Informations sur l’INHA, ses actualités, les domaines et programmes de recherche, l’offre de services et les publications de l’INHA.
CARTIER, Étienne
Mis à jour le 12 novembre 2008
(1813, Tours − 1887, Solesmes)
Auteur(s) de la notice :
ROWLEY Neville
Profession ou activité principale
Historien, historien de l’art, théoricien de l’art, moraliste, traducteur (latin, italien), peintre
Sujets d’étude
Art chrétien, peinture italienne du XVe siècle, art français du XVIe siècle, esthétique, numismatique
Carrière
1839 : participe à la fondation, à Rome, de la Confrérie de saint Jean l’Évangéliste
1848 : séjourne à Paris
1853-1861 : assiste le père Lacordaire à Sorèze
1870-1871 : vit à Tours pendant la guerre
1871 : se retire à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes
Étude critique
De son père Étienne Jean-Baptiste, fondateur de la Revue numismatique et auteur en 1847 d’un essai intitulé Du symbolisme chrétien dans l’art, Étienne Cartier hérite d’un intérêt juvénile pour les monnaies et, surtout, d’une passion à vie pour l’art chrétien. Son parcours en témoigne, de Rome, où il participe en 1839, sous l’égide du père Lacordaire, à la fondation de la Confrérie de saint Jean l’Évangéliste, jusqu’à l’abbaye de Solesmes, théâtre de ses vieux jours. S’il est qualifié de « jeune peintre » en 1839 (père Joachim-Joseph Berthier, père Vallée, Un peintre dominicain : l’œuvre artistique du R.P. Besson, 1909, p. 26), Cartier semble n’avoir ensuite exercé d’autre activité que celle d’écrivain. Tous les écrits de ce « bénédictin laïque » (Jules Helbig, Revue de l’art chrétien, 1888, p. 140) témoignent de sa profonde foi, en premier lieu ses traductions et commentaires de Cassien, Grégoire le Grand, Catherine de Sienne, Savonarole et Heinrich Seuse dit Suso, ainsi que ses pamphlets fustigeant la franc-maçonnerie ou prônant le repos du dimanche.
Sa compréhension de l’art est également toute pétrie de pensée religieuse. Cartier n’est certes pas le premier théoricien de l’art chrétien, puisque sa grande synthèse sur le sujet n’est publiée qu’en 1881, près d’un demi-siècle après les écrits fondateurs d’Alexis-François Rio et de Charles Forbes de Montalembert. La singularité de l’ouvrage tiendrait plutôt dans son effort systématique d’appliquer la doctrine chrétienne à tous les arts. La philosophie de l’art de Cartier, identifiant le Vrai, le Beau et le Bien, est essentiellement platonicienne. Mais plutôt que d’invoquer une autorité païenne, l’historien se réclame de Denys l’Aréopagite et de Thomas d’Aquin, une inflexion chrétienne qui se traduit par l’insistance sur l’amour divin, donc sur le Bon au détriment du Bien. Le comble de l’amour étant celui du Christ, Cartier en fait « le type, le modèle de l’artiste ». L’esthétique de Cartier est donc exclusivement chrétienne : elle se détache de la position plus idéaliste de Rio, un temps admirée puis vertement critiquée.
De sa théorie de l’art, Cartier déduit que l’artiste doit avant tout exprimer une inspiration religieuse authentique. L’histoire de l’art est comprise selon ce principe cardinal. Le Beau idéal n’est plus celui, trop humain, des Grecs anciens, comme l’avait proposé Johann Joachim Winckelmann. Il appartient plutôt, comme a su le voir Seroux d’Agincourt, auquel Cartier rend hommage, au Moyen Âge, moment privilégié de l’inspiration religieuse entre la révélation du Christ et la décadence de la Renaissance. Si cette conception est exposée pleinement, sous la forme épistolaire que l’auteur affectionne, dans les deux volumes de L’Art chrétien, on en trouve un admirable résumé dans l’article « L’Art et la Charité », qui retrace une histoire de l’art à partir des représentations de cette vertu théologale. Ainsi, plus que la « nourrice puissante » des œuvres de la Renaissance, il faut préférer la Charité telle que l’a représentée Giotto à l’Arena de Padoue, qui « porte des fleurs et des fruits parce qu’elle a donné tout son cœur à son divin Époux » − une figure que Marcel Proust qualifiera pourtant, quelque trente ans plus tard, de « puissante ménagère ».
Témoin exemplaire de la vogue des préraphaélites en France, Cartier recherche avant tout dans ces œuvres l’expression d’un sentiment chrétien authentique. Aussi n’est-ce pas Giotto qui, au XIVe siècle, l’attire le plus, mais la plus « naïve » école siennoise que Rio avait déjà portée aux nues. Par rapport à ce dernier, Cartier réévalue la personnalité artistique de Simone Martini, car il le considère à tort comme l’auteur de la théologie dominicaine de la chapelle des Espagnols à Santa Maria Novella. Le plus grand artiste de tous les temps n’est pourtant pas siennois, mais florentin : il s’agit de Fra Angelico, auquel Cartier consacre une monographie en 1857. Le style de cet artiste est divisé en trois phases distinctes. Au cours de la première, celle des années d’exil, le jeune prêtre se familiarise avec la tradition chrétienne des Madones byzantines et des fresques d’Assise. Durant la seconde époque, marquée par la décoration du couvent de San Marco à Florence, prévalent l’observation de la nature et l’assimilation des découvertes artistiques de la Renaissance. Le peintre est décrit tout à la fois comme un théologien à part entière et comme un peintre sans égal. La dernière période romaine, aux figures plus monumentales, démontre comment Fra Angelico a su triompher de l’art antique, contrairement à Ghiberti ou, plus tard, à Raphaël. L’Urbinate est d’ailleurs présenté, dans L’Art chrétien, comme le contre-modèle idéal du moine de Fiesole. Son parcours artistique se divise également en trois périodes, qui scandent une inexorable décadence : l’élève du Pérugin, encore sincère et chrétien, est rapidement perverti par les voyages à Florence, puis à Rome, où le peintre adopte un « paganisme » toujours plus prégnant jusqu’à la Fornarina et à la Transfiguration.
Certaines remarques admiratives sur Raphaël, « le plus doué et le plus sensible » des peintres, témoignent incidemment d’un intérêt pour l’art qui n’est pas uniquement dogmatique. Le meilleur témoin de cette attitude réside sans conteste dans l’attention véritable que Cartier porte à la qualité stylistique des œuvres de Fra Angelico. En faisant très justement du moine de Fiesole un peintre de tout premier plan, dont « la couleur […] est pleine de lumière ; les teintes […] vives et les ombres transparentes », l’historien s’oppose directement à Rio, pour lequel Masaccio dépassait par la « savante distribution des ombres et de la lumière » les œuvres « mystiques » du dominicain. Le mérite principal de la monographie de Cartier est d’ailleurs, selon les termes de l’auteur lui-même, de déterminer dans un catalogue raisonné le caractère autographe des œuvres du maître, les peintures les plus faibles étant attribuées de manière générique à son frère Fra Benedetto. Quant à l’étude qu’il consacre aux sculptures de Solesmes, elle attribue la réalisation du transept sud de l’abbaye à Michel Colombe et propose de voir, dans le transept opposé, l’œuvre de l’atelier anversois des Floris. Cette dernière proposition donnera lieu en son temps à un débat polémique qui n’est toujours pas épuisé de nos jours.
Le reproche essentiel que Cartier adresse à Rio est celui de n’être pas assez pédagogique : les réussites et les errances du passé doivent être autant d’exemples à connaître pour l’artiste. En retraçant l’histoire de l’art chrétien, Cartier ne cherche donc qu’à le faire ressusciter de la longue décadence dans laquelle il est entré depuis la Renaissance. Cet art nouveau, l’historien ne fait pas que l’appeler de ses vœux, il le constate chez certains qui se sont efforcés de « baptiser l’art grec », tels Victor Orsel et Alphonse Périn, mais surtout chez Louis-Nicolas Cabat et Hyacinthe Besson, ses amis depuis les débuts de la Confrérie de saint Jean. Premier biographe du père Besson, Cartier en fait le « nouvel et véritable Angelico du XIXe siècle », celui qui a su faire revivre l’inspiration et les types du moine toscan, et non en imiter servilement et inutilement le style. La fréquentation des artistes amène notamment Cartier à s’intéresser en historien aux procédés techniques en vogue, comme la gravure ou la peinture à l’encaustique. Elle constitue surtout la source d’un goût artistique authentique, de sorte qu’on ne saurait réduire la figure d’Étienne Cartier au rang de théoricien exemplaire d’une doctrine alors proche de sa fin.
Neville Rowley, pensionnaire de l’Académie de France à Rome, doctorant à l’université Paris-Sorbonne
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Histoire des reliques de saint Thomas d’Aquin. Paris : Sagnier et Bray, 1854.
- Appel aux honnêtes gens : considérations sur le repos du dimanche pour l’homme, la famille, la société, l’industrie et le commerce. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1856.
- Une nuit pendant l’inondation. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1856.
- Vie de Fra Angelico de Fiesole de l’ordre des frères prêcheurs. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1857.
- La Question romaine, par un ouvrier. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand ; 2e éd. Lyon ; Paris : J.-B. Pélagaud, 1860.
- Un religieux dominicain, le révérend père Hyacinthe Besson : sa vie et ses lettres. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue et fils, 1865 ; 2e éd. Vie du révérend père Hyacinthe Besson, de l’ordre des frères prêcheurs. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1869.
- Lettres du R. P. Besson, de l’ordre des frères prêcheurs. 2e éd. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1870.
- Les Sculptures de Solesmes. [Revue du monde catholique, 1874] ; nouvelle édition, augmentée d’une étude sur le plan primitif de l’église abbatiale de Saint-Pierre. Paris : V. Palmé, 1877 ; Paris ; Bruxelles ; Le Mans : Société générale de librairie catholique ; Edmond Monnoyer, 1877.
- L’Art chrétien : lettres d’un solitaire. Paris : Poussielgue Frères ; D. Dumoulin et Cie, 1881, 2 vol.
- Les Moines de Solesmes : expulsions du 6 novembre 1880 et du 22 mars 1882. Le Mans ; Solesmes : E. Monnoyer ; imprimerie Saint-Pierre, 1882.
- Esquisse de l’étude de l’art chrétien. Montpellier : [s. n.], 1885.
- Lumières et ténèbres : lettres à un franc-maçon. Paris : Letouzey et Ané, 1888.
Ouvrage en collaboration
- Cartier Étienne, Paget Amédée.– Examen et défense du système de Fourier. Paris : Librairie sociétaire, 1844 (Cartier a achevé l’ouvrage à la mort de Paget).
Articles
- « De la peinture à encaustique des Anciens et de ses véritables procédés, I. ». Revue archéologique, avril-septembre 1845, II, p. 278-288 et p. 365-380.
- « De la peinture à encaustique des Anciens et de ses véritables procédés, II. ». Revue archéologique, octobre 1845-mars 1846, II, p. 437-452.
- « Description de quelques chapiteaux de l’église Saint-Denis, à Amboise ». Revue archéologique, III, 1re partie, avril-octobre 1846, p. 106-108.
- « Recherches sur quelques médailles historiques du XVIe siècle, lettre à M. Étienne Cartier, directeur de la Revue numismatique ». Revue numismatique, 1851, p. 36-58 ; tiré à part : Recherches sur quelques médailles historiques du XVIe siècle, lettre de M. Étienne Cartier fils à M. Étienne Cartier père. Blois : imprimerie de E. Dézairs, [s. d.] ; Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1851.
- « Fragment d’un manuel de numismatique française ». Revue numismatique, 1855, p. 242-270.
- « Le Bien et le Mal : tableau de M. V. Orsel, gravure de V. Vibert ». Le Correspondant, 1859 ; tiré à part : Paris : Charles Douniol, 1859.
- « Introduction ». In M. M., Cours d’histoire universelle à l’usage de la jeunesse depuis la création du monde jusqu’au XIXe siècle, I. Histoire ancienne, t. I. « Depuis la création du monde jusqu’à Jésus Christ », Paris ; Lyon : Périsse frères, 1863, p. V-XVI.
- « Jésus-Christ dans l’art ». In Veuillot Louis. Jésus-Christ. 2e éd. Paris : Firmin Didot frères, fils et Cie, 1875, p. 471-556 ; tiré à part : Étude sur l’art chrétien. Paris : Pillet et Dumoulin, 1879.
- « L’Art et la Charité ». Revue de l’art chrétien, 23e année, 2e série, tome XI (XXVIIIe de la collection), 1879, p. 99-107 ; tiré à part : Arras : imprimerie de la Société du Pas-de-Calais, 1879.
- « Le Triomphe de saint François ». Revue de l’art chrétien, 28e année, 4e série, tome III (XXXVe de la collection), octobre 1885, p. 419-436.
Traductions
- Œuvres du B. Henri Suso, de l’ordre des frères prêcheurs. Paris : Sagnier et Bray, 1852.
- Vie de sainte Catherine de Sienne, par le B. Raymond de Capoue, son confesseur, suivie du supplément du B. Thomas Caffarini, et des témoignages des disciples de sainte Catherine, au procès de Venise. Paris : Sagnier et Bray, 1853 ; 2e éd. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1859, 2 vol.
- Lettre de sainte Catherine de Sienne. Paris : V. Dindron, 1854.
- Dialogue de sainte Catherine de Sienne, suivi de ses prières recueillies par ses disciples et de son Traité de la perfection, d’après le manuscrit du Vatican. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1855, 2 vol.
- Lettres de sainte Catherine de Sienne. Paris : Librairie de Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1858, 3 vol. ; 2e éd. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1886.
- Conférences de Cassien sur la perfection religieuse. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1868, 2 vol.
- Institutions de Cassien. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1872.
- Dialogues de saint Grégoire le Grand. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1875.
- Vie de saint Benoît, extraite des Dialogues de saint Grégoire le Grand. 3e éd. Solesmes : imprimerie Saint-Pierre, 1887.
- L’Église et ses ennemis, paraphrase du psaume LXXIX « Qui regis Israel, intende », par Jérôme Savonarole. Paris : Librairie Poussielgue Frères, 1867.
Bibliographie critique sélective
- Béthune de Villiers Jean.– « Le Beau esthétique et l’art chrétien. Les Lettres d’un solitaire par M. É. Cartier ». Revue de l’art chrétien, 28e année, 4e série, tome III (XXXVe de la collection), avril 1885, p. 159-167.
- Didiot Jules.– « Correspondance ». Revue de l’art chrétien, 28e année, 4e série, tome III (XXXVe de la collection), octobre 1885, p. 510-511.
- Helbig Jules.– « Nécrologie. MM. É. Cartier et V. Gay ». Revue de l’art chrétien, 31e année, 4e série, tome VI (XXXVIIIe de la collection), janvier 1888, p. 140-141.
- Guillemin Victor.– « Le Peintre franc-comtois R. P. Hyacinthe Besson, des Frères Prêcheurs. 1816-1861. Notice sur sa vie et ses ouvrages, écrite principalement d’après son biographe et son ami Étienne Cartier ». Mémoires de la Société d’émulation du Doubs, séance du 10 janvier 1891 ; tiré à part : Besançon : imprimerie Dodivers, 1891.
- Père Berthier Joachim-Joseph, père Vallée.– Un peintre dominicain : l’œuvre artistique du R. P. Besson. Paris : Lethielleux et A. Marty, 1909.
- Prévost Michel.– « Étienne-Jean-Baptiste Cartier ». In Prévost Michel, Roman d’Amat Jean-Charles, dir., Dictionnaire de biographie française. Paris : Librairie Letouzey et Ané, 1956, t. VII, col. 1276.
- Foucart Bruno.– Le Renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860). Paris : Arthéna, 1987, p. 19-23, 36-40, 45-48, 228-230.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour