Informations sur l’INHA, ses actualités, les domaines et programmes de recherche, l’offre de services et les publications de l’INHA.
RENOUVIER, Jules
Mis à jour le 3 novembre 2008
(13 décembre 1804, Montpellier – 23 septembre 1860, Montpellier)
Auteur(s) de la notice :
ZERNER Henri
Profession ou activité principale
Inspecteur divisionnaire des Monuments historiques, homme politique
Autres activités
Historien de l’art, archéologue, journaliste
Sujets d’étude
Architecture médiévale, histoire de la gravure, art de l’époque révolutionnaire
Carrière
1824 : fréquente les saints-simoniens
1831 : quitte la communauté de Bazard et rejoint le parti démocratique
1832 : s’intéresse à l’archéologie, parallèlement à la politique
1835 : commence la publication des Monuments des anciens diocèses du Bas-Languedoc, qu’il poursuivra jusqu’en 1841 ; nommé inspecteur divisionnaire des Monuments historiques et correspondant du ministère de l’Instruction publique pour les travaux historiques
1838 : membre correspondant de la Société des antiquaires de France
1839 : voyage à Florence, Pise, Rome et Naples ; publiera ses notes sur les monuments gothiques de ces villes en 1841 dans le Bulletin Monumental
1844 : conseiller municipal de Montpellier ; vice-président de la section d’histoire au Congrès scientifique de France
1848 : nommé commissaire général du gouvernement pour le département de l’Hérault, puis député à l’Assemblée constituante ; non réélu aux élections législatives, se consacre alors exclusivement à l’archéologie
1860 : malade, il décède au retour d’un séjour à Paris
Étude critique
Jules Renouvier est né dans une famille aisée de Montpellier, dont plusieurs membres furent députés. Son père professait des opinions libérales. Son jeune frère, Charles Renouvier (1815-1903), fut un des philosophes les plus en vue de son temps, et reste une figure importante dans l’histoire de la philosophie en France.
Renouvier adhéra au saint-simonisme dès 1824 et participa très activement au mouvement qu’il quitta en 1831, l’année du schisme entre Enfantin et Bazard. Sa pensée n’en est pas moins restée profondément imprégnée des idéaux saint-simoniens. Renouvier fut un temps très engagé dans la vie politique. Sa première candidature aux élections législatives en 1846 échoua. Au moment de la révolution de 1848, il était néanmoins suffisamment reconnu pour être choisi comme commissaire du gouvernement provisoire pour l’Hérault. Il fut ensuite élu député à la Constituante. C’est durant cet épisode que son frère Charles, qui partageait ses opinions républicaines, publia le Manuel républicain de l’homme et du citoyen (nouv. éd., Genève, Slatkine Reprints, 2000), ouvrage qu’Hippolyte Carnot (fils du grand Carnot et frère du physicien Sadi Carnot), alors ministre de l’Instruction publique, fit distribuer aux instituteurs. Violemment attaqué, le livre fut défendu à la Chambre des députés par Jules. Après la Seconde République, les deux frères opposés à la politique de Louis Napoléon – Jules avait voté pour la mise en accusation du Président – se retirèrent définitivement de la vie politique.
L’activité de Renouvier comme historien de l’art se divise en deux phases bien distinctes, séparées par la révolution de 1848 et la Seconde République. Dans sa jeunesse, Renouvier s’est passionné essentiellement pour la période médiévale et ses premières publications concernent essentiellement l’archéologie et l’architecture, en particulier le gothique méridional. Même s’il ne s’agit pas de la partie la plus importante de son œuvre, ses premières publications sont déjà caractéristiques de sa tournure d’esprit. Des vieilles maisons de Montpellier, publié en 1835, s’attache à l’architecture civile médiévale de sa ville natale. Renouvier y décrit et analyse avec une minutie archéologique les fragments assez modestes des maisons à partir du XIe siècle qu’il a pu retrouver. En même temps, ces observations microscopiques sont placées dans une vision très large, articulée et critique de l’art occidental. À la suite d’Arcisse de Caumont, dont il est un admirateur, Renouvier distingue clairement le roman et le gothique, qu’il appelle toujours « ogival », refusant le terme de « gothique » parce qu’il n’a rien à voir avec les Goths. Il ne se contente pas de constater l’infériorité du gothique méridional, il l’explique par la proximité de l’Italie et l’abondance des antiquités romaines, les meilleures réalisations du midi prenant place entre la décadence de l’empire romain et le XIIe siècle. Il voit l’art roman dans une continuité avec l’art romain (d’où son nom) mais acquérant une véritable originalité par l’inspiration chrétienne. La soumission au style du Nord a détruit la spécificité du Midi, mais avec des avantages progressifs. Comme les autres « enthousiastes » du Moyen Âge, il considère l’impact du classicisme italien comme néfaste, mais apprécie tout de même la créativité de la première Renaissance française. Il attaque également l’académisme : « La servilité remplace l’originalité. Avec le XVIIe siècle, l’infidélité s’ajoute à la servilité. Sous Henri IV et Louis XIII, elles [les « qualités précieuses » de la première Renaissance] furent considérablement altérées. L’imitation de l’antique devint plus servile et en même temps plus infidèle. Les caractères originaux qui s’y mêlèrent, restes dégradés de l’art ogival, ne firent que la rendre baroque […]. Sous le règne de Louis XIV, en architecture comme dans toutes les autres parties de l’art et de la poésie, la France perd la dernière trace des traditions du Moyen Âge. En même temps que l’esprit monarchique, des mœurs uniformes et de conventions remplaçaient les sentiments chrétiens et les mœurs originales et naïves de la France gothique, les rhéteurs, comme il arrive toujours aux époques de décadence, s’emparaient de l’art pour l’enfermer dans leurs poétiques absolues […]. Nous eûmes alors à Montpellier comme partout, des édifices classiques que l’on admire peut-être encore par habitude et paresse d’esprit, mais dont il est impossible de tenir compte dans une histoire de l’art, parce qu’ils ne sont pas même des copies exactes […] ». Renouvier a pourtant quelque indulgence pour le rococo (en 1835, on commence en effet à s’y intéresser) : « Il y eut pourtant un dernier symptôme d’originalité, qui constate encore mieux la décadence. Sous la régence et Louis XV, en un moment de dévergondage, l’art parut oublier les leçons de la classe ; il se jeta dans les rocailles, la pastorale, les chantournemens [sic] et les imitations chinoises : ce mouvement fut court, il n’eut d’influence un peu durable que sur l’architecture de décoration » (p. 48). À ce moment de sa carrière, Renouvier est totalement pessimiste quant à l’art de son temps : « Aujourd’hui nous sommes tombés plus bas encore que l’art académique ; nous en sommes à l’art individuel, où chaque artiste fait son œuvre d’après une idée personnelle le plus souvent sans valeur ; et le public, qui ne peut ni la sentir ni la comprendre, reste complètement indifférent » (p. 48-49). Mais il ne restera pas toujours aussi pessimiste quant à l’art moderne.
Ses contributions au Bulletin monumental et aux Mémoires de la Société archéologique de Montpellier concernent surtout le gothique méridional. Anatole de Montaiglon appréciait particulièrement un assez long texte sur les églises gothiques d’Italie publié dans le Bulletin monumental. Plus intéressant est cependant le texte exceptionnel de 1847, publié dans les Mémoires de l’Académie de Montpellier, qui vient couronner la première phase du travail de Renouvier par des considérations générales qui constituent pour ainsi dire un projet global pour une histoire sociale et culturelle de l’art : Idées pour une classification générale des monuments. Renouvier est conscient de l’historicisme dominant du XIXe siècle. Il s’est déjà exprimé sur ce point dans un texte de 1843 dans la Revue du Midi, avec une expression primesautière dans la tradition romantique (Renouvier a deux ans de moins que Victor Hugo). Il y examine non seulement le caractère de l’école historique depuis 1814 et les premières publications d’Augustin Thierry, mais aussi l’impact de ce courant sur les lettres, les arts, et même les mœurs. L’article de 1847 commence, lui, par des considérations plus générales sur l’histoire. L’auteur croit en l’évolutionnisme (pas encore, bien sûr, sous sa forme définitive donnée plus tard par Darwin) : « C’est amoindrir l’idée de Dieu », écrit-il, « que d’en faire le sculpteur d’un homme. » Renouvier propose d’envisager l’histoire sous trois aspects : la politique, la religion et la race : « Les monuments apparaissent comme le vêtement des sociétés. Avant de dire leurs formes et leurs variations, il convient de jeter les yeux sur le corps qu’ils recouvrent, sur l’organisation qu’ils sont destinés à abriter. L’histoire qu’on peut faire des monuments est inséparable de l’histoire de l’organisation humaine et des institutions sociales. Ses divisions découlent de celles qui sont admises dans le développement des états, des religions et des races. Les analogies et les variétés de ces séries historiques combinées devront également servir à la classification qu’on se propose ici » (p. 96).
Les considérations sur les races sont très développées, et intéressantes. L’auteur présente les théories sur l’origine des races et opte pour l’origine multiple de l’humanité, mais sans adhérer du tout à un racisme à la Gobineau. Il ne suggère à aucun moment la supériorité d’une race sur l’autre. Au contraire, il affirme que « si l’unité des races n’est pas dans le passé, elle est dans l’avenir […]. À cet égard, le sentiment traditionnel qui la pose à l’origine, n’est qu’un emblème, un signe instinctif […] que tous les hommes sont frères » (p. 112). Renouvier n’a jamais abjuré l’humanisme saint-simonien. La dernière partie du texte concerne l’art qui est l’expression de l’homme dans l’histoire : « L’art, faculté merveilleuse, aussi inhérente à la nature de l’homme que le langage et l’écriture, par laquelle il lui a été donné de créer des formes à son image, a, dans tous les temps et dans tous les lieux, transformé la nature à l’imitation de l’esprit, et laissé, au milieu des révolutions physiques et morales, des témoins vivants de toutes les sociétés. On peut définir l’art, la représentation des sentiments et des idées de l’homme ; on peut le résumer dans l’architecture. » Comment comprendre cette dernière expression ? Dans la tradition saint-simonienne, Renouvier distingue les époques organiques de l’art, où tous les arts sont soumis à l’architecture, des époques où ils ont gagné leur indépendance. L’art passe par des phases qu’il compare aux « divers états de l’intelligence, état de barbarie, de foi, de science ». On trouve là une pensée proche de celle d’Auguste Comte, le secrétaire de Saint-Simon : « La barbarie : temps de migration ou de révolution d’un peuple ; état d’enveloppement, d’ignorance ou d’oubli, où l’architecture est grossière d’exécution et sacrifie tous les détails à une certaine valeur d’ensemble ; l’art alors s’élabore. La foi : temps de domination religieuse et de gouvernement accepté ; état de synthèse et d’ordre, pendant lequel l’architecture, accomplie comme exécution normale, subordonne les détails à un ensemble parfaitement régulier : l’art est alors à son apogée d’expression particulière. La science : temps d’examen et de recherche ; état d’expression, où l’architecture, plus riche mais moins originale, laisse déborder tous les détails au détriment d’un ensemble qui perd toute signification : l’art touche à sa décadence. »
Pour Renouvier, chaque phase contient quelque chose de positif et constitue un progrès dans la marche de l’art : « La première en féconde le germe ; la seconde le voit fleurir ; la troisième l’analyse et le détruit pour faire place à un autre. » Notons encore qu’il attache le concept de Renaissance à la phase scientifique : « Observons, enfin, que le troisième moment, l’ère scientifique, est le plus marqué du caractère de renaissance. Or, par les renaissances, un grand progrès s’est toujours accompli dans les sociétés, parce que ce ne sont pas des rétrogradations, mais comme des reconnaissances où l’esprit du présent s’ajoute à l’esprit du passé, unit son œuvre aux œuvres précédentes, et acquiert ainsi toute sa valeur. » Renouvier envisage donc l’histoire de l’art sur un modèle cyclique, un peu comme le fera plus tard Heinrich Wölfflin.
Après la Seconde République, Renouvier s’est éloigné de l’étude du Moyen Âge pour s’attacher plus particulièrement à l’estampe. Son principal ouvrage achevé s’intitule Des types et des manières des maîtres graveurs pour servir à l’histoire de la gravure en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas et en France (il fut publié dans les Mémoires de l’Académie des sciences et des lettres de Montpellier de 1853 à 1856). Comme il n’a jamais été réédité, cet écrit est peu lu aujourd’hui. Montaiglon y voyait à juste titre la première véritable histoire de la gravure, et il reste d’une lecture très intéressante par ses analyses perspicaces. Le titre se réfère aux artistes plutôt qu’à la gravure en général. C’est là une idée qui remonte aux études médiévistes de l’auteur. L’introduction de l’une de ses précédentes publications, Des maîtres de pierre et des autres artistes gothiques de Montpellier, en collaboration avec Adolphe Ricard, s’élevait contre le préjugé selon lequel l’art médiéval était le fait d’artisans anonymes. L’opuscule était essentiellement une publication de documents de Ricard, selon Montaiglon, mais l’introduction générale, visiblement rédigée par Renouvier, insistait sur le rôle des individus : « Leurs noms n’atteignent jamais, il est vrai, à cette célébrité qui s’est attachée depuis la Renaissance aux artistes modernes, mais on s’assure qu’ils étaient bien connus des contemporains, cités dans de nombreux titres privés, écrits souvent dans des actes publics et officiel, inscrits sur les monuments même, on n’a eu qu’à y regarder avec soin pour les lire en grand nombre. »
Dans Des types et des manières des maîtres graveurs pour servir à l’histoire de la gravure en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas et en France, Renouvier s’attache donc à caractériser chaque graveur et, à l’occasion, le dessinateur qu’un graveur interprète. Comme l’annonce déjà le titre, il le fait selon deux axes : d’une part les types, c’est-à-dire la physionomie des figures que l’artiste représente, et tout particulièrement certains personnages récurrents comme le Christ, la Vierge, ou Vénus et Jupiter ; d’autre part, la manière, soit l’ensemble des traits formels, comme les particularités graphiques, la façon de composer une image, etc. Est-ce une conséquence du choix de ces critères ou bien par goût personnel si la gravure de paysage est presque totalement absente de son livre ? Il ne mentionne même pas Claude Gellée dit le Lorrain qui entre pourtant dans son sujet, alors qu’il consacre tout un paragraphe à Pierre Le Maire, à Nicolas Chaperon et à d’autres artistes mineurs. Cela ne l’empêche pas de construire une véritable histoire en groupant les artistes selon leurs affinités et leurs tendances, et en définissant les rapports qu’ils entretiennent entre eux.
Ayant terminé cet ouvrage, Renouvier s’est tourné plus particulièrement vers les origines, très débattues, de la gravure tant en relief qu’en creux et à son développement au XVe siècle. Son mémoire, Histoire de l’origine et des progrès de la gravure dans les Pays-Bas et en Allemagne, jusqu’à la fin du XVe siècle fut couronné et publié en 1859 par l’Académie royale de Belgique qui avait mis le sujet au concours. C’est un examen minutieux, libre de préjugés, et Renouvier soutient clairement que les origines de l’estampe sont obscures. Il penche pour le primat des Pays-Bas sur l’Allemagne, mais sans l’affirmer, les autres pays ne pouvant pas, selon lui, y prétendre. Il travaillait à un second volume sur la France et l’Italie lorsque la mort le surprit l’année suivante, et un fragment de ce second volume parut de façon posthume dans la Gazette des Beaux-Arts.
Son ouvrage le plus connu aujourd’hui est l’Histoire de l’art pendant la Révolution considéré principalement dans les estampes. Renouvier n’eut pas le temps de mettre la dernière main à ce livre publié en 1863. Il n’en reste pas moins un monument indispensable, réédité en fac-similé en 1996. L’ouvrage commence par une attaque ouverte contre les historiens réactionnaires et en tout premier lieu Quatremère de Quincy. Ce dernier fait l’objet d’une longue citation : « Mais pour le secrétaire de l’académie, […] les années de la Révolution marquèrent un déplorable intervalle dans la région des beaux-arts, ainsi que dans toutes celles qu’une anarchie sanglante couvrait du voile de la terreur […]. En terrorisant ainsi les arts de la Révolution, M. Quatremère n’a oublié qu’une chose, c’est de se demander s’ils avaient été fidèles au programme qu’il leur traçait lui-même en 1791, alors qu’il était jeune, artiste, membre du Directoire du département, et qu’il disait : “Le règne de la Liberté doit ouvrir aux arts une carrière nouvelle […] ; plus une nation acquiert par le sentiment de la liberté l’orgueil d’elle- même, plus elle devient jalouse de consacrer dans ses monuments la représentation fidèle de ses mœurs, de ses usages, de ses costumes.” »
Il n’épargne pas non plus Delécluze ni Laborde. Anatole de Montaiglon a résumé la visée du livre dans des termes qui méritent d’être cités. Renouvier lui-même n’exprime pas ses intentions de façon aussi explicite, mais il nous semble probable que les propos de Montaiglon lui viennent de conversations avec le député de 1848 : « Renouvier croyait que, comme tous les temps de troubles trempent en quelque sorte la génération qui viendra après eux, c’est la Révolution qui a vraiment renouvelé l’art français et qui a donné ses artistes à l’Empire, de même que les troubles civils de la fin du XVIe siècle et le règne de Richelieu ont donné les siens au grand roi. En même temps, il faisait voir que l’allégorie n’a dans l’art révolutionnaire une si grande place que grâce à son abstraction, à la fois philosophique et visible, qui y prenait une importance religieuse et se substituait à tout l’ensemble des représentations hiératiques supprimées par les idées nouvelles, et par là que c’est Prud’hon, plus que David, qui est le vrai peintre de l’idée révolutionnaire. » L’Histoire de l’art pendant la Révolution constitue l’apport le plus substantiel de Renouvier et reste une source indispensable à tout historien de cette époque. C’est aussi son ouvrage le plus investi, et par là il montre bien que l’engagement n’est nullement incompatible avec ce qu’on peut appeler, au sens large du terme, le caractère scientifique de l’histoire.
Si Renouvier a étudié l’art de l’époque révolutionnaire surtout à travers les estampes, ce n’est pas simplement parce que c’était son domaine d’élection. Il avait des raisons plus spécifiquement liées à ce sujet et à l’approche qui était la sienne. Il ne s’est pas détourné des œuvres peintes ou sculptées, mais le fait est que les troubles et l’agitation sociale et politique de l’époque ont en grande partie privé les artistes des commandes habituelles. Ce qu’il pouvait y avoir de commandes privées était peu accessible ; enfin, l’approche sociale de Renouvier qui considérait surtout l’ancrage de l’art dans les circonstances, ce que nous appelons aujourd’hui le contexte, est beaucoup plus richement documentée dans la gravure que dans les arts dits majeurs. Enfin, encore une fois, l’estampe est le lieu d’élection du républicanisme : « Ce n’est, écrit Renouvier, que par les estampes en effet, […] que l’art reçoit la consécration populaire et qu’on peut juger de la place qu’il tient dans le pays, de la place qu’il doit tenir dans l’histoire. » Ajoutons que Renouvier ne se contente pas d’examiner les documents visuels ; il a aussi recherché les sources textuelles, tant les documents comme les lettres d’artistes et autres sources factuelles que les critiques contemporaines. Renouvier étudie également les institutions (académies, expositions, concours, etc.), les artistes dans les différentes branches de l’art (peintres, sculpteurs, architectes, graveurs au pointillé, graveurs au burin…), les sujets (allégorie, fêtes, portraits…). C’est surtout dans l’allégorie et dans les fêtes qu’il situe l’originalité de l’art révolutionnaire.
Parallèlement à l’écriture de ces livres, la pensée de Renouvier s’est exprimée dans des articles sur des sujets très variés. Renouvier avait une très bonne connaissance de la peinture du XVe siècle. Il se prononçait rarement par écrit, mais son jugement était alors très sûr. Dans une notice de 1857, il publie la Résurrection de Lazare par Gérard de Saint-Jean, tableau qu’il avait découvert et acquis en Espagne (aujourd’hui au Louvre) ; le texte est illustré d’une photographie, fait exceptionnel à cette date (la planche manque à l’exemplaire de la BnF). La Note sur le portrait d’Agnès Sorel, attribué à Jean Fouquet est une notice intéressante sur la Vierge d’Anvers de Fouquet : Renouvier y défend fermement l’autographie du tableau de Fouquet, contre la thèse de Vallet de Viriville qui y voyait une copie du XVIe siècle et qui faisait alors autorité sur l’artiste.
Dans un article de la Gazette des Beaux-Arts sur la célèbre tête de cire léguée en 1834 par Wicar au musée de Lille, Renouvier rejette l’attribution proposée à Raphaël et suggère, plus raisonnablement, d’y voir l’œuvre d’Orsino Benintendi dont Vasari vante la sculpture en cire. Cette attribution (reprise plus tard par Gonse qui avait tout d’abord accepté l’attribution à Raphaël suggérée par l’inventaire Wicar, puis la proposition de Benvignat qui y voyait une sculpture funéraire romaine) est pour Renouvier l’occasion d’un développement tout à fait original sur cette production populaire des faiseurs de portraits en cire florentins et ses rapports avec l’art savant. Anticipant ainsi sur un point précis la recherche de Warburg, Renouvier a bien montré que sa conception d’une étude sociale et culturelle de l’art ouvrait la voie à l’histoire de l’art telle qu’elle s’est définie à la fin du XIXe siècle.
Renouvier qui, autant qu’on sache, n’eut jamais d’emploi rémunéré (député, il reversait son salaire au gouvernement), pouvait consacrer tout son temps à ses recherches, à ses curiosités et à ses lectures. C’était aussi un collectionneur averti. Il est clair qu’il ne parle que d’objets qu’il a vus ; toutes ses observations relèvent d’un examen direct et attentif des œuvres. Jamais il ne recule devant les jugements de valeur, mais en même temps, il est très ouvert à tous les champs de l’art et, fidèle à ses convictions éthico-politiques, il s’intéresse aux formes d’expression populaires. Le plus remarquable est peut-être la façon dont il arrive à maintenir une grande exigence esthétique, sans négliger ce qu’il y a de positif même dans ce qu’il critique sévèrement. Il n’arrête pas la valeur des œuvres à leur mérite proprement artistique, mais prend aussi en compte leur intérêt pour ainsi dire documentaire, comme témoignages de la culture et de l’histoire. On sent chez lui non seulement une énorme curiosité intellectuelle, mais encore une profonde sympathie pour tout ce qui relève de l’expression humaine.
Henri Zerner, Professor of History of Art and Architecture, Harvard University
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
La plupart des publications de Jules Renouvier sont parues dans des périodiques locaux, dont la majeure partie se trouve aussi en fascicules édités séparément. Ce sont ces éditions qui sont signalées ci-dessous. Le seul livre publié de son vivant est Histoire de l’origine et des progrès de la gravure dans les Pays-Bas et en Allemagne jusqu’à la fin du quinzième siècle. Histoire de l’Art pendant la Révolution est une publication posthume.
- Des vieilles maisons de Montpellier. Montpellier : impr. de Jean Martel aîné, 1835.
- Notice sur deux manuscrits des archives de la commune de Montpellier. Montpellier : impr. Vve Picot, 1835.
- Histoire, antiquités et architectonique de l’abbaye de Valmagne. Montpellier : impr. Vve Picot, 1835.
- Monuments de quelques anciens diocèses de bas Languedoc, expliqués, dans leur histoire et leur architecture. Tome 1-3, Montpellier : impr. Vve Picot, 1835-1837 ; tome 4-6, Montpellier : impr. de Boehm, 1838-1841.
- Essai de classification des églises d’Auvergne. Caen : A. Hardel, 1837.
- Notes sur les monuments gothiques de quelques villes d’Italie : Pise, Florence, Rome, Naples. Caen : A. Hardel, 1841.
- Notice littéraire sur M. Philippe de Saint-Paul, avocat-général, membre de la Société archéologique de Montpellier : lue dans la séance du 6 novembre 1841. Montpellier : impr. de Jean Martel aîné, 1841.
- Des maîtres de pierre et des autres artistes gothiques de Montpellier. Collab. d’Adolphe Ricard. Montpellier : impr. de Jean Martel aîné, 1844.
- Idées pour une classification générale des monuments. Montpellier : impr. de Boehm, 1847.
- Rapport sur le chapitre du ministère de l’Intérieur relatif aux musées nationaux. Paris : impr. de l’Assemblée constituante, 1848.
- Des types et des manières des maîtres graveurs, pour servir à l’histoire de la gravure en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas et en France. Montpellier : impr. de Boehm, 1853-1856, vol. 1 ; vol. 2.
- Laurens, Jean-Joseph-Bonaventure, dir. – De Lyon à la Méditerranée. 2e livraison. Le Musée de Montpellier. Montpellier : Virenque, 1855.
- Les peintres et les enlumineurs du roi René. Une Passion de 1446, suite de gravures au burin, les premières avec date. Montpellier : impr. de Jean Martel Ainé, 1857.
- Les Peintres de l’ancienne école hollandaise, Gérard de Saint-Jean de Harlem et le tableau de la Résurrection de Lazare. Paris : Rapilly, 1857.
- Des gravures en bois dans les livres d’Anthoine Vérard, maître libraire, imprimeur, enlumineur et tailleur sur bois, de Paris, 1485-1512. Paris : A. Aubry, 1859.
- Histoire de l’origine et des progrès de la gravure dans les Pays-Bas et en Allemagne, jusqu’à la fin du quinzième siècle. Bruxelles : M. Hayez, 1860.
- Jehan de Paris, varlet de chambre et peintre ordinaire des rois Charles VIII et Louis XII. Paris : A. Aubry, 1861.
- Des gravures sur bois dans les livres de Simon Vostre, libraire d’heures. Paris : A. Aubry, 1862.
- Histoire de l’art pendant la Révolution considéré principalement dans les estampes. Paris : Vve J. Renouard, 1863, avec une notice d’Anatole de Montaiglon sur l’auteur et une bibliographie détaillée de l’œuvre scientifique, vol. 1 ; vol. 2.
- Des portraits d’auteurs dans les livres du XVe siècle. Paris : A. Aubry, 1863.
- Saint-Guilhem-le-Désert en 1837. Gignac : Centre d’initiation au patrimoine de la vallée de l’Hérault, 1994.
Articles
- « Anciennes églises du département de l’Hérault ». Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 1836, n°2, p. 83-118, 1838, n°7, p. 321-348.
- « Excursion monumentale dans les Pyrénées, vallées d’Ossau et de Lavedan ». Bulletin monumental, 1837, t. III, p. 19-35.
- « Notice sur la peinture sur verre et sur mur dans le midi de la France ». Bulletin monumental, 1839, t. V, p. 416-424.
- « Sur les fenêtres de la rue de Baile (à Montpellier) ». Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 1842, n°12, p. 33-39.
- « Des fonds baptismaux en plomb de l’église de Vias ». Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 1843, n°13, p. 129-134.
- « Raphaël ou Ghirlandajo ». Revue du Midi, première série, 1843, t. I, p. 83-89.
- « Études, mœurs et modes archéologiques ». Revue du Midi, première série, 1843, t. I, p. 181-199.
- « Sur une figurine en terre cuite du cabinet archéologique de Montpellier ». Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 1853, n°20, p. 333-342.
- « Jean Troy, directeur de l’Académie de peinture, sculpture et gravure de Montpellier ». Archives de l’art français, documents, t. IV, 15 septembre 1855, p.81-93.
- « Les Estampes de Geoffroy Tory ». Revue universelle des arts, 1857, t. V, p. 510-519.
- « Les Peintres de l’ancienne école hollandaise ; Gérard de Saint-Jean, de Harlem, et le tableau de Saint-Lazare ». Revue universelle des Arts, 1858, t. VIII, p. 113-121.
- « Des origines de la gravure en France ». Gazette des Beaux-Arts, 1er avril 1859, t. II, p. 5-22.
- « Note sur le portrait d’Agnès Sorel, attribué à Jean Fouquet ». Journal des beaux-arts, n°16, 31 août 1859, p.123-124.
- « La Tête en cire du musée Wicar, à Lille ». Gazette des Beaux-Arts, 15 septembre 1859, t. III, p.336-341.
- « Restitution à Michel Dorigny du groupe figurant dans le paysage, peint sur mur dans une maison des Andelys, et attribué à Nicolas Poussin ». Gazette des Beaux-Arts, 15 juillet 1860, t. VII, p.123-124.
- « Des découvertes nouvelles d’estampes sur bois et sur métal de l’Allemagne ». Gazette des Beaux-Arts, 15 septembre 1860, t. VII, p.321-333.
Bibliographie critique sélective
- Lesaulnier C. M. – « M. Renouvier ». In Biographie des neuf cents députés à l’Assemblée nationale, par ordre alphabétique de départements, tant de ceux qui ont été élus le 23 avril aux élections générales, que de ceux qui ont été nommés le 4 juin aux élections complémentaires. Paris : Vve L. Janet, 1848, p. 174-175.
- Hoefer Jean-Chrétien-Ferdinand. – « Renouvier Jules ». In Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l’indication des sources à consulter. Paris : Firmin-Didot, 1852-1866, t. XLII.
- Montaiglon Anatole (de). – « Jules Renouvier ». Gazette des Beaux-Arts, 2e année, t.VIII, 15 octobre 1860, p. 105-111 et 15 novembre 1860, p. 251-254.
- Duplessis Georges. – « Jules Renouvier ». Bulletin du bouquiniste, 15 octobre 1860, 4e année, n° 92, p. 589-581.
- Lacroix Paul. – « Renouvier Jules ». Annuaire des artistes et des amateurs, Paris, Veuve Jules Renouard, 1861, p. 397.
- Dantes Alfred. – « Renouvier Jules ». In Dictionnaire biographique et bibliographique, alphabétique et méthodique, des hommes les plus remarquables dans les lettres, les sciences et les arts, chez tous les peuples, à toutes les époques. Paris : A. Boyer, 1875, p. 849.
- Robert Adolphe, Bourloton Edgar, Cougny Gaston. – « Renouvier Jules ». In Dictionnaire des parlementaires français. Paris : Bourloton éditeur, 1891, t. 5, p. 121-122.
- Troubat Jules. – « Jules Renouvier ». In Souvenirs du dernier secrétaire de Sainte-Beuve. Paris : Calmann-Lévy, 1890, p. 383-384.
- Vicaire Georges. – « Renouvier Jules ». In Manuel de l’amateur de livres du XIXe siècle. Paris : Librairie A. Rouquette, 1907, t. VI, p. 1062-1065.
- Pichon Jérôme. – In Catalogue des estampes anciennes et modernes et des dessins, composant la collection Jules Renouvier […], dont la vente aura lieu […], les mercredi 8, jeudi 9, vendredi 10 et samedi 11 novembre 1911, par le ministère de Me André Desvouges (Paris, Hôtel Drouot). Chartres : Frazier-Soye, 1911.
- Clerc Pierre et al. – « Renouvier Jules ». In Dictionnaire de biographie héraultaise des origines à nos jours. Montpellier : Librairie Pierre Clerc, Nouvelles éditions du Languedoc, 2006, tome 2, p. 1068-1069.
- Zerner Henri. – « Histoire de l’art et idéologie politique chez Jules Renouvier et Louis Dimier ». In Barbillon Claire, Recht Roland, Sénéchal Philippe. Histoire de l’histoire de l’art en France au XIXe siècle. Actes du colloque international, Paris, INHA et Collège de France, 2-5 juin 2004. Paris : La Documentation française, 2008.
- Foucher Louis. – La jeunesse de [Charles] Renouvier et sa première philosophie, 1815-1854. Paris : J. Vrin, 1927.
- Gunn Alexander J. – « [Charles] Renouvier : The Man and His Work ». Philosophy, janvier 1932, vol. 7, n° 25, p. 42-53.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour
En complément : Voir la notice dans AGORHA