Au théâtre de la mémoire, les femmes sont ombre légère. Le récit historique traditionnel leur fait peu de place, dans la mesure même où il privilégie la scène publique – la politique, la guerre – où elles apparaissent peu. L’iconographie commémorative leur est plus ouverte. La statuaire, manie chère à la iiie République, a semé la ville de silhouettes féminines. Mais allégories ou symboles, elles couronnent les grands hommes, ou se prosternent à leurs pieds, reléguant un peu plus dans l’oubli les femmes réelles qui les ont soutenus ou aimés, et les femmes créatrices dont l’effigie leur porterait ombrage. […] Les femmes autrices ont du mal à conquérir leur espace public et privé, à se ménager dans la famille et la maison la solitude nécessaire à l’écriture. Edith Wharton écrivait dans son lit, le seul endroit où elle se sentait tranquille, sans corset, le corps libre (…). Emily Dickinson ne quitte jamais la demeure paternelle. Un jour, elle conduit sa nièce, Martha, dans sa chambre, ferme la porte : « Marty, here’s freedom », lui dit-elle. (…) On sait le goût de George Sand pour l’écriture nocturne. L’amant endormi, la maisonnée couchée, elle était libre de donner cours à sa passion. Ce temps-là lui appartenait, elle ne le volait à personne. Son bureau, c’était la nuit. […] Les femmes artistes sont de plus en plus présentes et reconnues, même si la parité (notion qui n’a ici pas grand sens) est loin d’être réalisée. C’est moins le point d’arrivée – celui de l’exposition, de la consécration – qu’il importe de regarder, mais le long chemin plein d’embûches et d’obstacles visibles et invisibles qui mène à la visibilité. Au printemps 2009, le centre Pompidou consacrait une magnifique exposition à Elles. Artistes femmes dans la collection du musée national d’Art moderne.

Michelle Perrot

Éclairage

En 1832, Aurore Dupin prend comme pseudonyme masculin George Sand. Eugène Delacroix fait son portrait en 1834 à la demande de l’éditeur de l’autrice. Le peintre soulève la question des conditions matérielles de la création au féminin : travestie, peinte sous l’aspect d’un jeune garçon, la romancière âgée à peine de 30 ans, apparaît ici comme une figure emblématique de la génération romantique. Eugène Delacroix a su révéler une certaine fragilité en la représentant les cheveux défaits, dans un camaïeu de brun, le visage creusé par les peines de cœur après sa rupture avec Alfred de Musset. Tout au long de sa carrière, de nombreux portraits caricaturent l’autrice, ridiculisent ses « accoutrements », sa prétention de « bas-bleus » à s’émanciper de son rôle d’épouse et de la fonction domestique assignée aux femmes. C’est en réalité le confort et le moindre coût des vêtements masculins qui lui permettent d’investir les lieux publics réservés aux hommes qu’apprécie George Sand. Trente ans plus tard, en 1864, au faîte de sa carrière, elle est photographiée par Nadar, coiffée d’une perruque Louis XVI, référence explicite à Molière et à la sculpture en buste de la Comédie-Française. Le photographe la métamorphose avec admiration et n’hésite pas à procéder à quelques retouches au stylet ou au pinceau pour atténuer ses rides. Lorsqu’Edmond Texier commente les photographies dans le numéro du 26 mars 1864 de L’Illustration, il affirme : « Il y a de la grande dame dans ce grand homme. »

 

Ressources :

Un dossier « Sand » Gallica Essentiels Littérature

Les photographies de George Sand réalisées par Nadar commentées au sein de l’exposition virtuelle « Les Nadar une légende photographique »

Un article « Portraits croisés de George Sand »

Une notice du Portrait de George Sand en costume d’homme de Delacroix

Ouvertures

Sur une photographie de 1935 prise au musée du Jeu de Paume, documentant l’accrochage ou le décrochage de l’exposition L’Art italien des xixe et xxe siècles, une jeune femme fixe l’objectif. Il s’agit de Rose Valland, attachée de conservation dont l’engagement pendant l’occupation nazie a été déterminant. En 1940, le musée devient un entrepôt pour les œuvres d’art volées, destinées à être transférées en Allemagne. Espionne et résistante, elle réalise alors un travail technique d’archiviste et de mises en fiche qui a permis à l’issue du conflit, de tracer, d’identifier et de reconnaître les œuvres spoliées. L’artiste sud-africaine Zanele Muholi articule l’intime et le social en interrogeant les privations faites aux femmes – privation d’espace, de travail et de reconnaissance – pour construire ses séries photographiques. La photographe s’empare de l’espace de la cuisine, lieu de contraintes et d’inégalités, lié à la condition féminine, pour en faire un lieu de création. Dans la série Bester, elle choisit de se mettre en scène dans des autoportraits, en se parant d’objets du quotidien : pinces à linge, éponges à récurer, serpillières. S’affichant avec fierté, jouant et rejouant avec les clichés, elle fait vaciller les archétypes du modèle noir.

 

Ressources :

Un dossier Portrait d’une femme engagée

Une photographie commentée Rose Valland à la veille de la Seconde Guerre Mondiale

L’exposition virtuelle Rose Valland sur le front

Une page Résister dans l’art et la littérature

Un extrait du documentaire L’espionne aux tableaux, Rose Valland face au pillage nazi de la documentariste Brigitte Chevet

Le projet Portrait d’Esther une bande dessinée numérique, un projet de sensibilisation aux œuvres spoliées par les nazis durant la seconde guerre mondiale

Une présentation de l’artiste Zanele Muholi

Pistes pédagogiques

1 Réaliser une cartographie des productions de femmes artistes contemporaines appartenant à différentes aires culturelles.

Ressource : Une carte mondiale interactive recense 530 compositrices

 

2 Réfléchir aux stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme et au sein de l’architecture scolaire en particulier. Conduire un atelier en partenariat avec les CAUE, pour engager un débat en classe et proposer des solutions pour créer des espaces mixtes.

Ressources :

Des ressources sur la cour de récréation, l’espace de loisirs des jeunes, l’espace public sous le prisme du genre

Des ressources sur l’espace public sous le prisme du genre

 

3 Rédiger une correspondance fictive entre deux femmes appartenant au monde de l’art (artiste, galeriste, mécène, conservatrice, historienne de l’art) et imaginer une conversation sous les formes du « mail art. »

Ressources :

Une fiche pédagogique sur le mail art 1

Une fiche pédagogique sur le mail art 2

 

4 Recueillir les propos d’une artiste femme, issus de vidéos mises en ligne et en faire une synthèse sous la forme d’un article de presse.

Ressources :

Des propos d’artistes femmes recensés sous le format de vidéo 1

Des propos d’artistes femmes recensés sous le format de vidéo 2

Référence au programme

Référence au programme de cycle 3

Histoire des arts

Relier des caractéristiques d’une œuvre d’art à des usages, ainsi qu’au contexte historique et culturel de sa création

Référence au programme de cycle 4

Histoire des arts

Thématique 7 : Les arts entre liberté et propagande (1910-1945)

L’émancipation de la femme artiste

Français

Héros/héroïnes et héroïsmes

S’interroger sur la diversité des figures d’héroïnes et sur le sens de l’intérêt qu’elles suscitent

Histoire

Thème 3 Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle

Conditions féminines dans une société en mutation

En classe de 4e

EMC
Respecter autrui

Compétences en histoire des arts

Construire un exposé de quelques minutes sur un petit ensemble d’œuvres ou une problématique artistique

Attendus de fin de cycle en histoire des arts

Comparer des œuvres d’art entre elles, en dégageant, par un raisonnement fondé, des filiations entre deux œuvres d’époques différentes ou des parentés entre deux œuvres de différente nature, contemporaine l’une de l’autre

Connaissances et compétences associées en histoire des arts

Amorcer un discours critique

Domaine du socle commun de connaissances, de compétences et de culture

Domaine 3 La formation de la personne et du citoyen