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MORTILLET, Gabriel (de)
Mis à jour le 19 janvier 2009
(29 août 1821, Meylan– 25 septembre 1898, Saint-Germain-en-Laye)
Auteur(s) de la notice :
COYE Noël
Profession ou activité principale
Géologue, préhistorien
Autres activités
Responsable de musée, directeur de revues, enseignant, homme politique
Sujets d’étude
Origine et évolution de l’homme, classification des industries préhistoriques, monuments mégalithiques
Carrière
1841-1846 : études d’ingénieur au Conservatoire des arts et métiers de Paris et enseignements de géologie et de conchyliologie au Muséum d’histoire naturelle
1846-1848 : participation à divers journaux d’opposition (Le Peuple, La Réforme, La Revue indépendante, L’Almanach populaire…)
1849-1863 : exil en Savoie, en Suisse et en Italie
1852 : classement et catalogage des collections géologiques du muséum de Genève
1854-1857 : responsable du muséum d’Annecy
1858-1863 : ingénieur de la Compagnie des chemins de fer lombards et vénitiens
1864-1868 : fonde et dirige la revue Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme qu’il cède en 1869 à Émile Cartailhac
1865-1866 : participe à la création des Congrès internationaux d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques (première session tenue à Neuchâtel et publiée dans les Matériaux en 1866)
1867 : organise la section préhistorique de l’exposition L’histoire du travail dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris sous la direction d’Édouard Lartet (1801-1871)
1868 : organise les collections préhistoriques du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye et y obtient un poste d’attaché à la conservation qu’il occupe jusqu’en 1885
1869 : première version de sa « classification industrielle »
1872-1873 : fonde et dirige L’Indicateur de l’archéologue
1876 : chaire d’anthropologie préhistorique à l’École d’anthropologie de Paris récemment fondée par Paul Broca (1824-1880)
1879 : vice-président de la Sous-commission des monuments mégalithiques et des blocs erratiques de la France et de l’Algérie au sein de la Commission des monuments historiques (président en 1883)
1880 : sous-directeur de l’École d’anthropologie de Paris
1882-1888 : maire de Saint-Germain-en-Laye
1884-1887 : fonde et dirige la revue L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques
1885-1889 : député de Seine-et-Oise
1896 : président de l’Association pour l’enseignement des sciences anthropologiques
Membre de la Société d’anthropologie de Paris (1866) ; président de la Société d’anthropologie de Paris (1875) ; chevalier de la Légion d’honneur (1878)
Étude critique
Gabriel Louis Laurent de Mortillet apparaît comme l’une des figures dominantes de l’archéologie préhistorique européenne du dernier tiers du XIXe siècle, que ce soit à travers l’impact de sa « classification industrielle » comme pour son rôle dans la structuration institutionnelle de la discipline. Ses années de formation, marquées par l’activisme politique et l’exil ont en effet durablement orienté sa perception du monde et de ses origines, mais également sa conception du rôle social de la science et des moyens d’action que celle-ci doit mettre en œuvre.
Nathalie Richard a clairement établi la cohérence organique entre les positions politiques et les idées scientifiques de Mortillet. À partir de 1846, celui-ci s’oppose au gouvernement de Louis-Philippe et joue un rôle important dans le camp républicain. Il défend notamment l’éducation populaire qui pourra, seule, rendre possible le suffrage universel. Il prête sa plume à plusieurs journaux d’opposition et rédige, sous le titre de La Politique et le Socialisme à la portée de tous , une série de pamphlets qui le conduiront, en 1849, à un exil de quinze années en Suisse et en Italie. À son retour en France, Mortillet se rapproche du mouvement radical. Il devient un des membres les plus représentatifs du groupe du « matérialisme scientifique » qui défend la théorie selon laquelle l’univers est, dans toutes ses composantes, gouverné par les lois de la physique et de la chimie. Seule la science peut donc expliquer l’univers et son histoire, les approches philosophiques et métaphysiques étant rejetées hors du champ de la connaissance positive.
C’est durant ses années d’exil que Mortillet s’initie à la préhistoire, accompagnant en témoin privilégié l’émergence de la paléoethnologie italienne. Pour lui, la préhistoire est donc, par essence, une science internationale ; c’est avec ses collègues italiens et suisses qu’il met sur pied en 1865 le projet d’un Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques dont le rôle structurant sur la communauté des préhistoriens a été capital. La préhistoire a ainsi réussi à dépasser sans les affronter les institutions académiques nationales qui ne lui laissaient aucune place. Les congrès jouent également un rôle important dans la diffusion de la connaissance. Ils sont épaulés par les revues, organes dont Mortillet connaît et défend l’importance. Il sera lui-même à l’origine de la création de plusieurs titres, dont le plus durable fut Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme (1864). Ce même souci de diffusion et d’éducation s’est incarné dans sa participation aux travaux de l’Association française pour l’avancement des sciences comme dans son enseignement au sein de l’École d’anthropologie de Paris.
Bien que géologue de formation, c’est sur les collections et non sur la stratigraphie des sites archéologiques que Mortillet va fonder sa démarche de préhistorien. Le classement des collections géologiques des musées d’Annecy et de Genève va connaître un prolongement évident dans les travaux que Mortillet réalise sur les séries archéologiques à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1867 et l’année suivante dans le cadre de l’organisation du musée des Antiquités nationales. À la fin des années 1860, il présente sa « classification industrielle » qui rompt avec les fondements mêmes de l’archéologie préhistorique et notamment avec la paléontologie stratigraphique utilisée par Édouard Lartet (1801-1871).
La « classification industrielle » se fonde sur une analyse morphologique des outils préhistoriques. Elle conduit à distinguer des « types » qui acquièrent valeur chronologique et servent à distinguer des « époques ». Comme en géologie — et c’est ici la seule concession faite à la méthode géologique, chaque époque reçoit le nom de la localité où le type a été identifié : « époque du Moustier », bientôt rebaptisée en « époque moustérienne » par exemple. La succession des époques ainsi distinguées retrace un mouvement évolutif parfaitement continu, dans lequel chaque industrie dérive insensiblement de la précédente et ne résulte que d’une adaptation à des besoins nouveaux. La succession des industries paléolithiques suit un processus d’évolution graduelle et strictement linéaire qui obéit à la « loi du progrès ». Plus qu’une mise en ordre des matériaux issus de la recherche préhistorique, la classification industrielle constitue une grille de lecture directement inspirée des fondements du matérialisme scientifique et applique à la compréhension des faits humains le programme de l’évolutionnisme biologique. Point d’ancrage d’un véritable système, elle a fourni un outil simple et efficace à une communauté de chercheurs encore largement constituée d’amateurs et a profité du savoir-faire de son auteur en matière de diffusion. Le Musée préhistorique (1re édition en 1881) et Le Préhistorique (1re édition en 1883) qui développent et illustrent sa classification constituent à la fois une synthèse de la connaissance et un vade-mecum du préhistorien. Le fils aîné de Gabriel de Mortillet, Adrien (1853-1931), qui collabora à l’illustration de ces ouvrages, s’emploiera à leur réédition jusque dans la première décennie du XXe siècle, c’est-à-dire à une époque où les théories de son père, décédé en 1898, seront largement disqualifiées.
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le système Mortillet a largement influencé le traitement de questions comme l’origine des dolmens — ici considérés comme des formes évoluées de la grotte primitive —, la question de l’homme tertiaire — qui conduisit à déduire des lois de l’évolutionnisme l’existence de l’anthropopithèque —, ou encore la question des sépultures paléolithiques et de l’art préhistorique.
Comme ses contemporains, Mortillet interprète les œuvres d’art paléolithiques en se référant à la théorie dite de « l’art pour l’art » qui replace le développement artistique dans le schéma de l’évolution linéaire. L’art est ici conçu comme procédant d’une capacité innée de l’homme, demeurée longtemps en sommeil, jusqu’à ce que les conditions d’existence particulièrement favorables du Magdalénien — abondance du gibier, et notamment du renne — la conduisent à se développer soudainement. Cette pratique artistique n’aurait ainsi constitué qu’un acte spontané, visant à satisfaire un besoin esthétique immédiat et non réfléchi, comme en témoignent certaines caractéristiques, telles que l’absence de composition d’ensemble. Fondée sur l’étude de l’art mobilier, cette conception retrace l’existence d’un art de délassement et d’imitation, et dénie ainsi à l’art préhistorique toute dimension symbolique ou religieuse.
Chez Mortillet, l’interprétation de l’art rejoint en effet la question de la religion préhistorique qu’il aborde dans une optique résolument matérialiste et anticléricale. Pour lui, l’art magdalénien traduit un âge d’abondance nécessairement exempt des perversions que devait apporter plus tard la civilisation : la guerre, le pouvoir centralisé et surtout la religion, toutes choses apparues en Europe avec l’avènement du Néolithique qui voit également la disparition du grand art naturaliste. Avec la question des origines de l’homme, l’étude de l’art préhistorique constitue ainsi chez Mortillet un domaine qui révèle des collusions très étroites entre pensée scientifique et positions éthiques et politiques. C’est un domaine de prédilection pour l’expression d’une préhistoire que Mortillet voulait avant tout militante et, elle-même, facteur de progrès social et moral.
Noël Coye, conservateur du patrimoine, TRACES-UMR 5608, ministère de la Culture et de la Communication
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- La Politique et le Socialisme à la portée de tous, éléments de droit politique et d’économie sociale. Paris : à la Propagande démocratique et sociale, 1849.
- Guide de l’étranger dans les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. Chambéry : J. Perrin, 1861, 480 p.
- Les Terramares du Reggianais, passage des époques anté-historiques aux temps historiques. Paris : Didier, 1865. 32 p .
- Origine de la navigation et de la pêche. Paris : C. Reinwald, 1867.
- Musée préhistorique. Paris : C. Reinwald, 1881, 105 pl.
- Le Préhistorique, antiquité de l’homme. Paris : C. Reinwald, 1883, 642 p. (« Bibliothèque des sciences contemporaines »).
- Origines de la chasse, de la pêche et de l’agriculture. Paris : Lecrosnier et Babé, 1890, (« Bibliothèque anthropologique » 12) ».
- Formation de la nation française, textes, linguistique, palethnologie, anthropologie. Paris : F. Alcan, 1897. 336 p. (« Bibliothèque scientifique internationale » 86).
- Mortillet Gabriel et Adrien (de). – Le Préhistorique, origine et antiquité de l’homme. 3e éd. entièrement refondue. Paris : C. Reinwald ; Schleicher Frères, 1900, (« Bibliothèque des sciences contemporaines » 8).
- Mortillet Gabriel et Adrien (de). – Musée préhistorique. 2e éd. : Paris : C. Reinwald, 1903, 105 pl.
- Mortillet Gabriel et Adrien (de). – La Préhistoire, origine et antiquité de l’homme. Paris : Schleicher Frères, 1910, (« Bibliothèque des sciences contemporaines »).
Articles
- « Carte des anciens glaciers du versant italien des Alpes ». Atti della Societa italiana di scienze naturali in Milano, 1860, t. III, p. 44-81.
- « Terrains du versant italien des Alpes comparés à ceux du versant français ». Bulletin de la Société géologique de France, 1862, 2e sér., t. XIX, p. 849-907.
- « L’Époque quaternaire dans la vallée du Pô ». Bulletin de la Société géologique de France, 1864, 2e sér., t. XXII, p. 138-151.
- « Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle ». Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, 1867, t. IV, p. 181-368.
- « L’Homme dans les temps géologiques ». Bulletin de la Société géologique de France, 1867-1868, 2e sér., t. XXV, p. 180-185.
- « Promenades préhistoriques au musée de Saint-Germain-en-Laye ». Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, 1868, t. IV, p. 355-537.
- « Âge de la station de Solutré ». Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, 1868, t. IV, p. 36-39.
- « L’Homme tertiaire ». Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, 1868, t. IV, p. 179-256.
- « Essai d’une classification des cavernes et stations sous abri fondée sur les produits de l’industrie humaine ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1869, t. V, p. 172-179.
- « Le Transformisme et la Paléontologie ». Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 1870, 2e sér., t. V, p. 360-368.
- « Classification des diverses périodes de l’âge de la pierre ». In Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, Comptes rendus de la 6e session, Bruxelles, 1872. Bruxelles : C. Muquardt, 1873, p. 432-459.
- Mortillet Gabriel (de), Hovelacque Abel. – « Le Précurseur de l’homme ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme 1873, t. VIII, p ; 307-313.
- « Les Études préhistoriques devant l’orthodoxie ». Revue d’anthropologie, 1875, t. IV, p. 116-129.
- « Origine du bronze ». Revue d’anthropologie, 1875, t. IV, p. 650-663.
- « Superposition du Solutréen au Moustérien à Thorigné (Mayenne) ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1876, t. XI, p. 164-168.
- « Races humaines et Chirurgie religieuse de l’époque des dolmens ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1877, t. XII, p. 153-166.
- « Sur l’origine des animaux domestiques ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1879, t. XVII, p. 227-234.
- « Classification et Chronologie des haches en bronze ». Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1880, t. XV, p. 3-15.
- « Le Précurseur de l’homme ». L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques, 1884, t. I, p. 545-554.
- « Question dite de l’homme tertiaire ». L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques, 1885, t. II, p. 65-73.
- « Silex tertiaires intentionnellement taillés ». L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques, 1885, t. III, p. 289-364.
- « Décentralisation, l’Association française pour l’avancement des sciences ». L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques, 1887, t. IV, p. 385-394.
- « L’Église et la Science ». L’Homme, journal illustré des sciences anthropologiques, 1887, t. IV, p. 609-614.
- « Tableau de la classification de G. de Mortillet mis au courant des observations et des découvertes actuelles ». Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 1894, 4e sér., t. V, p. 616-621.
- « Évolution quaternaire de la pierre ». Revue mensuelle de l’École d’anthropologie de Paris, 1897, t. VII, p. 18-26.
- « Grottes ornées de gravures et de peintures ». Revue mensuelle de l’École d’anthropologie de Paris, 1898, t. VIII, p. 20-27.
Bibliographie critique sélective
- Cartailhac Émile. – « Nouvelles et correspondances : Gabriel de Mortillet ». L’Anthropologie, 1898, t. IX, p. 601-612.
- Hervé Georges, Capitan Louis. – « Gabriel de Mortillet ». Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris, 1898, nouv. sér., t. IX, p. 451-458.
- Reinach Salomon. – « Gabriel de Mortillet ». Revue historique, janvier-avril 1899. p. 67-95.
- Gran-Aymerich Ève et Jean. – « Les Grands Archéologues : Gabriel de Mortillet ». Archeologia, préhistoire et archéologie, 1984, n° 197, p. 71-75.
- Pautrat Jean-Yves. – « Le Préhistorique de Gabriel de Mortillet, une histoire géologique de l’homme ». Bulletin de la Société préhistorique française, 1993, t. XC, p. 50-59.
- Richard Nathalie. – « Gabriel de Mortillet ». Trad. de l’anglais par Judith Braith. In Murray Tim. – Encyclopedia of Archaeology, the great archaeologists. Santa Barbara : ABC Clio, 1999, t. I, p. 93-108.
- Beyls Pascal. – Gabriel de Mortillet (1821-1898), géologue et préhistorien. Grenoble : chez l’auteur, 1999, 402 p.
- Gran-Aymerich Ève. – Dictionnaire biographique d’archéologie (1789-1945). Paris : CNRS Éditions, 2001. p. 474-476.
Sources identifiées
Sarrebruck, Bibliothèque centrale de l’Université et Institut de pré- et protohistoire
- Importants fonds en cours d’inventaire rassemblant des documents concernant Gabriel et Adrien de Mortillet : documents imprimés (brochures, tirés-à-part, cartes postales…), documents d’archives (notes d’études, manuscrits d’ouvrages et d’articles, correspondances, documents relatifs à la gestion de l’École d’anthropologie, photographies, cartes, dessins originaux…)