Auteur(s) de la notice :

CHEVALIER Nicole

Profession ou activité principale

Ingénieur des mines

Autres activités
Voyageur, archéologue, orientaliste

Sujets d’étude
Préhistoire, géologie, histoire naturelle, numismatique, antiquité orientale

Carrière
1871 : début de ses fouilles au lieu-dit de Campigny
1876-1882 : études à l’École des mines
1880-1881 : voyages d’étude en Scandinavie (1880) puis en Bohême, et fouilles des tumuli de la forêt des Moidons (1881)
1882-1886 : prospections minières : recherche de diamants dans les Indes anglaises (1882-1883), recherche d’étain en Malaisie, exploration scientifique du royaume de Pérak (1884-1885), recherche de cuivre et d’argent à Akthala en Arménie (1886)
1887-1889 : mission scientifique au Caucase ; études de nécropoles protohistoriques
1889-1891 : mission scientifique en Perse ; fouilles de la nécropole de Télovan près de Tiflis et dans le Talish russe, exploration en Perse des régions caspiennes, du Kurdistan de Mukri, du Pusht-i-Kûh, du Luristan ; reconnaissance d’une région pétrolifère au pied des montagnes du Zagros ; visite à Suse
1892-1897 : directeur du service des antiquités et des musées en Égypte ; réorganisation du musée de Gizeh ; travaux dans la vallée du Nil ; à Saqqara – découverte des tombes de Mérérouka et de Kabin
1894-1895 : deux campagnes de fouilles à Dahchour ; découverte de la sépulture du roi Hor et du mobilier des princesses Merit et Khnoumit (XIIe dynastie)
1896 : recherches préhistoriques et fouilles à Nagada
1897 : première pierre du musée du Caire ; inauguration du musée d’Alexandrie
1897-1912 : délégué général de la délégation scientifique française en Perse

Chevalier de la Légion d’honneur (1892) ; officier (1896) ; commandeur, (1906) ; grand officier du Medijidieh d’Égypte (1892) ; grand officier de l’Osmaniyeh d’Égypte (1894) ; grand croix du Lion et du Soleil de Perse (1904)

Étude critique

Jacques de Morgan est pour le XIXe siècle un des plus grands explorateurs de la Perse, qu’il parcourut des rives de la Caspienne au golfe Persique. Son nom est également à associer à la Malaisie, au Caucase et à l’Égypte. Il découvrit ces pays en « voyageur », ce qui équivalait pour lui à « être un encyclopédiste s’il ne voulait rien perdre du fruit de ses explorations ». Morgan fut donc un géologue – il était ingénieur des Mines –, un topographe et cartographe, un paléontologue, un naturaliste, un ethnologue, un linguiste, un numismate… et surtout un archéologue.

Ce goût pour l’archéologie – surtout la Préhistoire – il le doit à son père, Eugène de Morgan. Très tôt, en compagnie de son frère Henri, il exécute des fouilles dans la région de Blangy-sur-Bresle (Seine-Maritime), notamment, à partir de 1871, au lieu-dit de Campigny. La géologie l’attirant, il décide d’y faire carrière. Il s’y prépare par une solide formation à l’École des Mines (1876-1882), tout en suivant les cours d’archéologie de Georges Perrot et ceux d’assyriologie de Jules Oppert. Enfin il clôt son éducation par de multiples voyages, qui vont de la Scandinavie (1880) à la Transylvanie (1881).

Ingénieur des Mines, il sillonne le monde, entamant sa carrière de prospecteur aux Indes, la poursuivant en Malaisie, la clôturant dans le Caucase. Toutes ses explorations sont l’occasion de faire d’amples constatations scientifiques qu’il accompagne d’habiles relevés et de nombreux dessins. En Malaisie, non seulement il dresse – à la demande du gouvernement britannique – la carte des régions montagneuses du sultanat de Pérak, mais il y entreprend l’étude ethnographique des aborigènes négritos, se penchant sur le problème de leur origine, de leur histoire et de leur environnement. Au Caucase, si sa mission est un échec professionnel qui le décide à mettre un terme à sa carrière de prospecteur, elle est, en revanche, tout bénéfice pour son avenir scientifique puisqu’elle lui permit d’entamer des recherches archéologiques (1887) qu’il complète par une étude ethnographique sur les peuples du Caucase et une autre sur les origines de la métallurgie. Comme il l’a déjà montré en Malaisie, il affirme sa volonté de donner à toutes ses recherches une vision globale qui trouvera son aboutissement dans les vastes synthèses qui caractériseront son œuvre à la fin de sa vie. Les deux volumes de cette Mission du Caucase, parus en 1889, dépassent par l’étendue et la richesse de la documentation les limites d’un rapport de mission. Aussi, après cette expédition, est-il chargé par le ministère de l’Instruction publique d’une mission en Perse (1889-1892) qui lui permet d’explorer les régions de la Caspienne et celles frontalières de l’Empire ottoman. Les résultats très divers – géographie, archéologie, géologie et paléontologie, dialectes, textes mandaïtes… – étudiés pour la plupart par lui-même et divers spécialistes, notamment les sciences naturelles, et consignés dans Une mission en Perse, sont salués par la communauté scientifique. Outre les nombreux objets, qu’il dépose – comme ceux de la Malaisie et du Caucase – au musée de Saint-Germain-en-Laye, il rapporte un ensemble de cartes qui corrigent celles dressées par Heinrich Kiepert. Enfin, son séjour à Suse lui permet de mesurer son importance et de fournir des informations à la légation de France à Téhéran qui s’efforce, depuis l’arrêt des travaux de Marcel Dieulafoy, de réserver ce site à la France.

Au ministère de l’Instruction publique, Morgan a attiré l’attention de Xavier Charmes, responsable des missions. Aussi, lorsqu’il faut donner un successeur à Eugène Grébaut à la tête du service des antiquités en Égypte, bien que n’étant pas égyptologue, est-il pressenti. Ce séjour (1892-1897) est en tout point fructueux. Outre la position très flatteuse et avantageuse qui lui est offerte, s’ouvre pour lui la perspective d’entamer des recherches dans un domaine qui lui tient à cœur, celui des origines égyptiennes. S’appuyant sur ses prospections et son étude des nécropoles de Nagada, et sur les fouilles conduites, depuis plusieurs années, par W. M. Flinders Petrie, surtout à Nagada et à Ballas, contrairement à ce dernier, il n’hésite pas à suivre certains préhistoriens tels Émile Cartailhac et fait fi de l’avis des égyptologues, notamment de Gaston Maspero, qui soutenaient que le matériel lithique découvert remontait aux périodes historiques. La parution entre 1895 et 1896 des Recherches sur les origines de l’Égypte qui jetaient les bases de la préhistoire égyptienne suscita plus d’un remous. Ce n’est qu’en 1920, après l’adhésion de Petrie, que ses thèses sont définitivement reconnues.

Malgré le prestige de ses fonctions en Égypte, en 1897, sa nomination à la tête de la Délégation scientifique française en Perse – créée après la signature, en 1895, d’une convention réservant à la France les recherches archéologiques du pays – représente l’aboutissement de sa carrière. À Suse, contrairement à Dieulafoy, il s’attache à restituer l’histoire de la Perse avant les Perses, et ressuscite ainsi « l’histoire perdue de l’Élam ». Il aspire aussi, après avoir constaté la présence de silex taillés qu’il attribue à la période préhistorique, pouvoir atteindre des témoins des « origines ». Si, pendant quinze ans, Suse constitue le centre de l’activité de la Délégation, les premières années, en vertu de la convention, elle élargit son activité scientifique. Morgan organise un programme d’excursions et de prospections, notamment dans le nord du pays (1901), qu’il abandonne en partie, bridé par des moyens financiers qu’il juge insuffisants.

Même si ses recherches sur les origines se révélèrent pour lui décevantes, les découvertes sont considérables, puisqu’elles mettent en lumière l’importance et l’originalité de la civilisation élamite. De plus, des monuments babyloniens d’époques diverses sont mis au jour – tels la stèle de Naram-Sin et le Code des lois de Hammurabi –, rapportés par les souverains élamites du XIIe siècle av. J.-C. de leurs raids en Mésopotamie. Toutefois ces succès, dont les témoins matériels enrichissent régulièrement le musée du Louvre, ne suffisent pas à assurer l’avenir de son œuvre. Attaqué par certains de ses collaborateurs, controversé en France par sa hiérarchie pour sa gestion financière et ses choix scientifiques et épuisé par ses séjours en Orient, Morgan démissionne le 12 octobre 1912 et met fin à sa vie d’homme de terrain.

Les douze dernières années de sa vie – retiré du monde et luttant contre la maladie –, Morgan les passe à rassembler ses notes sur les sujets les plus divers, multipliant les travaux de numismatique et les vastes synthèses archéologiques qui ont paru parfois après sa mort, telle La Préhistoire orientale considérée comme son testament scientifique. Pendant la guerre, il livre dans la presse quantité d’informations sur les affaires d’Orient rassemblées plus tard dans plusieurs ouvrages – Essai sur les nationalités, contre les barbares de l’Orient – qu’il complète par Histoire du peuple arménien. Enfin, il produit une œuvre romanesque importante, restée en grande partie inédite.

Ses travaux archéologiques – notamment à Suse – furent souvent critiqués. Sa technique de fouille qu’il qualifie « d’industrielle », tout en se voulant méthodique, contribua à l’anéantissement d’une partie du contexte architectural et stratigraphique des découvertes et enleva à ses travaux, rapidement mis à la disposition des savants grâce à la publication des Mémoires de la Délégation de la Perse , une partie de leur valeur scientifique. Toutefois, pour discutable que fut sa méthode de fouille, la démarche scientifique qui fut la sienne et qui le poussa, dès ses premières recherches, à adjoindre à ses travaux ceux de savants de diverses disciplines, associant l’archéologie à toutes les sciences qui pouvaient permettre d’appréhender l’évolution de l’homme, pressentait les recherches archéologiques du futur.

Nicole Chevalier, ingénieur d’études, musée du Louvre, département des Antiquités orientales

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

  • Mission scientifique au Caucase. Paris : E. Leroux, 1889, 2 vol.
  • Mission scientifique en Perse. Paris : E. Leroux, 1894-1905, 5 tomes en 9 vol.
  • Les Fouilles de Dahchour, mars-juin 1894. Vienne : A. Holghauser, 1895.
  • Recherches sur les origines de l’Égypte. Paris : E. Leroux, 1895-1896, 2 vol.
  • Catalogue des monuments et inscriptions de l’Égypte ancienne des monuments et inscriptions de l’Égypte ancienne. Paris : E. Leroux, 1895-1905, vol. 1 ; vol.2 ; vol. 3.
  • Jacques de Morgan, dir. Mémoires de la Délégation scientifique en Perse. Paris : E. Leroux, 1900-1912, vol. 1-13.
  • La Délégation en Perse du ministère de l’Instruction publique, 1897-1902. Paris : E. Leroux, 1902.
  • Les Fouilles de Dahchour en 1894-1895. Vienne : A. Holghauser, 1903.
  • Histoire et travaux de la Délégation en Perse, 1897-1905. Paris : E. Leroux, 1905.
  • « Les Recherches archéologiques, leur but et leurs procédés ». Paris : Revue des idées, 1906.
  • Les Premières Civilisations. Étude sur la Préhistoire et l’histoire jusqu’à la fin de l’empire macédonien. Paris : E. Leroux, 1909.
  • Alaric. Roman historique. Paris : Plon, 1914.
  • Essai sur les nationalités. Paris : Berger Levrault, 1917.
  • Contre les barbares de l’Orient. Paris : Berger Levrault, 1917.
  • Histoire du peuple arménien. Paris : Berger Levrault, 1919.
  • L’Humanité préhistorique, esquisse de préhistoire générale. Préf. de Henri Berr. Paris : Renaissance du livre, (« L’Évolution de l’humanité : bibliothèque de synthèse historique. 1ère section. Préhistoire, protohistoire ; II »), 1921.
  • Manuel de numismatique orientale de l’Antiquité et du Moyen Âge. Paris : Geuthner, 1923-1936 (pub. achevée sous la dir. de K. J. Basmadjian).
  • La Préhistoire orientale. Louis Germain, dir. Paris : Geuthner, 1925-1927, 3 vol. (posthume).
  • Numismatique de la Perse antique. Paris : E. Leroux, 1930-1933 (posthume).
  • Mémoires de Jacques de Morgan. Souvenirs d’un archéologue. Andrée Jaunay, éd., préf. de Jean Perrot. Paris : Éditions L’Harmattan, 1997.
  • Exploration dans la presqu’île malaise, 1884. In Andrée Jaunay, dir., contributions de Christine Lorre, Antonio Guerreiro, Geneviève Dollfus, préf., Christian Pelras, avant-propos. Paris : CNRS Éditions, 2003.

Articles

  • « Archéologie préhistorique du Jura. Forêt des Moidons ». Mémoire de la Société d’émulation du Jura, 1883, p. 13-20.
  • « Note sur l’usage du système pondéral assyrien dans l’Arménie russe à l’époque préhistorique ». Communication à l’Académie des inscriptions et belles-lettres le 30 août 1889, Revue archéologique, 1889, [extrait].
  • « Les Débuts de la numismatique musulmane ». Revue de numismatique, 1907, p. 79 et suiv.
  • « Le Monnayage des premiers Arsacides en Perse. Revue de numismatique, 1912, p. 169 et suiv.
  • « Contribution à l’étude des ateliers monétaires des rois sassanides ». Revue de numismatique, 1913, p. 15 et suiv.
  • « La Barque des morts chez les Égyptiens prédynastiques ». Revue d’anthropologie, XXX, 1920.

Bibliographie critique sélective

  • Pottier Edmond. – « Jacques de Morgan ». Syria, 5, 1924, p. 373-380.
  • Reinach Salomon. – « Jacques de Morgan (1857-1924) ». Revue archéologique, 1924, p. 204-222.
  • Mecquenem Roland (de). – « Les Fouilleurs de Suse ». Préf. de Pierre Amiet, Iranica Antiqua, XV, 1980, p. 1-48.
  • Chevalier Nicole. – « The French Scientific Delegation in Persia ». In The Royal city of Susa, Ancient Near Eastern Treasures in the Louvre, 17 novembre 1992-7 mars 1993. New York, Metropolitan Museum of Art, Prudence O. Harper, Joan Aruz, Françoise Tallon, New York : Metropolitan Museum of Art, 1992 ; éd. française. Paris : Réunion des musées nationaux, 1994, p. 16-19.
  • Gran-Aymerich Ève. – « Préhistoire européenne et Préhistoire orientale ». Bulletin de la Société préhistorique française, t. XC, n° 1, janvier-février 1993.
  • Gran-Aymerich Ève. – « À la confluence de la préhistoire et de l’Égyptologie. Les origines de la Préhistoire orientale et Jacques de Morgan ». In Hommages à Jean Leclant. Le Caire : Institut français d’archéologie orientale, 1994, p. 85-96.
  • Chevalier Nicole. – Une mission en Perse, 1897-1912 : [catalogue de l’exposition], Paris, musée du Louvre, 3 octobre 1997 – 5 janvier 1998. Paris : Réunion des musées nationaux (« Les dossiers du musée du Louvre »), 1997.
  • Lorre Christine. – « Jacques de Morgan ». In Regard sur la Perse antique : [catalogue de l’exposition], Saint-Marcel, église Saint-Cyran du Blanc, musée d’Argentomagus, 21 juin – 20 septembre 1998, Michel Maupoix et Gérard Coulon, dir. Le Blanc-Argentomagus : Amis de la bibliothèque municipale du Blanc/ musée d’Argentomagus, 1998, p. 27-29.
  • Chevalier Nicole. – « Jacques de Morgan en Perse ». Ibid., p. 31-33.
  • Gran-Aymerich Ève. – Naissance de l’archéologie moderne, 1798-1945. Paris : CNRS Éditions, 1998.
  • Gran-Aymerich Ève. – « Archéologie et politique française en Iran : convergences et contradictions. Des missions Dieulafoy à la Délégation archéologique française en Iran (1881-1947) ». Journal asiatique, t. CCLXXXVII, 1991, p. 357-374.
  • Gran-Aymerich Ève. – Dictionnaire biographique d’archéologie, 1798-1945. Paris : CNRS Éditions, 2001.
  • Chevalier Nicole. – « Un voyage dans le sud de la Mésopotamie il y a cent ans ». In Catherine Breniquet et Christine Kepinski, dir., Études mésopotamiennes, Recueil de textes offerts à Jean-Louis Huot, « Bibliothèque de la Délégation archéologique française en Iraq », n° 10. Paris : Éditions Recherche sur les civilisations, 2001, p. 79-90.
  • La Perse vue par Jacques de Morgan. Collection des photographies de l’archéologue français 1889-1891. Téhéran : Golestan Palace, 2001.
  • Chevalier Nicole. – La Recherche archéologique française au Moyen-Orient, 1842-1947, Centre de Recherche d’archéologie orientale, université de Paris I, n°14. Paris : Éditions Recherche sur les civilisations, 2002.
  • Djindjian François, Lorre Christine et Touret Lydie, dir. – Caucase, Égypte et Perse : Jacques de Morgan (1857-1924) pionnier de l’aventure archéologique. Colloque Jacques de Morgan en l’honneur du 150e anniversaire de sa naissance tenu à l’École des Mines de Paris le 5 avril 2008. Cahier du musée d’Archéologie nationale, n° 1. Saint-Germain-en-Laye : musée d’Archéologie nationale, château de Saint-Germain-en-Laye, 2009.

Sources identifiées

Bayeux, musée Baron Gérard

Paris, archives des Musées nationaux

Paris, Archives nationales : Fonds du ministère de l’Instruction public

Paris, musée de l’Homme

Paris et Nantes, archives du ministère des Affaires étrangères

Saint-Germain-en-Laye, musée des Antiquités nationales

Téhéran, archives du Palais du Golestan

  • Photographies de la mission en Perse de Jacques de Morgan (1889-1891)

S. l., Archives privées