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MASSÉNA, Victor, Rivoli (duc de), Essling (prince d’)
Mis à jour le 27 juillet 2012
(14 janvier 1836, Paris – 28 octobre 1910, Paris)
Auteur(s) de la notice : ANDREOLI Ilaria
Profession ou activité principale
Officier et député
Autres activités
Collectionneur, savant
Sujets d’étude
Graveurs sur bois vénitiens (XVe – XVIe siècles) ; histoire de l’imprimerie ; iconographie religieuse ; iconographie des œuvres de Pétrarque ; illustration du livre imprimé italien de la Renaissance
Carrière
1862 : démissionne de l’armée avec le grade de sous-lieutenant des chasseurs à cheval de la garde impériale
1882 : épouse Marguerite Laure Juliette dite Paule Heine, fille adoptive de Cécile Furtado-Heine (1820-1896), épouse de Charles Heine (1810-1865), banquier hambourgeois, et veuve de Michel Ney, prince d’Elchingen (1847-1903)
Député de la circonscription de Grasse, Alpes-Maritimes (1863-1871) ; chevalier de la Légion d’honneur (1859) ; bibliophile françois (1889)
Étude critique
Petit-fils du maréchal napoléonien d’origine niçoise André Masséna, duc de Rivoli et prince d’Essling, et fils de François Victor Masséna et d’Anne Debelle, grande-maîtresse de la maison de l’impératrice Eugénie, le jeune Victor évolua dans un milieu de collectionneurs. Son père était un ornithologue amateur qui rassembla une des plus importantes collections privées françaises d’oiseaux exotiques du XIXe siècle et forma en quelques années une riche collection d’incunables et de livres anciens, vendue en 1836, 1839 et 1847.
Après des études à Saint-Cyr (1854-1856), il fit la campagne d’Italie comme officier en combattant à Magenta et à Solferino, mais démissionna de l’armée en août 1862 et fut élu député de Grasse (Alpes-Maritimes) en juin 1863, comme candidat officiel. Réélu en mai 1869, il ne se présenta pas aux élections législatives de février 1871. Il épousa en 1882 Paule Furtado, mariage qui accrut une aisance financière déjà notable.
Passionné d’architecture il suivit de près en 1898 la construction de sa résidence secondaire, une grande villa néoclassique sur la promenade des Anglais à Nice, due à l’architecte danois Hans-Georg Tersling (1857-1920), qu’il meubla avec des éléments de décoration intérieure provenant de divers châteaux italiens et français, et entoura de magnifiques jardins conçus par l’architecte paysagiste Édouard André (1840-1911). Léguée par son fils à la ville de Nice en 1910, elle devint en 1919 un musée d’histoire niçoise qui porte le nom de la famille. La villa de Nice offrait comme une version méridionale du luxueux hôtel particulier sur trois étages sis 8, rue Jean-Goujon à Paris, construit par Jules Pellechet (1829-1902) en 1866, et dont il hérita à la mort de sa mère. Ici, selon Gustave Schlumberger, « sa prédilection pour les choses de l’Empire lui avait fait réunir la plus belle série d’objets napoléoniens », particulièrement les monnaies et médailles du consulat et du Premier Empire dont le catalogue devait être rédigé par l’érudit Wilhelm Fröhner, décédé avant de pouvoir se consacrer à l’entreprise. Cette collection fut dispersée lors d’une importante vente organisée à Paris en 1927.
Mais ce fut l’exceptionnelle bibliothèque d’incunables et d’éditions illustrées italiennes du XVIe siècle, réunie par Masséna à partir de 1885, qui servit de base à son activité de savant et a assuré sa réputation. Dans les gravures qui ornaient aussi bien des textes « populaires » que des éditions à l’usage d’élites intellectuelles restreintes, telles celles de Jenson ou d’Alde, il cherchait un témoignage historique sur la vie durant la Renaissance que déployait à foison sous ses yeux la xylographie vénitienne. Cette passion pour la reconstruction visuelle de la civilisation de la Renaissance le poussait à vouloir rendre une très hypothétique « pureté primitive » à ses exemplaires par le lavage, le pressage et le blanchiment des feuillets existants, le remplacement des feuillets manquants ou celui des reliures originales par des reliures contemporaines aux couleurs éclatantes, en maroquin ou en parchemin, sur lesquelles s’enlevaient les armes dorées du prince.
Ses premiers travaux scientifiques, rigoureusement érudits et soutenus par des recherches d’archives, prirent la forme d’articles consacrés à différents aspects de l’illustration du livre vénitien entre le XVe et le XVIe siècle, publiés principalement dans la Gazette des Beaux-Arts. Deux d’entre eux portent aussi la signature de Charles Ephrussi.
En 1892, Essling publia son premier recueil, la Bibliographie des livres à figures vénitiens (1469-1525), rédigée à partir des éditions en sa possession – qui étaient signalées dans le texte par un astérisque – mais aussi de celles qu’il avait personnellement consultées au cours de longs voyages d’étude en compagnie de son secrétaire Charles Gérard, ou encore décrites minutieusement par les conservateurs des plus importantes collections publiques et privées d’Europe. Dans la préface, Essling opposait l’âge d’or de la xylographie vénitienne, celui de la production antérieure à 1500, à une phase de décadence dont l’illustration vénitienne ne serait sortie, grâce à une nouvelle génération d’éditeurs, que durant la deuxième moitié du XVIe siècle.
Accueillie avec faveur par la communauté scientifique, la Bibliographie fut suivie en 1896 par des Études sur l’art de la gravure sur bois à Venise, monumentales autant par leur format que par leur ambition, consacrées aux missels imprimés à Venise de 1481 à 1600. L’impression en était due à l’imprimeur parisien Jules Rothschild, pionnier de l’illustration photographique, qui permit à Essling d’insérer un grand nombre de fac-similés des frises typographiques et des initiales figurées des missels.
Une autre œuvre monumentale parut en 1902 : Pétrarque, ses études d’art, son influence sur les artistes, ses portraits et ceux de Laure, l’illustration de ses écrits, publié sous l’égide de la Gazette des Beaux-Arts et écrite avec Eugène Müntz, qui se présentait comme un incunable du livre d’art avec ses 191 illustrations et 21 planches hors-texte. Il traitait de manière érudite de l’iconographie des portraits de François et de Laure, de son influence sur les arts majeurs et mineurs aux XVe et XVIe et de l’illustration des textes de Pétrarque.
Essling consacra les dernières années de sa vie à l’œuvre pour laquelle il est encore aujourd’hui surtout connu : les quatre volumes des Livres à figures vénitiens de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe, publiés par Olschki entre 1907 et 1909, dont le quatrième parut après la mort de l’auteur en 1914 grâce au fidèle Charles Gérard. Il y rendait compte des résultats de la campagne de dépouillement des archives vénitiennes qu’il avait financée de juillet 1901 à avril 1904, à la recherche de toutes les informations disponibles sur les miniaturistes, les imprimeurs et les graveurs sur bois du premier siècle de l’imprimerie. Essling y proposait des notices bibliographiques organisées selon un ordre « généalogique » : « c’est-à-dire – expliquait-il dans l’introduction – qu’immédiatement à la suite de chaque édition princeps illustrée, nous avons rangé les éditions successives du même livre jusqu’à 1525 environ ». L’identification de groupes d’illustrations permet de rapprocher des éditions comparables, ou contemporaines, et donc de faire apparaître des « arborescences » mettant en relief l’évolution iconographique d’un thème. Ce riche ensemble était accompagné d’un traité de La Gravure sur bois dans les livres de Venise, au quatrième volume, qui reprenait en les approfondissant les thèmes déjà abordés dans ses ouvrages précédents. Il y abordait en six parties la gravure en relief en Italie, la xylographie à Venise, les images de piété imprimées, les premiers ornements gravés dans les livres vénitiens, l’illustration livresque au cours des vingt dernières années du XVe siècle et du premier quart du XVIe siècle.
Le destin de la bibliothèque Essling fut aussi fortuit qu’heureux : vendue par le libraire parisien Louis Giraud-Badin à la librairie Hoepli, elle attira l’attention du libraire et érudit Tammaro De Marinis (1878-1969) qui en signala l’importance au comte Giorgio Cini (1885-1977) lequel, avant même que Hoepli n’en ait imprimé le catalogue, pour une vente prévue en 1939, en acheta en bloc la partie vénitienne. Après un séjour de quelques années dans la bibliothèque du château de Monselice, Cini offrit toute la collection à la fondation située dans le couvent de San Giorgio Maggiore à Venise qu’il avait créée en 1951. De Marinis, de son côté, avait acheté les éditions florentines, qu’il revendit au comte en 1953. La fondation Cini conserve donc aujourd’hui la majeure partie des ouvrages provenant de la bibliothèque Essling une autre partie, plus modeste, faite principalement de la production d’autres centres italiens ou français, étant échue principalement à la Houghton Library de l’université de Harvard.
Ilaria Andreoli, docteur en histoire de l’art, Villa i Tatti – The Harvard University Center for Italian Renaissance Studies
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Bibliographie des livres à figures vénitiens de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe (1469-1525). Paris : Techener, 1892.
- Études sur l’art de la gravure sur bois à Venise. Les missels imprimés à Venise de 1481 à 1600, description, illustration, bibliographie. Paris : J. Rothschild, 1896.
- Müntz Eugène, collab. – Pétrarque, ses études d’art, son influence sur les artistes, ses portraits et ceux de Laure, l’illustration de ses écrits. Paris : Gazette des Beaux-Arts, 1902.
- Les Livres à figures vénitiens de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe. Paris : H. Leclerc ; Florence : Léo S. Olschki, 1907-1914 [deux reprints modernes : Turin : La Bottega d’Erasmo ; New York : Mansfield : 1994].
Articles
- « À propos d’un livre à figures vénitiens de la fin du XVe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, 1885, t. XXXII, p. 273-286, 374-389.
- « Études sur les Triomphes de Pétrarque ». Gazette des Beaux-Arts, 1887, t. XXXV, p. 311-321 ; t. XXXVI, p. 25-34.
- Ephrussi Charles, collab. –« Notes complémentaires sur quelques livres à figures vénitiens de la fin du XVe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, 1889, t. I, p. 281-191.
- « Étude sur les livres à figures vénitiens de la fin du XVe et du commencement du XVIe siècle ». Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 1889-1890, p. 193-218, 360-392, 414-446, 487-527.
- « Notes sur les xylographes vénitiens du XVe et du XVIe siècle ». Gazette des Beaux-Arts, 1890, t. III, p. 494-503.
- « Zoan Andrea et ses homonymes ». Gazette des Beaux-Arts, 1891, t. V, p. 401-415 ; t. VI, p. 225-244.
- « Les Livres d’heures françaises et Livres de liturgie vénitiens ». Gazette des Beaux-Arts, 1896, t. XV, p. 163-173.
- « Le Premier Livre xylographique italien (Passio Christi) imprimé à Venise vers 1450 ». Gazette des Beaux-Arts, 1903, t. XXX, p. 89-96, 244-255.
- « Les Premiers Ornements xylographiques dans les livres de Venise ». La Bibliofilia, 1906, VIII, p. 121-129.
- « Un bois vénitien inédit du XVe siècle ». Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 1906, p. 161-164.
Bibliographie critique sélective
- Robert Adolphe, dir. – Dictionnaire des parlementaires français, 1789-1889. Paris : Bourloton, 1889-1891, p. 303.
- « Victor Masséna duc de Rivoli, prince d’Essling » [notice nécrologique]. La Bibliofilia, XIII, octobre-novembre 1910, p. 320.
- Liste des membres de la Société des bibliophiles françois fondée en MDCCCXX, suivie de ses statuts et de la liste de ses publications. Paris : imprimé pour les membres de la Société, 1911.
- Importante Collection de monnaies et médailles appartenant au prince d’Essling. Hôtel Drouot, 17-18, 20, 25 juin 1927 [Léon André, commissaire-priseur ; Feuardent frères et Jules Florange, experts]. Paris : imprimerie Lahure, 1927, 2 vol.
- Schlumberger Gustave. – Mes souvenirs 1844-1928. Paris : Plon, 1934.
- Livres à figures provenant de la bibliothèque du prince d’Essling. Première partie : Italie, Allemagne, Espagne, Suisse, Hollande et Belgique du XVe au XVIIIe siècle. Zurich : W. S. Kundig, 1939.
- Donati Lamberto. – « Il libro illustrato italiano del Rinascimento. Aggiunte e correzioni all’Essling ». Maso Finiguerra 4 (1939), p. 86-99. Rome, Milan : Hoepli.
- Livres rares et précieux provenant des bibliothèques du prince d’Essling et d’un amateur suisse : manuscrits, incunables, livres à figures, reliures. Lucerne : Galerie Fischer avec le concours de la librairie ancienne Ulrico Hoepli de Milan, 1er septembre 1942.
- Borel Pierre. – « La Curiosité ». In L’Éclaireur de Nice, 1er mai 1946.
- Basso Jacques. – Les Élections législatives dans le département des Alpes-Maritimes de 1860 à 1939. Paris : Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1968, p. 66-67, 71-75.
- Ramsdem Hartley, dit E. H. – « Early Venetian illustrated books : the Essling collection ». Apollo. 104 (1976), p. 32-38, Londres.
- Anceau Éric. – Dictionnaire des députés du Second Empire. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 1999, no 419, p. 252 (« Collection Carnot »).
- Benzoni Gino. – « A margine e sulla soglia della mostra : qualche appunto con qualche digressione ». In Marino Zorzi, dir., La vita nei libri : [catalogue de l’exposition], Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, 13 juin-7 septembre 2003. Venise : Edizioni della Laguna, 2003, p. 25-35.
- Mézin Louis. – La Villa Masséna : du Premier Empire à la Belle Époque. Paris : Somogy ; Nice : musée Masséna, 2010, p. 27-30.
Sources identifiées
Paris, archives de la Ville de Paris
- V3E/N1565 : fichiers alphabétiques de l’état-civil reconstitué (XVIe siècle – 1859), naissance de Paris et ancienne Seine 1700-1899 : 14 janvier 1836, 10e arr.
- V4E/3468 : registres d’actes d’état civil de Paris et ancienne Seine (1860-1902) : actes de mariages, 8e arr., 14 octobre 1882, p. 761
Paris, Archives nationales
- Cote LH/1778/32 : Légion d’honneur : dossier de légionnaire
Venise, Archivio di Stato
- Archivietto, busta « Duca di Rivoli » : correspondance entre Charles Gérard, secrétaire de Victor Masséna, et les archivistes de Venise ; brouillons des notes des archivistes concernant le dépouillement systématique de toutes les liasses et documents d’archive pouvant contenir des informations relatives à la production et à l’illustration du livre durant le premier siècle de l’imprimerie à Venise, commandé par Victor Masséna entre 1901 et 1904