« Marcher n’est ni se promener ni simplement déambuler. C’est un mode de locomotion, une façon de prendre appui sur ses pieds… pour se déplacer. L’allure que l’on a ne dépend pas de la cadence avec laquelle on avance mais d’une certaine coordination des mouvements qui donne à leur ensemble de la légèreté et de l’aisance. Cette allure-là dit assez la manière dont on est. […] Le promeneur s’assoit volontiers au gré de ses caprices, s’arrête pour observer ceci ou cela, lève le nez, se détourne de sa route le cas échéant. Il n’est ni très attentif à ce qui se passe autour de lui ni très concentré sur ce qu’il fait. Tout, pour lui, peut être objet de sollicitation : la distraction est son mode d’être. Le modèle pourrait en être le court roman de Robert Walser, La Promenade. (…) Ici la marche est le moyen de la promenade et l’on comprend qu’un artiste qui fait de celle-là son activité principale ne se promène pas. Ceux qui se promènent sont d’un autre style : ils sont aux aguets, prêts à la rencontre, de l’être ou de l’objet désiré. On reconnaît ici un des grands thèmes du surréalisme qui trouve ses racines chez Baudelaire et dans le romantisme allemand. L’inconscient des villes dont certains artistes reconstituent « l’œuvre esthétique » se manifeste à travers des formations culturelles stratifiées, dans les vitrines, sur les murs ou les enseignes des magasins : dépôts de mémoire fossilisée auxquels l’œil s’accroche selon ce qu’il désire voir sans en être nécessairement conscient. Cette « attention flottante » sur le modèle de l’écoute analytique a déterminé pour une part à la toute fin des années 40 et au début de la décennie suivante, l’intérêt de  Raymond Hains, Jacques de Villeglé et François Dufrêne pour les affiches lacérées. À certains égards, on est plus proche avec ces artistes – et même si l’on en reste encore loin – de la dérive situationniste (…) définie par Guy Debord comme une manière de « se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent »

Gilles A. Tiberghien

Éclairage

Dans une série de trois vues urbaines consacrée au Paris d’Haussmann en 1877, le peintre Gustave Caillebotte s’empare de la figure du flâneur, représentative de la vie moderne. Avec rigueur, suite à une multitude d’esquisses et d’études de détails (du lampadaire au parapluie), il manifeste une volonté documentaire pour rendre compte d’une nouvelle pratique : la marche en ville. Le piéton devient l’emblème d’une urbanité virile et bourgeoise où domine le noir, son uniforme répond à l’homogénéisation des façades du Paris remodelé. L’émergence de la promenade comme pratique et loisir crée également la nécessité de nouvelles tenues. Le peintre établit une analogie entre les lois qui régissent l’architecture et le costume, voire l’essence même de la marche : économie de moyens, symétrie et répétition. Le photographe néerlandais Hans Eijkelboom, quant à lui, interroge nos balades contemporaines. Dans Hommes du xxie siècle, il rend hommage à la grande tradition documentaire d’August Sander et à l’homme de la rue ordinaire. Il accumule portraits et instantanés de piétons, de Shanghai à Mexico, puis réalise des séries typologiques à partir d’un vêtement, d’un motif, d’un accessoire. Loin de la promenade désœuvrée des flâneurs de Caillebotte, l’artiste pose un constat à la fois amusé et critique sur nos déambulations urbaines asservies à la consommation, et nos apparences uniformisées dans les sociétés mondialisées.

 

Ressources :

Les œuvres de Gustave Caillebotte dans les collections de l’Art Institute de Chicago.

Un document de synthèse sur les immeubles haussmanniens

Une vidéo sur le trottoir par Isabelle Baraud-Serfaty dans la cadre de l’exposition La beauté d’une ville. Controverses esthétiques et transition écologique à Paris

Le dossier pédagogique de l’exposition La ville magique

La série Hommes du XXIe siècle du photographe Hans Eijkelboom

Ouvertures

Les sculptures monumentales de Richard Serra dans l’espace public imposent le déplacement du sculpteur comme celui du spectateur, le premier arpentant le site pour en interroger sa spécificité, le second cheminant, déambulant autour des sculptures pour mieux les appréhender. Dans le cadre de la deuxième manifestation de Monumenta, le sculpteur américain a réalisé Promenade (2008), soit cinq plaques d’acier disposées asymétriquement le long de l’axe central de la nef du Grand Palais, sous l’espace immense de la verrière. À cette occasion, le chorégraphe Daniel Larrieu prend au mot le titre même de l’installation du sculpteur dans Unlimited Walks (2008). Dans cette intervention chorégraphique publique, des danseurs
et des spectateurs se glissent au cœur de ce grand corps d’acier. En marchant ensemble, ils établissent un réseau de flux et d’oscillations, créant par leurs déambulations une œuvre unique et personnelle. Les gravures anciennes des maîtres japonais Hiroshige, Eisen, Kunisada et Kuniyoshi documentent les sites et les vues le long des itinéraires et des routes empruntés à l’époque Edo, reliant Tokyo à Kyoto. C’est au retour d’une mission officielle sur la route du Tôkaidô qu’Hiroshige de 1833 à 1834 réalise une série d’estampes intitulées Les Cinquante-trois Stations du Tôkaidô. Ces gravures sont un témoignage précieux de ce que devait être le voyage à cette époque, un document sur le quotidien des voyageurs croqués dans leur marche ou leurs moments de pause, mais sont aussi un hommage appuyé aux montagnes majestueuses. Les figures anonymes de marcheurs se fondent dans le paysage, en harmonie avec la nature glorifiée par l’artiste, fidèle aux principes du shintoïsme.

 

Ressources :

Un article sur la relation œuvre-spectateur dans la sculpture de Richard Serra

Une présentation de Promenade du sculpteur Richard Serra dans le cadre de Monumenta au Grand Palais 

Une captation du spectacle Unlimited Walks à l’occasion de Monumenta

Une présentation des 53 relais de Tôkaidô d’Hiroshige 

Pistes pédagogiques

1 Appréhender une sculpture en ronde-bosse dans l’espace public, de différents points de vue. Selon l’angle choisi, prendre du recul, s’approcher, se déplacer, s’éloigner et interroger ainsi les changements de lecture des formes, des détails et des volumes.

Ressource : Une présentation de la journée dédiée aux œuvres relavant du 1% artistique

 

2 Étudier l’espace urbain et l’histoire des aménagements pour piétons, constitutifs de l’urbanité dans les métropoles européennes (trottoirs, voirie, mobilier urbain).

Ressources :

Un article Penser la ville de demain en sixième : un exemple de démarche prospective au cycle 3 (quartier Valmy, Lyon) de Florian Pons

Une présentation des Journées de l’architecture

 

3 Repérer les différents procédés filmiques dans une comédie musicale à l’aide de notions cinématographiques (profondeur de l’image, son, effets de montage, mouvement…) qui permettent le passage de la marche à la danse.

Ressource : Des pistes pédagogiques et des analyses filmiques pour étudier le genre de la comédie musicale

 

4 Dresser un inventaire des signes urbains en s’appuyant sur le corpus de la « street photography » de Brassaï à Diane Airbus.

Ressource : Un dossier pédagogique de l’exposition Vivian Maier au musée du Luxembourg

Référence au programme de cycle 4

Histoire des arts
Thématique 6 De la Belle Époque aux « années folles » : l’ère des avant-gardes (1870-1930) Paysages du réel, paysages intérieurs

Éducation physique et sportive

S’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique

Français

La ville, lieu de tous les possibles – Montrer comment la ville inspire les écrivains, poètes, auteurs de romans policiers, grands romanciers des XIXe et XXe s., et les artistes qui la représentent dans sa diversité, sa complexité et ses contradictions

Histoire

Thème 2 L’Europe et le monde au XIXe siècle L’Europe de la « révolution industrielle »

Compétences en histoire des arts

Associer une œuvre à une époque et une civilisation à partir des éléments observés

Attendus de fin de cycle en histoire des arts

Comparer des œuvres d’art entre elles, en dégageant, par un raisonnement entre deux œuvres d’époques différentes ou des parentés entre deux œuvres de différente nature, contemporaine l’une de l’autre.
Connaissances et compétences associées en histoire des arts
Associer une œuvre à une époque et une civilisation en fonction d’éléments de langage artistique

Domaine du socle commun de connaissances, de compétences et de culture

Domaine 3 La formation de la personne et du citoyen