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DIDRON Adolphe-Napoléon
Mis à jour le 17 mars 2014(13 mars 1806, Hautvilliers – 13 novembre 1867, Paris)
Auteur(s) de la notice : MARASZAK Émilie
Profession ou activité principale
Archéologue, iconographe, fondateur et directeur de revue, industriel
Autres activités
Journaliste, professeur
Sujets d’étude
Iconographie chrétienne latine et grecque, art gothique du XIIIe siècle, architecture, restaurations monumentales
Carrière
Vers 1820 : études au petit séminaire de Meaux, puis de Reims
1826 : installation à Paris où il poursuit des études de grec et de latin
Vers 1830 : rencontre Victor Hugo, pour qui il éprouve une réelle fascination depuis la lecture de Notre-Dame de Paris
1831 : premier voyage d’étude en Normandie où il relève pour la première fois l’état de dégradation des monuments. S’ensuit une querelle avec l’inspecteur général des Monuments historiques, Ludovic Vitet, lorsque ce dernier répond sans empressement aux sollicitations de Didron quant à l’action du gouvernement pour la sauvegarde des monuments
1835-1852 : secrétaire du Comité historique des Arts et Monuments nommé par François Guizot
1837 : travail descriptif de la cathédrale de Chartres à la demande du ministère de l’Instruction publique. Une partie de son travail apparaît dans la Monographie de la cathédrale de Chartres publiée à partir de 1842 en collaboration avec Jean-Baptiste Lassus pour les relevés et Eugène Emmanuel Amaury-Duval pour les dessins
1838 : création d’un cours d’archéologie chrétienne avec Albert Lenoir au département des langues orientales vivantes de la Bibliothèque royale. Didron prend en charge les cours d’iconographie chrétienne, Lenoir ceux d’architecture. Une deuxième session verra le jour en 1843
1840-1848 : rédacteur des quatre premiers volumes du Bulletin Archéologique publié par le Comité
1842 : publication de sa Monographie de Notre-Dame de Brou
1843 : publication de son ouvrage Iconographie chrétienne, Histoire de Dieu
1844-1867 : fondateur, directeur et rédacteur en chef des Annales archéologiques
1845 : Fondation de la Librairie Archéologique à la tête de laquelle il place son frère Victor. Didron publie le Manuel d’iconographie chrétienne à partir de la copie d’un manuscrit byzantin, le Guide de la peinture, entré en sa possession lors d’un voyage en Grèce avec Paul Durand
1849 : création d’une manufacture de vitraux au 13 rue Hautefeuille à Paris. Il s’associe dans cette entreprise à Émile Thibaud, maître verrier de Clermont-Ferrand, et à Auguste Ledoux, qui dessine les cartons. Didron travaille surtout en collaboration avec son neveu et héritier, Édouard Didron
1858 : création d’une entreprise de fonderie de bronzes
Étude critique
Iconographe et archéologue, admirateur de Victor Hugo, Adolphe-Napoléon Didron, ou Didron l’Aîné, est considéré comme l’un des pères de l’archéologie médiévale en France. Dans un XIXe siècle au cours duquel le Moyen Âge connaît une seconde vie, que d’aucuns qualifieront de « Renaissance » en France ou de revival en Angleterre, Didron s’inscrit au cœur d’un mouvement œuvrant à la redécouverte de la période et de ses témoignages artistiques. Entre nostalgie et études approfondies des monuments et autres formes artistiques, l’archéologue accompagne le mouvement de patrimonialisation et de sauvegarde des œuvres pour celles qui ont survécu à la Révolution. Or le XIXe siècle voit justement la construction d’un nouveau rapport au monument, désormais reconnu pour sa valeur historique, esthétique, politique et symbolique. Didron s’inscrit pleinement dans le débat et les enjeux nationaux. Il prend la plume pour dénoncer les négligences et les vandalismes dont sont victimes les œuvres médiévales, au risque, souvent, de s’opposer à l’administration et à d’autres personnalités engagées dans la sauvegarde des monuments historiques. Il encourage également la renaissance d’un art chrétien trouvant ses origines dans l’art gothique du XIIIe siècle. Une renaissance à laquelle il participe personnellement, non seulement à travers ses recherches consacrées à l’iconographie chrétienne, mais aussi avec ses entreprises qui lui permettent de prendre part à la restauration des monuments médiévaux et d’appliquer à l’industrie de la construction et de la restauration des techniques et des thèmes tenant compte de ce qu’il considère comme la vérité archéologique. Didron apparaît donc comme une personnalité au caractère fort, exigeant et aux idées affirmées, contesté de son vivant par ceux dont il dénonce les agissements et les erreurs dans ses articles incisifs, ses contemporains architectes et archéologues. En témoigne sa nécrologie rédigée en 1865 par son ami Ferdinand de Guilhermy qui loue « cette vie de vertu, de dévouement et d’abnégation personnelle », tout en soulignant « une enveloppe un peu rude peut-être, mais qui ne sied pas mal aux âmes de forte trempe ».
Aux origines d’une vocation
Adolphe-Napoléon Didron naît le 13 mars 1806 à Hautvillers, près de Reims, dans une famille de notables. Et c’est dans ce milieu provincial qu’il débute des études classiques au petit séminaire de Meaux, avant celui de Reims. Didron arrive à Paris en 1826 où il poursuit des études de lettres classiques jusqu’à sa licence. L’homme, curieux de nature, n’en restera pas à ces seules matières car, alors qu’il est déjà engagé dans sa carrière d’archéologue, il n’hésite pas à suivre des cours de droit, de médecine et d’histoire naturelle pour ses loisirs.
D’après la nécrologie de Guilhermy, Didron affirme avoir été très tôt fasciné par les monuments qui l’entourent, et en particulier « l’église du sacre des rois » pour laquelle « son esprit s’exerçait dès lors à découvrir le sens caché sous ces figures de pierre ». Il en garde une affection pour la cathédrale de Reims, qu’il n’hésite pas à qualifier de « paradis de l’art chrétien » dans un article paru en 1841 dans L’Artiste. Mais sa véritable rencontre avec l’art médiéval et la naissance de sa vocation d’archéologue apparaît à la lecture de Notre-Dame de Paris. Il témoigne d’une profonde admiration pour son auteur, Victor Hugo, qu’il rencontre à Paris vers 1831. Une amitié naît alors entre les deux hommes qui correspondent par la suite. L’archéologue reconnaît le rôle de mentor de Victor Hugo, « son illustre ami », dans l’introduction du Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine, publié en 1845, et expose fièrement le soutien dans ses travaux de celui qui, pour lui, a permis la redécouverte du Moyen Âge au XIXe siècle : « Si je fais de l’archéologie, c’est à l’immortel auteur de Notre-Dame de Paris que je le dois ». À plusieurs reprises donc, les échanges de lettres entre les deux hommes sont publiés ouvertement par Didron, qui, sous couvert parfois d’une modestie feinte quant aux compliments que lui adresse Victor Hugo, n’hésite pas à afficher cette amitié pour gagner en crédibilité, montrer son admission dans le cercle privé de l’intellectuel parisien.
L’élaboration d’une méthode d’étude archéologique
Didron met très tôt en place une méthode d’étude qui lui permet d’élever sa discipline, l’archéologie, au rang de science. L’archéologue expérimente cette méthode rigoureuse dès son premier voyage d’étude, en Normandie, en 1830-1831, et il n’aura de cesse de la perfectionner jusqu’à sa mort.
La première phase de recherche consiste en une préparation documentaire au cours de laquelle il rassemble les études antérieures menées sur la zone géographique qu’il s’apprête à parcourir. Pour ces premières recherches en Normandie, il aurait en effet repris, selon Guilhermy, « les légendes et les actes des saints, l’immense recueil des Bollandistes, les œuvres des Mabillon, des Montfaucon, des Ruinart ». À partir de ses recherches initiales, Didron construit un véritable projet sous la forme d’un voyage d’étude et il se révèle être un grand voyageur, à l’image de ses contemporains Prosper Mérimée et Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc. Sans appui officiel, puis fort du soutien du Comité historique des Arts et Monuments et du contact de ses correspondants locaux, il se déplace pour observer les monuments dans les régions françaises, mais aussi en Europe. Il se rend ainsi en Grèce (1839), en Allemagne (1843), en Angleterre (1846), en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en Espagne (1848), en Italie à deux reprises (1848 et 1858) à la manière d’un véritable « explorateur du passé », comme il l’écrit à Victor Hugo. L’archéologue aurait ainsi couvert de ses notes de nombreux carnets de voyage dont nous avons quelques aperçus lorsqu’il consacre des articles à ses voyages d’étude dans les Annales archéologiques ou dans d’autres revues. Et Didron se déplace à pied, une fois sur place, pour prendre des notes d’après ses observations sur le monument ou l’œuvre d’art ; en aucun cas il ne les rédige a posteriori. Mais une qualité essentielle manque à l’archéologue. À la différence de ses confrères, il ne sait pas dessiner, d’où l’importance qu’il accorde à la description. Il doit faire le choix de mots justes, pertinents, pour transmettre l’information qu’un simple croquis aurait pu montrer. Guilhermy utilisera l’expression de « photographier par la parole » pour décrire le travail de Didron. Il en résulte une certaine méfiance de sa part vis-à-vis du dessin qui, pour lui, est rarement exact, mais aussi une exigence quant au choix des artistes et quant à la qualité des gravures qui accompagnent les articles de sa revue. Il se montre ainsi favorable aux techniques reproduisant fidèlement ses observations, l’estampage ou la gravure à partir de photographie pour les illustrations des Annales archéologiques dès 1853. Il tente également de codifier les principes de la description pour s’en tenir à une méthode rigoureuse. Il définit l’ordre que doit suivre l’observation, du portail à l’abside pour les églises et cathédrales, puis la description, pour comprendre le monument et son programme décoratif dans son ensemble. Il intervient ainsi dans la spécialisation du vocabulaire de description comme en témoigne son ouvrage, l’Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu, où chaque motif iconographique est décortiqué pour mieux en comprendre le sens. De nombreux articles des Annales archéologiques montrent cette volonté de s’attarder sur des motifs précis pour une meilleure description et une meilleure compréhension du sens théologique des programmes décoratifs des églises et cathédrales médiévales : des éléments du mobilier liturgique, la Mère et l’Enfant en 1844, le Crucifix en 1845, les jours de la Création […] Ce perfectionnement a pour lui un unique but, la présentation de résultats scientifiques.
Didron ne s’intéresse pas uniquement à l’histoire du monument, il le replace au cœur de son contexte géographique, inventant en cela la statistique monumentale. Cette technique l’amène à recenser l’ensemble des édifices d’une région donnée, la Marne par exemple, grâce à ses contacts locaux mais aussi à ses pérégrinations sur le terrain.
Sa méthode de description amène enfin Didron à participer à l’élaboration du genre de la monographie à partir de son étude développée pour la cathédrale de Chartres à la demande du Comité historique des Arts et Monuments. Il établit le plan de ce type d’étude, une partie historique, une autre descriptive, dont il se charge dans les ouvrages collectifs auquel il participe, associées à des planches élaborées par ses confrères dessinateurs. Cette nouvelle forme de compte rendu d’étude est développée à nouveau par Didron pour un autre ouvrage, la Monographie de Notre-Dame de Brou, parue en 1842.
Une reconnaissance officielle tardive et limitée
L’intransigeance dont il fait preuve sur certaines questions, et notamment en dénonçant l’inaction de l’administration dans le débat sur la conservation des monuments nationaux, explique la reconnaissance tardive de Didron par les instances officielles et l’empêche de gravir les échelons de l’administration. De fait, l’archéologue mène ses combats en marge, et même en dehors de ces instances pour constituer ce que Catherine Brisac et Jean-Michel Léniaud nomment un « groupe de pression […] contre les décideurs administratifs et les restaurateurs architectes. » Après son premier voyage en Normandie, Didron s’oppose vivement à l’inspecteur des Monuments historiques, Ludovic Vitet, qu’il interpelle dans une lettre retranscrite dans le journal L’Européen daté du 17 décembre 1831 sur le triste état des édifices de la région : « Je vous conjure, Monsieur, d’avoir pitié de ces beaux débris, de ces admirables ruines, de ces monuments magnifiques, et de les protéger contre le temps et les hommes. » La réponse officielle n’en est que plus décevante lorsque le secrétaire de l’inspecteur, et non Ludovic Vitet lui-même, lui rétorque que les financements manquent pour porter secours à l’ensemble du patrimoine national. Vexé et frustré que son opinion ne soit pas davantage prise en considération, Didron se lance alors dans une campagne par voie de presse visant à dénoncer les agissements de l’inspecteur des Monuments historiques, dans la perspective sans doute de se présenter comme le candidat idéal à sa succession. Mais lorsque Ludovic Vitet est nommé secrétaire général du ministère du Commerce en 1834, Prosper Mérimée, alors membre du Conseil d’État, lui est préféré.
Dès 1833, le ministre de l’Instruction publique François Guizot propose au roi Louis-Philippe la création « d’une commission chargée de diriger le grand travail d’une publication générale de tous les matériaux importants et encore inédits de l’histoire de notre patrie » (Bulletin Archéologique, 1843, vol. 1). Cette première commission est reconnue officiellement le 18 juillet 1834 et un sous-Comité est créé le 10 janvier 1835 pour « la publication des monuments inédits des sciences et des arts » au sein de laquelle l’histoire des arts se développe considérablement. Le ministre place cette section, qu’il veut transformer en Comité à part entière, sous son patronage mais il faut attendre l’intervention de son successeur, le comte de Salvandy, pour que la création du Comité historique des Arts et Monuments soit officiellement reconnue par l’arrêté du 18 décembre 1837. Le texte spécifie également les missions de ce nouveau Comité en faveur de l’étude des monuments français et de leur conservation. Un vaste projet dont le but ultime est de « préparer les matériaux pour une histoire complète de l’art en France » auquel Didron prend part activement, nommé par Guizot dès 1835 pour le sous-Comité, et reconduit dans ses fonctions de secrétaire par le comte de Salvandy, pour le Comité cette fois. Le Comité historique des Arts et Monuments, présidé par le comte de Gasparin, compte parmi ses membres résidents des noms connus tels Victor Hugo, l’architecte Albert Lenoir, Prosper Mérimée, le comte de Montalembert, Ludovic Vitet, et bénéficie d’un vaste réseau de correspondants dans les départements français et à l’étranger.
Didron occupe désormais une place importante au sein d’un organe officiel qui donne l’impulsion aux recherches archéologiques en France. Les fonctions qu’il occupe font de lui un interlocuteur privilégié des sociétés savantes locales et l’un des archéologues les mieux informés de France quant à l’état des monuments nationaux. Il est en effet chargé de rédiger les procès-verbaux des séances du Comité, de préparer la correspondance officielle, de rédiger des rapports à l’intention du ministre de l’Instruction publique. À partir de 1840, Didron est également en charge de la publication du Bulletin Archéologique et Guilhermy lui attribue la rédaction des quatre premiers volumes de ce bulletin. L’archéologue mène aussi plusieurs travaux pour le compte du Comité et notamment un travail de recensement des monuments dans le centre et le sud du pays, développant la technique de statistique monumentale mentionnée précédemment. En 1839, il participe également au vaste travail descriptif mené sur la cathédrale de Chartres, associé à Jean-Baptiste Lassus pour les dessins des plans, des coupes et élévations, de l’ornementation, à Emmanuel Amaury-Duval pour le dessin de la statuaire, et au comte de Salvandy pour l’historique de la cathédrale. Didron est donc chargé du travail descriptif. Ces travaux sont finalement abandonnés et la monographie publiée trente ans plus tard se contentera des planches et de quelques descriptions (Monographie de la cathédrale de Chartres, Paris : imprimerie royale, 1842). D’autres travaux suivront : un rapport sur Notre-Dame de Paris que l’archéologue publie en partie dans la Revue de Paris, un recensement des monuments de l’arrondissement de Reims, associé à Hippolyte Durand pour les dessins et au professeur Pierre Joseph Varin pour les recherches historiques, qui paraît dans plusieurs articles de la revue L’Artiste en 1841. Didron est finalement évincé du Comité, sans doute pour des raisons politiques lors de l’avènement du Second Empire en 1852.
Le fondateur des Annales archéologiques et de la Librairie archéologique
Après un premier succès à la tête d’une revue scientifique pour le compte du Comité, Didron se rend sans doute compte que la reconnaissance officielle dont il fait l’objet est très limitée et qu’aucun poste plus élevé ne lui sera accordé. Soutenu par un certain nombre de ses confrères et bénéficiant d’un vaste réseau de contacts, il crée une revue qui lui offre la tribune et l’auditoire qu’il a toujours souhaités : les Annales archéologiques, Encyclopédie de l’art au Moyen Âge, par les principaux artistes et archéologues, dont il assure la direction pour les vingt-quatre premiers volumes, de 1844 à 1865. Il la conçoit comme un organe indépendant des comités officiels et ministères pour mieux « surveiller l’emploi de l’argent public » comme il le mentionne dès l’introduction de la première parution, en plus de sa première vocation, la publication d’articles scientifiques sur l’art médiéval. En fixant cette ligne éditoriale, Didron annonce un ambitieux projet : « connaître le passé tout entier pour deviner et préparer l’avenir ». Mais il sait aussi que le succès lui est assuré puisqu’aucune revue concurrente ne peut lui faire ombrage : le Bulletin Archéologique du Comité ne peut consacrer d’aussi longs articles à la recherche archéologique, ni s’aventurer sur des thèmes aussi variés ou traiter de sujets d’actualité pour provoquer le débat public, et la Revue Archéologique se concentre sur les antiquités gréco-romaines. La publication est dirigée par Didron lui-même, omniprésent, assurant non seulement le choix des articles, leur correction mais rédigeant également plus de la moitié des textes retenus. Il est aidé par un groupe d’auteurs réguliers, Lassus, Guilhermy, le baron Ferdinand de Roisin, Eugène Viollet-le-Duc entre autres, permettant le dynamisme des recherches et le développement de la discipline archéologique.
La revue apparaît donc comme une tribune libre, où Didron s’exprime avec passion au sein d’articles souvent polémiques visant à dénoncer les écrits et agissements d’architectes, d’archéologues, ceux qui ne partagent pas sa vision et entrent en concurrence avec lui. Ainsi, dès la première édition des Annales archéologiques, l’archéologue montre du doigt la vision de Désiré Raoul-Rochette qui condamnait « le goût aride et la triste nudité des églises gothiques ». Cet article constitue le premier coup de sang de Didron dans les Annales archéologiques, et le premier d’une longue série de protestations et de dénonciations quant à la restauration des monuments.
Les Annales archéologiques lui offrent aussi un espace de liberté où s’épanouit sa curiosité intellectuelle. De nombreux thèmes sont ainsi abordés par l’archéologue, en plus de ses principaux sujets de recherche que sont l’iconographie chrétienne, la conservation des monuments historiques, l’architecture médiévale en France. La revue accueille ses articles consacrés à la musique et à la poésie médiévales, aux artistes du Moyen Âge, au symbolisme chrétien, à l’orfèvrerie, aux vitraux et à ses récits de voyages. En effet, Didron a tout le loisir d’en livrer de longs passages, mais aussi d’y trouver de nouveaux sujets d’étude. Il en est ainsi pour son voyage en Grèce et la comparaison entre l’art chrétien grec et latin, que nous évoquerons dans notre paragraphe sur l’iconographie chrétienne. D’autres observations à partir de ses voyages sont publiés : « Promenade en Angleterre » en 1846, « L’art et l’archéologie en Hollande » en 1856, « Quelques jours en Allemagne » en 1858. L’Italie enfin fait l’objet de plus d’une dizaine d’articles et, dans sa nécrologie, Didron est présenté comme le premier à avoir étudié les monuments et les artistes de la péninsule pour le Moyen Âge, alors que seules l’Antiquité et la Renaissance avaient été traitées.
En parallèle à la publication des Annales archéologiques, Didron fonde en 1845, au 13 rue Hautefeuille à Paris, une maison d’édition spécialisée, la Librairie archéologique Didron, dont il confie la direction à son frère Victor, totalement étranger au milieu de l’archéologie. À nouveau, l’archéologue crée de toute pièce l’entreprise lui permettant de publier ses propres ouvrages en toute indépendance. La Librairie archéologique édite ainsi dès sa création les Annales archéologiques, et d’autres travaux de Didron tels le Manuel d’iconographie chrétienne, le Manuel des œuvres de bronze et d’orfèvrerie du Moyen Âge, ou des travaux sur les vitraux et sur l’iconographie de grands monuments parisiens comme l’Opéra et le Panthéon. Sous couvert du nom de son frère, Didron devient également l’éditeur de personnalités scientifiques dans le domaine de l’archéologie que sont le baron de Guilhermy, Eugène Viollet-le-Duc à nouveau, Edmond de Coussemaker, le comte de Vogüé, Jean-Baptiste Lassus, Jules Labarte, Alfred Darcel, Félix de Verneilh, Ferdinand de Lasteyrie et plus tard Édouard Didron, son neveu et héritier. Outre la direction de revues, la Librairie archéologique constitue une première expérience d’entreprise à succès ouvrant la voie à d’autres, confirmant l’intérêt de Didron pour le domaine des affaires.
L’iconographie chrétienne
L’étude des monuments religieux, de leurs sculptures et de leurs vitraux, amène Didron à comprendre les programmes décoratifs médiévaux en termes de composition consciente, raisonnée, qu’il rend intelligible en les expliquant par des traités médiévaux. Dans quel but ces compositions historiées ont-elles été créées ? « L’instruction du peuple et l’édification des fidèles semblent avoir été le but principal et général que se proposait le christianisme en adoptant ce mode curieux d’ornementation historiée » (L’Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu). L’étude des cathédrales, qu’il considère comme la forme la plus aboutie de l’art chrétien, le conduit à décomposer leur programme décoratif comme un véritable programme théologique destiné à moraliser, instruire et édifier l’âme des fidèles dont les clés de compréhension sont à rechercher dans la Bible et La Légende dorée en premier lieu, mais aussi dans les encyclopédies, les sommes dont la plus complète est sans aucun doute le Speculum Universale ou Miroir Universel de Vincent de Beauvais. Didron est le premier à associer l’examen de l’architecture gothique de ces cathédrales à la lecture des grands textes médiévaux pour y trouver les clés de leur interprétation. Par cette démarche, il développe un discours à la fois archéologique et catholique qui le replace au cœur du courant d’universalisme chrétien apparu dès les années 1840.
En complément de ses recherches sur les monuments et l’art de l’Occident chrétien, Didron veut remonter aux origines du christianisme en étudiant également les monuments de l’Orient chrétien, de la religion grecque orthodoxe, et les arts qui leurs sont associés. Accompagné de trois dessinateurs, dont Paul Durand, l’archéologue part donc pour la Grèce et la Turquie en 1839. Au cours de ce voyage, il s’intéresse tout particulièrement aux Météores et aux monastères du Mont Athos, qui deviennent les sujets de plusieurs de ses articles parus dans les Annales archéologiques dès le premier numéro de 1844 pour les Météores, et dans les publications de 1846 notamment pour les seconds. Le Mont Athos demeure d’ailleurs, à ses yeux, « le sanctuaire de l’art grec ». À la suite de ce voyage, Didron publie le Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine, une traduction du Guide de la Peinture, modèle immuable utilisé par les artistes byzantins depuis des siècles, à laquelle il ajoute ses propres notes. Ce Guide de la Peinture attire toute l’attention de Didron puisqu’il lui permet de prouver ce que ses observations et ses descriptions lui avaient appris : la permanence de l’iconographie byzantine tant dans les motifs que dans la place des sujets au sein de l’église, alors qu’en France, malgré des sujets similaires, les images diffèrent totalement d’une époque à l’autre, d’une région à une autre. Il le résume ainsi : « En Grèce, l’artiste est l’esclave du théologien ; son œuvre que copieront ses successeurs, copie celle des peintres qui l’ont précédé. » Et le foyer de cette « pensée unique animant cent pinceaux à la fois » n’est autre que le Mont Athos. C’est en partant à la rencontre des peintres grecs dans les églises, et en remarquant la facilité avec laquelle ils reproduisent de mémoire des motifs et des inscriptions centenaires, que Didron obtient la réponse à ses questions lorsque l’un d’entre eux lui apprend l’existence d’un manuscrit transmis de maître à élève, le Guide de la Peinture. Après quelques difficultés, il parvient en s’en faire exécuter une copie et se plaît à raconter l’histoire de cette acquisition dans un article des Annales archéologiques de 1845. Didron utilise le Guide de la Peinture byzantin pour mener une étude comparée des iconographies grecques et latines et ainsi prouver que l’art byzantin n’a, selon lui, pas pu inspirer l’art gothique.
Le gothique, âge d’or de la chrétienté et de l’art chrétien
À partir de ses recherches archéologiques, Didron définit le XIIIe siècle et l’art gothique comme l’apogée de l’art médiéval. Il parvient à démontrer que les œuvres de cette période sont le résultat de combinaisons savantes, à l’image de sa démonstration quant à l’influence du Speculum Universale de Vincent de Beauvais dans la conception des programmes décoratifs de la cathédrale de Chartres. Cet âge d’or de l’art chrétien, Didron est aussi fier de le présenter comme une création française, associant une certaine vision patriotique à ses recherches : « Didron a retrouvé son acte de naissance (l’art gothique) sur les bords de Seine, au cœur de la France, et ce n’est certes pas pour notre pays un vain titre de gloire. » (Ferdinand de Guilhermy, « Didron », Annales archéologiques, Paris : Librairie archéologique de Victor Didron, 1865, t. XXV. p. 380). Il est donc proche du courant « néo-catholique » développé notamment par son ami Montalembert, définissant le Moyen Âge de la fin du XIIe siècle et du XIIIe siècle comme l’âge d’or de la chrétienté, marqués par la concorde entre société civile et société ecclésiastique. Le gothique constitue surtout pour l’archéologue l’apogée de l’art chrétien entre deux périodes d’art païen que sont l’Antiquité et la Renaissance.
Cette conception et les clés de compréhension des programmes historiés décorant les cathédrales de la période permettent à Didron de s’opposer à la vision que les Lumières ont véhiculée sur l’art gothique, et reprise au XIXe siècle par certains courants, et notamment le néo-classicisme : un art désordonné, voire irrationnel. Lui insiste sur l’ordre des compositions gothiques, sur l’ingéniosité des artistes médiévaux qui ont construit des programmes complexes, les ont adaptés à leur milieu pour créer de véritables sommes théologiques instruisant les fidèles et même élevant leur âme lorsqu’ils en interprètent les sens profonds à partir de leurs connaissances et de leurs lectures.
Quelle doctrine en matière de restauration des monuments ?
L’étude de l’architecture gothique entraîne Didron sur un autre terrain que la recherche archéologique. Car, outre ses publications scientifiques, l’archéologue fait de la conservation des monuments un sujet qu’il défend avec ardeur, au point d’être craint par les architectes s’employant aux grands travaux de restauration du XIXe siècle, et tourné en dérision par d’autres. Mérimée se moque de lui dans sa correspondance (Correspondance générale, t. IV. p. 134, 146), de même que Guilhermy qui le surnomme le « Féroce » ou le « redresseur des torts » dans sa nécrologie. À de nombreuses reprises, il prend donc la plume pour dénoncer ce qu’il considère comme des actes de vandalisme. Il crée ainsi une tribune au sein des Annales archéologiques, renseignée par les correspondants en région du Comité, lui permettant de mettre en lumière les destructions minimes, mais sacrilèges à ses yeux, aussi bien que les grands chantiers de restauration qui ne rencontrent que son mépris. Didron devient le chef de file des archéologues dans un débat les opposant aux architectes sur le terrain de l’interventionnisme en matière de restauration architecturale.
L’archéologue conçoit le monument comme le résultat d’une évolution et de campagnes de travaux sur plusieurs siècles aboutissant à une unité organique. Aussi, la restauration visant à revenir à l’état initial d’un édifice constitue, pour Didron, une opération destructrice. Selon lui, « avec le principe qu’il faut ramener les anciens monuments à leur unité primitive, on serait forcé de détruire la moitié du portail de Reims, les trois quarts du portail de Saint-Denis, la nef de la cathédrale de Mans, le chœur et le sanctuaire de Saint-Germain-des-Prés » (Jean-Michel Leniaud, Jean-Baptiste Lassus ou le temps retrouvé des cathédrales, Genève : Droz, 1980, p. 80). De même, compléter des parties aujourd’hui détruites ou inachevées est une autre forme de dégradation. Il en dénonce l’idée à plusieurs reprises et notamment dans les Annales archéologiques de 1851 au sujet de la reconstruction de deux flèches sur les tours de la cathédrale de Reims, qui ne feraient que « dénaturer la cathédrale » et l’enlaidir, mais pourrait, de plus, rendre le monument plus fragile qu’il ne l’est déjà.
À la restauration, qui connaît la faveur des instances officielles, Didron préfère la consolidation, la réparation et le maintien en l’état des témoignages de l’époque médiévale. Il affirme sa position contre tout autre type d’intervention dans un article paru dans L’Univers le 5 août 1841, alors que le projet de restauration de Notre-Dame de Paris le révolte : « Je suis de ceux qui s’élèvent contre toutes les restaurations quelles qu’elles soient, aussi bien contre celle de la Sainte-Chapelle que contre celle de Saint-Denis […] Il faut réparer les monuments et non pas les restaurer […] La destruction s’attache sans relâche à nos monuments, aux plus importants comme aux plus humbles […] mais la restauration, qui ne vaut guère mieux, déshonore et dénature des édifices bien plus importants encore. » S’ensuit une longue diatribe à l’encontre des architectes, et en particulier contre Étienne-Hippolyte Godde, sans le nommer, qu’il accuse de restaurer Notre-Dame de Paris « à son gré », tout en rappelant les dommages irrémédiables qu’il a infligés aux monuments dont il avait en charge la restauration : l’église abbatiale de Corbie, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Germain-l’Auxerrois. Godde ne sera pas le seul à être visé par ses critiques, les ministres et l’administration autorisant les destructions, l’inspecteur des Monuments historiques, son ami Albert Lenoir au moment de la restauration du palais des Thermes pour la création du musée du Moyen Âge en 1844 le seront tout autant. Les entreprises que Didron fonde par la suite et qui participent à la restauration des monuments français semblent toutefois contredire cet idéal de conservation en l’état des édifices, mais l’archéologue se prévaut alors de ses connaissances scientifiques pour établir l’authenticité de ses créations.
Journaliste, professeur et homme d’affaires
Ces premières observations nous ont présenté un homme curieux, engagé, aux positions parfois radicales, mais aussi un touche-à-tout aux projets multiples. Homme des médias s’illustrant par ses articles et sa direction de revues scientifiques, Didron exerce par ailleurs plusieurs emplois au cours de sa carrière, en parallèle avec ses recherches archéologiques et ses fonctions officielles au sein du Comité historique des Arts et Monuments.
Très jeune, il s’essaie à l’enseignement de l’Histoire et cette première expérience lui sert sans doute au moment de la création d’un cours public dispensé à la Bibliothèque royale avec son ami Albert Lenoir. En 1838, le président du Comité, Adrien de Gasparin, écrit au ministre de l’Instruction publique en faveur de la création d’un enseignement complet d’archéologie chrétienne. L’objectif est de poser les règles et les méthodes de l’archéologie médiévale. Didron est ainsi chargé des cours d’iconographie, Lenoir des cours d’architecture et le programme en est publié dans plusieurs articles parus dans la revue L’Artiste de 1839. Il réitère l’expérience de mai à juin 1843.
Pendant que Didron enseignait à la Bibliothèque royale en 1838, Victor Hugo serait intervenu auprès du ministre Salvandy pour lui offrir le poste de sous-bibliothécaire au sein de l’institution. Son poste devait lui permettre de procéder au récolement et au catalogage des décors des manuscrits. Si cette offre ouvre les yeux de l’archéologue sur l’importance des images dans les manuscrits et les questions centrales de leur conservation et de leur classement, sur lesquelles il s’exprime dans des articles des Annales archéologiques plus tard en 1845, Didron n’occupera jamais ce poste pour des raisons politiques soulevées dans sa nécrologie, les conservateurs du département ayant refusé sa nomination par le ministère.
Mais c’est aussi très jeune qu’il débute une carrière de journaliste en écrivant pour différentes revues. Il y défend ses convictions, poussant parfois le débat jusqu’à la polémique. Les revues qui acceptent ses publications sont souvent elles-mêmes combatives : L’Artiste, L’Européen, Le Progrès Social, puis L’Univers, la Revue de Paris, La Presse, le Journal général de l’Instruction publique avant que Didron ne s’offre le moyen de ses ambitions en devenant le rédacteur du Bulletin archéologique, revue officielle du Comité, ou en créant sa propre revue, les Annales archéologiques. Cette dernière publication constitue sans aucun doute la plus grande réussite éditoriale de l’archéologue, après une première expérience ratée au moment de la création de La Liberté, Journal des Arts, stoppée après seulement six mois en 1832, sans doute en raison du ton volontairement polémique du journal à l’encontre de l’Institut.
Didron est aussi un homme d’affaires, rencontrant succès et revers dans ses différentes entreprises. Nous avons mentionné la création des Annales archéologiques ainsi que sa maison d’édition, la Librairie archéologique confiée à son frère. En 1848, l’archéologue annonce la fondation d’une nouvelle entreprise, l’Agence archéologique, dont le but est de développer une production artistique dont les thèmes et les formes sont empruntés au passé tout en bénéficiant des avancées industrielles de son temps pour leur réalisation. Didron saute donc le pas. Il ne se contente plus d’écrire des articles sur l’architecture, il crée un outil de production pour « répondre aux demandes qui lui seront faites pour la réparation et la décoration des églises anciennes, pour la construction et l’ameublement des églises nouvelles » comme il l’annonce et en fait la promotion dans sa revue en 1848.
Dépassant le simple échange de conseils, l’Agence archéologique se voit renforcée en 1849 par la création d’une manufacture de vitraux, toujours au 13 de la rue Hautefeuille avant son transfert rue Saint-Dominique dans des locaux plus importants. Il s’associe alors à Émile Thibaud, maître verrier de Clermont-Ferrand, et à Auguste Ledoux pour le dessin, et travaillera par la suite en collaboration avec son héritier, son neveu Édouard. Ne sachant pas dessiner, l’archéologue a en effet besoin d’intermédiaires pour mettre en images ses idées et ses programmes iconographiques. Et pour reproduire ces objets, il définit des modèles, des types, qu’il expose dans les Annales archéologiques dans des articles consacrés à l’ameublement des églises et cathédrales. Il se perfectionne également dans la promotion de son entreprise en exposant au public ses réalisations, en créant sa propre galerie rue Hautefeuille, qu’il définit comme un « musée de l’industrie archéologique », mais qui constitue surtout une véritable vitrine promotionnelle. L’art du vitrail est alors considéré par Didron comme la peinture chrétienne par excellence et, au-delà de la restauration des monuments nationaux, la reproduction d’éléments de décors sur verre à partir de ses recherches scientifiques sert sa vision d’un art gothique au sommet de l’art chrétien. Il participe une première fois à la création de vitraux en 1839 dans une collaboration avec Lassus pour la réalisation de la verrière de la Passion de Saint-Germain-l’Auxerrois en prenant pour modèle le vitrail axial de la Sainte-Chapelle. Le succès est au rendez-vous avec la manufacture et la liste des « Travaux sur verre les plus importants exécutés de 1851 à 1867 sous la direction de M. Didron » est dressée par Guilhermy dans un ouvrage de la Bibliothèque nationale (BnF, Nouvelles Acquisitions Françaises 6102) : les grands personnages de l’abside de Saint-Mammès de Langres, le Triomphe du Christ pour la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, les vertus théologales pour Saint-Éloi à Dunkerque, la grande verrière du vœu pour l’église Saint-Maclou de Pontoise exposée lors de l’Exposition universelle de 1866, un Arbre de Jessé pour la chapelle Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris ainsi qu’une légende de saint Eustache et l’histoire de saint Louis pour le chevet de la cathédrale, ou encore la vitrerie de la nouvelle église Saint-Vincent-de-Paul à Marseille, pour ne citer que quelques exemples. L’entreprise de Didron répond également à des commandes privées comme celle du cabinet du cardinal Antonelli à Rome sur les thèmes de la Justice et de la Paix, de la Vérité et de la Miséricorde, ou encore une chapelle funéraire pour M. de Surigny près de Mâcon. Malgré ces nombreuses commandes, quelques déconvenues surviennent. Didron doit en effet composer avec des intermédiaires pour les domaines qu’il ne maîtrise pas, le dessin et la fabrication du verre notamment, et composer avec le goût des commanditaires qu’il a pu critiquer dans ses articles et qui ne répondent pas toujours à sa volonté de coller au plus près à la recherche archéologique. Il doit aussi tenir compte du style des édifices qu’il doit décorer et donc adapter des programmes iconographiques, restreindre parfois le rôle de ses vitraux à un rôle didactique et esthétique.
La manufacture de vitraux est suivie en 1858 par la création d’une fonderie de bronzes. Mais cette fois, Didron ne peut appliquer à cette industrie les méthodes qui lui ont permis de produire des vitraux bon marché, du fait du coût des matériaux et du nombre d’artisans nécessaire au maintien de l’activité. Quelques œuvres toutefois sont mentionnées dans la nécrologie de Didron, et notamment des garnitures d’autel pour la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Roch à Paris et pour le maître-autel de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, des châsses et des reliquaires comme celui de saint Cyr et sainte Juliette pour la cathédrale de Nevers.
Didron est donc devenu un véritable industriel à la tête d’entreprises couvrant de vastes activités : la recherche et la publication des connaissances archéologiques, l’étude des modèles à imiter pour la restauration d’anciennes ou l’ameublement de nouvelles églises, la fabrication grâce aux moyens modernes de sa manufacture et la diffusion de ses réalisations.
Pour la renaissance d’un art chrétien
Grâce à l’étude de la production artistique de ses manufactures, une véritable pensée artistique se dégage des œuvres associées au nom de Didron. L’archéologue semble promouvoir la renaissance d’un art chrétien, fondé sur de solides connaissances archéologiques pour reproduire, par des technologies modernes et industrielles, des formes artistiques et des programmes décoratifs se confondant avec la vérité historique. En cela, Didron, et sa vision « passéisto-progressiste » soulignée par Catherine Brisac et Jean-Michel Léniaud, s’inscrivent dans le mouvement néogothique dont l’objectif consiste à régénérer l’architecture et les arts décoratifs par les travaux des archéologues. Didron se coupe du monde des artistes en souhaitant mettre en avant la science archéologique pour garantir l’harmonie du monument, plutôt que le talent artistique, et en préférant que les artistes contemporains se tiennent éloignés de la restauration monumentale. En tant qu’archéologue, Didron a cherché à montrer la supériorité de l’art gothique du XIIIe siècle et a souhaité la renaissance d’un art chrétien reprenant les codes de cette période, passant par la régénération archéologique, artistique et religieuse.
Quelle postérité ?
Didron l’Aîné meurt le 13 novembre 1867 à Paris. Comme il a su contrôler ses publications en s’associant à des journaux ou en créant ses propres espaces d’expression, Didron semble avoir souhaité contrôler son image posthume puisque, comme le mentionne Guilhermy au moment de la rédaction de sa nécrologie, l’archéologue avait lui-même réuni et transmis des documents sur sa vie. Par ses prises de position, il apparaît comme une forte personnalité entièrement dévouée à sa discipline. Ses écrits nous montrent un homme qui maîtrise les moyens de communication de son époque pour diffuser ses idées. Ils comprennent par conséquent des travaux scientifiques mais aussi des articles d’actualité sur ses thèmes de prédilection, la défense des monuments français face au vandalisme et aux mauvaises restaurations. Ses positions radicales tendent cependant à faire oublier les avancées majeures que ses recherches ont apportées à la discipline archéologique dans le domaine de la description et du décryptage des programmes décoratifs des cathédrales et églises médiévales. Sous sa direction, les Annales archéologiques sont ainsi pendant vingt ans un organe majeur où s’expriment les personnalités de la discipline. Ses activités industrielles lui ont permis de s’inscrire pleinement dans un mouvement de renaissance de l’art chrétien dont le modèle demeure l’art gothique du XIIIe siècle. Un homme au fort tempérament et affirmant ses idées, une force vive de l’archéologie qu’il veut ériger en discipline scientifique, un homme d’affaires entreprenant dans le domaine de l’édition et de la production industrielle archéologique. Lorsque Catherine Brisac et Jean-Michel Léniaud s’interrogent sur ce qu’il reste de Didron l’Aîné et de sa participation aux grands travaux de restauration, le constat aurait sans doute paru décevant à l’intéressé : « L’expérience d’un échec historique, l’échec d’un concept d’art chrétien et celui de son incarnation, le néogothique. » Et en effet, si les Annales archéologiques sont reconnues comme revue scientifique, la vision orientée de Didron en a éloigné ses contradicteurs pour ne conserver que son opinion et ainsi éloigner le débat scientifique. Et dans le domaine des arts décoratifs où il s’engage plus tardivement, aucune œuvre majeure n’est restée dans la mémoire collective. Ce sont finalement ceux qu’il a tenté de discréditer, la commission des Monuments historiques de Prosper Mérimée, ou encore les archéologues et les architectes, qui sont passés à la postérité en laissant leur nom gravé dans la pierre, tels Jean-Baptiste-Antoine Lassus ou Eugène Viollet-le-Duc.
Émilie Maraszak, docteur en histoire de l’art médiéval
Principales publications
Ouvrages
- Rapport sur les vitraux de Montfort-l’Amaury, adressé à M. le ministre de l’Instruction publique. Paris : impr. de Vve Agasse, 1er juin 1839.
- Archéologie nationale, Rapport à M. de Salvandy, ministre de l’Instruction publique, sur la monographie de la cathédrale de Chartres. Paris : imprimerie de Paul Dupont, 1839.
- Didron Adolphe-Napoléon, Duval Amaury, Lassus Jean-Baptiste-Antoine.– Monographie de la cathédrale de Chartres. Paris : imprimerie royale, 1842-1856.
- Didron Adolphe-Napoléon, Dupasquier Louis.– Monographie de Notre-Dame de Brou. Lyon : imprimerie Dumoulin, Ronet et Sibuet, 1842.
- Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu. Paris : imprimerie royale, 1843.
- Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine avec une introduction et des notes par M. Didron. Paris : imprimerie royale, 1845.
- Félix Clément.– Chants de la Sainte-Chapelle tirés de manuscrits du XIIIe siècle, traduits et mis en parties avec accompagnement d’orgue. Préf. d’Adolphe-Napoléon Didron. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1849.
- L’Archéologie en Angleterre. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1851.
- Paganisme dans l’art chrétien. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1853.
- Burges William, Didron Adolphe-Napoléon.– Venise. Iconographie des chapiteaux du palais Ducal. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1857.
- Quelques jours en Allemagne. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1859.
- Manuel des œuvres de bronze et d’orfèvrerie du Moyen Âge. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1859.
- Verrières de la Rédemption à Notre-Dame de Châlons-sur-Marne. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1863.
- Iconographie de l’Opéra. Paris : Librairie Archéologique Victor Didron, 1864.
Articles
- « Antiquités catholiques ». L’Européen, 19 décembre 1831, t. I, n°3, p. 46-48.
- « Aux artistes ». La Liberté, Journal des Arts, 1832, t. I. p. 19-26.
- « Histoire de l’Art par les monuments, La statuaire du XIIIe siècle ». Revue de Paris, 1836, t. XXVIII. p. 157-183 ; 1836, t. XXXI. p. 124-138, p. 332-351.
- « De la Commission des travaux historiques établie au ministère de l’Instruction publique ». Revue de Paris, 1838, t. XLIX. p. 219-234.
- « Du Comité historique des Arts et des Monuments établi au ministère de l’Instruction publique ». Revue de Paris, 1838, t. LI. p. 242-270.
- « Archéologie, Programme d’un cours d’archéologie chrétienne ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. I. p. 241-245, p. 257-260, p. 272-274.
- « De la peinture sur verre en France ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. II. p. 107-109, p. 121-123.
- « Vitrail de Saint-Germain-l’Auxerrois ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. III. p. 48.
- « Notre-Dame-de-l’Épine en Champagne ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. III. p. 89-91, p. 108-112, p. 214-216, p. 247-249.
- « Rapport sur les ruines de Montfort l’Amaury ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. III. p. 96.
- « Archéologie nationale, Historique de l’hôtel de la Trémouille ». L’Artiste, 1839, sér. 2, t. III. p. 186-189.
- « Reims ». L’Artiste, 1841, sér. 2, t. VII. p. 161-163, p. 176-179, p. 212-214.
- « Cours publics, Cours d’archéologie, compte-rendu par M. A. Fillioux ». L’Artiste, 1841, sér. 2, t. VII. p. 384.
- « Feuilleton de L’Univers, Archéologie nationale, Le cloître des Billettes, Notre-Dame de Paris ». L’Univers, 5 août 1841, n° 660.
- « Feuilleton de L’Univers, Archéologie musicale ». L’Univers, 12 août 1842, n° 38 ; 18 septembre 1842, n° 69 ; 20 septembre 1842, n° 70 ; 29 septembre 1842, n° 78 ; 1er octobre 1842, n° 80.
- « Feuilleton de L’Univers, Archéologie nationale, Restauration de Notre-Dame de Paris ». L’Univers, 11 octobre 1842, n° 88.
- « Feuilleton de L’Univers, La Madeleine ». L’Univers, 18 octobre 1842, n° 94.
Principaux articles publiés dans les Annales archéologiques, exception faite des Correspondances, des Nouvelles diverses, des Mélanges, de la Bibliographie archéologique et du Mouvement archéologique
- « Iconographie chrétienne ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 5-16.
- « Voyage archéologique en Grèce ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 29-36.
- « De la musique au Moyen Âge ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 36-40.
- « Monographie de l’église de Brou ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 59-60.
- « Peinture sur verre ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 83-86 ; 1845, t. III. p. 166-175.
- « Les anciens et les nouveaux archéologues ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 133-137.
- « Restauration de l’église royale de Saint-Denis ». Annales archéologiques, 1844, t. I. p. 230-236.
- « Histoire du Manuel d’iconographie chrétienne ». Annales archéologiques, 1845, t. II. p. 23-36.
- « Des manuscrits à miniatures ». Annales archéologiques, 1845, t. II. p. 165-174, p. 218-230.
- « Achèvement et restauration de la cathédrale de Reims ». Annales archéologiques, 1845, t. III. p. 175-185.
- « Le Mont Athos ». Annales archéologiques, 1846, t. IV. p. 69-87, p. 134-148, p. 222-238.
- « Achèvement des restaurations de Saint Denis ». Annales archéologiques, 1846, t. V. p. 107-114.
- « Promenade en Angleterre ». Annales archéologiques, 1846, t. V. p. 284-308.
- « Renaissance du Moyen Âge (architecture) ». Annales archéologiques, 1847, t. VI. p. 1-21.
- « Statuaire des cathédrales de France ». Annales archéologiques, 1847, t. VI. p. 35-60.
- « Symbolique chrétienne ». Annales archéologiques, 1848, t. VIII. p. 1-17.
- « Agence archéologique ». Annales archéologiques, 1848, t. VIII. p. 61-64.
- « Iconographie et ameublement d’une cathédrale ». Annales archéologiques, 1848, t. VIII. p. 315-330.
- « Huit jours en Belgique ». Annales archéologiques, 1849, t. IX. p. 237-240.
- « Création d’une manufacture de vitraux à Paris ». Annales archéologiques, 1849, t. IX. p. 351-357.
- « Renaissance de l’architecture chrétienne ». Annales archéologiques, 1853, t. XIII. p. 314-327.
- « La cathédrale de Reims ». Annales archéologiques, 1853, t. XIII. p. 289-300 ; 1854, t. XIV. p. 25-33, p. 310-316.
- « Le Moyen Âge en Italie ». Annales archéologiques, 1854, t. XIV. p. 341-353 ; t. XV. p. 51-61.
- « Sienne, chapelle du palais municipal ». Annales archéologiques, 1856, t. XVI. p. 5-26.
- Burges, W., Didron Adolphe-Napoléon. – « Iconographie du palais ducal de Venise ». Annales archéologiques, 1857, t. XVII. p. 69-89, p. 193-217.
- « Le XIIIe siècle en Italie ». Annales archéologiques, 1857, t. XVII. p. 237-248.
- « La barbarie gothique ». Annales archéologiques, 1858, t. XVIII. p. 225-232.
- « Quelques jours en Allemagne ». Annales archéologiques, 1858, t. XVIII. p. 301-310, p. 313-331.
- « Bronze et orfèvrerie du Moyen Âge ». Annales archéologiques, 1859, t. XIX. p. 5-221.
- « Iconographie des quatre vertus cardinales ». Annales archéologiques, 1860, t. XX. p. 40-56, p. 65-79.
- « Les verrières de la Rédemption de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne ». Annales archéologiques, 1863, t. XXIII. p. 69-90.
- « Rome et le gothique ». Annales archéologiques, 1863, t. XXIII. p. 190-221.
- « Classification des sacrements ». Annales archéologiques, 1865, t. XXV. p. 45-49.
Direction d’ouvrages ou de revues
- Création et direction de La Liberté, Journal des Arts, en 1832, dont la publication cesse au bout de quelques mois.
- Bulletin Archéologique publié par le Comité historique des Arts et Monuments. Paris : imprimerie Paul Dupont, 1840-1841, t. I ; 1842-1843, t. II ; 1844-1845, t. III ; 1846-1848, t. IV.
- Fondation et direction des Annales archéologiques de 1844 à sa mort en 1865.
Titres des cours prononcés
- 1838, puis mai-juin 1843 : cours d’Archéologie chrétienne à la Bibliothèque royale avec Albert Lenoir. Didron est chargé des cours d’iconographie, Lenoir des cours d’architecture.
Bibliographie critique sélective
- Nouguier Henri (avocat).– Mémoire à consulter et consultation pour M. Arbanère, propriétaire de la manufacture de vitraux, à Tonneins, contre M. Didron aîné, de Paris, rédacteur et éditeur des Annales archéologiques. Paris : Lange Lévy, 1850.
- Guilhermy Ferdinand (de).– « Didron ». Annales archéologiques, 1865, t. XXV. p. 377-395.
- Coutan Ferdinand., Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen.– Épisode d’un voyage de Didron en Normandie durant l’été de 1831 ; suivi d’une lettre à M. Vitet, inspecteur général des monuments historiques. Rouen : imprimerie de L. Gy, 1906.
- Dvořák Max.– Idealism and Naturalism in Gothic Art. Notre Dame : University of Notre Dame Press, 1967.
- Kleinbauer Eugene W.– Research Guide to the History of Western Art. Chicago : American Library Association, 1982.
- Costa Vannina.– « L’iconographie d’Adolphe Didron : choix religieux, adaptation plastique ». Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1986, t. XCIII, n°4, p. 383-388.
- Brisac Catherine, Léniaud Jean-Michel.– « Adolphe-Napoléon Didron ou les média au service de l’art chrétien ». Revue de l’Art, 1987, n°77, p. 33-42.
- Costa Vannina.– Adolphe Didron (1806-1867), mémoire dactylographié de l’École du Louvre, 1987.
- Nayrolles Jean.– « Deux approches de l’iconographie médiévale dans les années 1840 ». Gazette des Beaux-Arts, novembre 1996, n° 128, p. 201-222.
Sources identifiées
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits
- Nafr 6102 : Guilhermy Ferdinand (de), Travaux sur verre les plus importants exécutés de 1851 à 1867 sous la direction de M. Didron.
En complément : Voir la notice dans AGORHA