragonard et les panneaux de Grasse ». Gazette des Beaux-Arts, décembre 1885, p. 481-493.
- « Les Femmes bibliophiles en France ». Gazette des Beaux-Arts, janvier 1887, p. 72-77.
- « La Gravure en couleurs, I ». Gazette des Beaux-Arts, décembre 1888, p. 441-457.
- « La Gravure en couleurs, II ». Gazette des Beaux-Arts, janvier 1889, p. 29-41.
- « La Gravure en couleurs, III ». Gazette des Beaux-Arts, mars 1889, p. 196-212.
- « La Gravure en couleurs, IV ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1889, p. 322-338.
- « La Gravure en couleurs, V ». Gazette des Beaux-Arts, février 1890, p. 118-128.
- « Claude Hoin, I ». Gazette des Beaux-Arts, décembre 1899, p. 441-461.
- « Claude Hoin, II ». Gazette des Beaux-Arts, janvier 1900, p. 10-24.
- « Claude Hoin, III ». Gazette des Beaux-Arts, mars 1900, p. 203-216.
- « Claude Hoin, IV ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1900, p. 293-309.
- « Les Arts à l’Exposition universelle de 1900. L’exposition rétrospective de la ville de Paris, I ». Gazette des Beaux-Arts, septembre 1900, p. 207-221.
- « Les Arts à l’Exposition universelle de 1900. L’exposition rétrospective de la ville de Paris, II ». Gazette des Beaux-Arts, octobre 1900, p. 335-348.
- « Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), I ». Gazette des Beaux-Arts, novembre 1901, p. 353-367.
- « Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), II ». Gazette des Beaux-Arts, décembre 1901, p. 477-494.
- « Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), III ». Gazette des Beaux-Arts, février 1902, p. 100-118.
- « Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), IV ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1902, p. 325-347.
- « L’Exposition de l’enfance (XVIIIe-XIXe siècle) ». Gazette des Beaux-Arts, juillet 1901, p. 5-17.
- « Eugène Paillet, bibliophile, 1829-1901 ». Annuaire de la Société des amis du livre, 1902, 38 p.
- « Le Baron Anatole de Claye, 1851-1903 ». Bulletin du bibliophile, 1903, 25 p.
- « Une collection de portraits français ». Collab. de Henri Draibel (pseudonyme de Henri Béraldi). Revue de l’art ancien et moderne, 1903, p. 161-176, 261-278.
Bibliographie critique sélective
- Béraldi Henri. – Les Graveurs du XIXe siècle, Guide de l’amateur d’estampes modernes. Paris : Conquet, 1885-1892, vol. XI, p. 31.
- Société pour l’étude de la gravure française. – Annuaire de la gravure française. Paris : s. n., 1912, p. 168.
- Lugt Frits. – Les Marques de collections de dessins et d’estampes. Amsterdam : Vereenigde Drukkerijen, 1921, n° 2232, p. 418.
- Thieme Ulrich et Becker Felix. – Allgemeines Lexicon der Bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart. Leipzig : E. A. Seeman, 1933, t. XXVII, p. 287.
Sources identifiées
Paris, archives du ministère des Affaires étrangères
- Correspondance avec Sarcey à propos de l’ouvrage sur Fragonard, entre 1880 et 1900 environ (vol. 146-360, f° 66-68 v°)
Paris, bibliothèque de l’INHA – collections Jacques Doucet
- Correspondance (carton 94, dossiers 3 et 4) : lettres concernant l’édition de gravures
- Fonds Portalis, 5 boîtes, un grand format :
- Boîte n°1 : papiers personnels ; notes de travail, documents iconographiques et correspondances relatifs à ses publications, classées par ordre chronologique de parution : dessinateurs d’illustration au XVIIIe siècle (1877), graveurs du XVIIIe siècle (1880-1882), Fragonard (1882-1889), deux articles sur la gravure en couleurs (1888-1889), Nicolas Jarry et les calligraphes du XVIIe siècle (1896), Claude Hoin(1900).
- Boîte n°2 : notes de travail, documents iconographiques et correspondances relatifs à Mmes Labille-Guiard (1902) et Vigée-Lebrun (projet en 1901), à l’éloge de Coustou par l’abbé Gougenot (1903), à Jean Grolier, bibliophile lyonnais (1907) et Henri-Pierre Danloux (1910).
- Boîtes n°3 et 4 : notes de travail, documents iconographiques et correspondances relatives à Danloux (1910).
- Boîte n°5 : extraits de la correspondance des Surintendants des Bâtiments du Roi (1739-1790), notes sur la sculpture au XVIIIe siècle et sur François- Marie Poncet (1736-1797), sur Antoine Vestier (1740-1824) et Henri Regnault (1843-1871), documents iconographiques à usage indéterminé.
- Boîte n°6 : documents iconographiques relatifs à Danloux.
- Catalogues des ventes Portalis : 13 mai 1884, 14 mars 1887, 2 et 3 février 1911, 9 mai 1913
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie
- Gravure anonyme : portrait de Roger Portalis, vers 1890 (N2 Portalis)
En complément : Voir la notice dans AGORHA