Contexte

(Re)trouver le passé : enjeux et méthodes des reconstitutions en histoire de l’art et en archéologie
Congrès Rotondes – Troisième édition – 3 et 4 avril 2025

[English version]

Rotondes est le congrès des jeunes chercheurs et chercheuses en histoire de l’art et en archéologie. Organisé par les doctorantes et les doctorants de l’Institut national d’histoire de l’art, il s’adresse à celles et ceux qui pensent, créent et contribuent au développement de ces deux disciplines. S’inscrivant à une échelle nationale, Rotondes ambitionne de traiter des problématiques jugées inhérentes à ces disciplines, tout en les rattachant à l’actualité et/ou à des enjeux pluridisciplinaires. En 2021, année de lancement de la première édition, le congrès interrogeait les éventuels rôles de l’histoire de l’art et de l’archéologie dans les sociétés contemporaines. Deux ans plus tard, l’édition de 2023 s’intéressait aux définitions, usages et limites du canon, paradigme qui fut déterminant dans la formation de ces disciplines.

La troisième et prochaine édition propose d’explorer l’histoire de l’art et l’archéologie au prisme de la reconstitution. Elle invite à saisir voire à déterminer les enjeux, les méthodes ainsi que les processus à l’œuvre dans la démarche de reconstituer historiquement et archéologiquement un objet, un lieu, une atmosphère, une technique… Annoncée pour 2025, cette nouvelle édition sera ouverte aux jeunes chercheurs et chercheuses résidant hors de France afin d’amorcer des échanges extranationaux. Elle se tiendra les 3 et 4 avril prochain à l’Institut national d’histoire de l’art, à Paris.

Description

Définition et historiographie du sujet

Qu’elles soient objets d’étude, outils d’analyse, supports didactiques ou relevant de pratiques artistiques, les reconstitutions alimentent diverses démarches d’exploration et de visualisation du passé. Certaines permettent de redonner vie aux danses médiévales à Provins, d’autres au siège d’Alésia ; d’autres encore promettent d’immerger le visiteur de musée dans des époques révolues par la création de period rooms. Les reconstitutions sont ainsi protéiformes et leur usage relève autant du domaine de l’histoire de l’art, de l’archéologie, de la muséologie, que de celui de l’architecture. Plus largement, du point de vue des sciences humaines, cette diversité des usages engendre une sémantique plurielle de la reconstitution, et donc une certaine confusion terminologique.

Au début du XXe siècle, Camille Enlart confinait par exemple les pratiques de restitution matérielle à certains domaines de spécialité : « L’archéologue qui ne veut que des renseignements sûrs devra se résigner à ne pas tout savoir. Par contre, le costumier, comme l’architecte, doivent exécuter des restitutions qui les obligent à prendre parti. Leur savoir professionnel sera pour eux le meilleur guide […]. » (Enlart 1916). Plus tard, en archéologie expérimentale, la reconstitution des chaînes opératoires de création par l’expérimentation a toutefois offert une meilleure compréhension des vestiges du passé. En muséologie, la reconstitution consisterait, selon André Desvallées et Georges-Henri Rivière, à combler les lacunes par l’ajout d’éléments cohérents afin de faciliter l’interprétation et la compréhension du passé pour le visiteur. La notion de reconstitution est ainsi didactique et intimement liée à la question de la réception par le public.

La reconstitution est aussi étroitement liée aux notions de restauration, de restitution, de reconstruction et d’évocation. Certains termes de ce champ lexical étendu ont d’ailleurs été clarifiés par l’ICOMOS dans La Charte de Venise (1964), qui distingue nettement la restauration de la reconstitution en raison de la dimension conjecturelle induite par cette dernière. Dès lors, au regard de ces divergences d’usages et d’acceptions, est-il possible d’envisager la reconstitution comme une pratique scientifique ? L’archéologue Pierre-Yves Balut met en évidence la question du statut et de la légitimité scientifique de cette notion. Il distingue ainsi la restitution, qui exprime « le complément des lacunes en ayant recours en priorité aux données internes des objets étudiés » à la reconstitution, qui « donne à voir une (ou plusieurs) idée lorsque les étapes précédentes n’ont plus de réponse. Le propre de la reconstitution est donc qu’elle est invérifiable et de ce fait, nous fait sortir du champ strict de la science pour aller vers celui de la création » (Balut 1982).

La place que prend l’interprétation dans le processus de la reconstitution, dans ses méthodes, dispositifs et discours, participe à la confusion soulevée par cette notion située au croisement des sciences, de la médiation culturelle et de la création. L’équilibre ou, dans certains cas, la tension entre rigueur scientifique et démarche didactique est au cœur de l’histoire de ses dispositifs, du XIXe siècle à aujourd’hui.

Le congrès Rotondes propose d’explorer cette notion de reconstitution dans sa complexité historique ainsi qu’à l’aune des enjeux scientifiques et technologiques actuels, sans oublier la place importante de sa réception auprès du public. En faisant appel aux émotions et aux sens du visiteur, elle s’appuie sur leur capacité d’imagination et de projection à partir d’une expérience de visite matérielle, virtuelle ou sensorielle, plus ou moins immersive et participative. Les discussions autour des différents usages et discours des reconstitutions seront également l’occasion d’amorcer une réflexion sur les pratiques professionnelles et artistiques.

Problématiques et axes de recherche

Nous proposons, dans le cadre de cette nouvelle édition, d’interroger les ambiguïtés terminologiques, paradoxes et tensions épistémologiques en lien avec la notion de reconstitution. Les contributions proposées pourront s’inscrire dans les axes suivants :

Reconstitutions : définitions, ancrages et pratiques. Définir la notion de reconstitution soulève des problématiques épistémologiques, conceptuelles et disciplinaires. Les traductions et interprétations de cette notion ainsi que les termes qui lui sont associés, tels que la restitution ou l’évocation, pourront être interrogés selon les cadres professionnels et artistiques. Que sous-entendent ces différences terminologiques sur la part d’interprétation conventionnellement admise dans chacun de ces cadres ? Dans quelles mesures la reconstitution peut-elle être considérée comme une pratique scientifique ou créative ? En quoi la pratique d’une discipline peut-elle alimenter les recherches académiques – et inversement ? Comment les différents types de reconstitutions soulèvent-elles la question de l’authenticité, de l’illusion, du processus de patrimonialisation et de mémoire collective ? Quelles pratiques artistiques et scientifiques peuvent contribuer à repenser, aujourd’hui, cette notion de reconstitution ? Et dans quelles mesures la reconstitution peut-elle s’émanciper de son statut de support pour devenir un sujet d’étude à part entière ?

 Reconstitutions, matière et sensorialité. Le fait de reconstituer implique nécessairement une appréhension de la matérialité ou de la non-matérialité de l’objet étudié – problématique qui a, entre autres choses, été abordée lors de la précédente édition de Rotondes. Cette notion de matérialité, investie par des sciences humaines depuis le « tournant matériel » de la fin du XXe siècle, s’est vue attribuer une place de premier plan dans l’actualité scientifique récente, témoignant de l’évolution en profondeur de disciplines placées face à la réalité tangible de leurs objets. Or, les matériaux originels des objets et les moyens de leur mise en œuvre sont par définition perdus, puisque appartenant au passé. Qui plus est, les reconstitutions ne se limitent pas à l’aspect matériel, le matériau pouvant être la porte d’entrée de reconstitutions sensorielles : des odeurs, des sons, des sensations tactiles ou encore gustatives. Le rapport au matériau peut également permettre de se réapproprier des techniques et des savoirs artistiques partiellement ou totalement oubliés. Les rapports entre recherche, création et matérialité peuvent ainsi être interrogés au prisme des reconstitutions : comment ces dernières impactent-elles le rapport du chercheur et de l’artiste aux matériaux ? L’objet matériel peut-il servir à reconstituer l’immatériel, ou est-ce l’inverse ?

Applications, limites et dépassements des reconstitutions. Les raisons de vouloir reconstituer un objet peuvent être multiples : scientifiques, curatoriales, récréatives, économiques, politiques ; certaines reconstitutions peuvent même être réalisées au profit d’idéologies. Souvent, une même reconstitution est motivée par plusieurs facteurs, ce qui contribue à en faire un objet de recherche délicat à appréhender. Dans ces cas-ci, la perspective pluridisciplinaire peut alors s’avérer pertinente pour saisir un monument, une exposition, une collection et les enjeux qui les sous-tendent. C’est notamment le cas de l’étude des sites archéologiques et monumentaux en contexte de conflit, des expositions universelles et coloniales, des collections ethnographiques et de l’historiographie qui s’y rattache. Quels sont les buts des reconstitutions aujourd’hui ? Les objets reconstitués ont-ils un impact sur l’appréhension, individuelle comme collective, du passé ? Dès lors, comment appréhender les corpus d’objets reconstitués en tant que chercheur ou chercheuse ? Quels protocoles peuvent être mis en œuvre pour étudier ces corpus, tout en prenant en compte les enjeux épistémologiques qu’ils soulèvent ?

Sources, dispositifs et diffusions : les moyens des reconstitutions. L’histoire des dispositifs de reconstitution est un champ en renouvellement, qui se nourrit non seulement des avancées technologiques et numériques, mais aussi des recherches en muséologie et en scénographie. Les dispositifs de visionnage qui en résultent sont plus ou moins spectaculaires, et plus ou moins ancrés dans le réel. Se pose alors la question des sources utilisées pour la création de ces dispositifs et de l’évolution de ces derniers au fil du temps. Quelles sont les pratiques – amateurs, savantes, artistiques – à l’origine des reconstitutions et à quand remontent-elles ? Quelles sont les sources primaires et secondaires utiles aux reconstitutions ? Comment donner à voir une reconstitution ? Quels sont les dispositifs muséologiques associés, et quels enjeux d’exposition les reconstitutions soulèvent-elles ? Enfin, quels sont les apports et les questionnements épistémologiques suscités par les reconstitutions numériques aujourd’hui ?

 

Formats et conditions des candidatures

Le congrès est ouvert aux étudiantes et étudiants, jeunes professionnelles et professionnels du monde de la recherche, du patrimoine, du marché de l’art et des arts appliqués, en cours de cursus ou ayant obtenu leur dernier diplôme il y a moins de cinq ans. Elles et ils sont invités à présenter leur travail, achevé comme en cours, et à partager leurs réflexions autour du thème du congrès. Les interventions pourront se faire sous l’un des formats suivants :

  • Une communication individuelle de 20 minutes ;
  • Une table-ronde d’une heure et demie ;
  • Un atelier pratique ou méthodologique au format libre, d’une heure et demie maximum.

Les propositions de communication, de tables-ronde ou d’ateliers seront d’une longueur maximale de 500 mots (corps de texte). Les langues acceptées sont le français et l’anglais. Elles comporteront un titre (même provisoire), le développement d’un ou plusieurs axes de réflexions autour du thème du congrès, ainsi qu’une courte bibliographie indicative ajoutée à la suite du texte. Les propositions sont à envoyer à l’adresse contact-rotondes@inha.fr accompagnées du ou des CV des intervenantes et intervenants avant le 13 octobre 2024.

Nous nous réjouissons de découvrir comment les enjeux soulevés ici résonnent avec vos propres recherches et pratiques !

 

Forum des Associations

Rotondes est également un temps de rencontres et d’échanges autour du Forum des associations portées par de jeunes chercheuses et chercheurs. Le forum se tiendra dans la Galerie Colbert pendant toute la durée du congrès, les 3 et 4 avril 2025. Cet événement est l’occasion pour les associations liées à l’histoire de l’art et à l’archéologie de se faire connaître par un public de jeunes chercheurs et chercheuses, de recruter de nouveaux adhérentes et adhérents ou bénévoles, et de développer les échanges entre professionnels du monde associatif et chercheurs.

Des stands seront mis à disposition pour toute structure associative d’intérêt culturel, patrimonial, et archéologique, souhaitant participer au forum. Les associations intéressées par le projet mais ne pouvant pas être présentes peuvent dès à présent nous envoyer un poster communiquant toutes les informations liées à leur association. Les posters seront imprimés par nos soins et exposés dans l’espace des associations pendant toute la durée du congrès.

Les demandes d’inscriptions pour la tenue d’un stand au Forum des associations et d’impressions de posters se font à l’adresse contact-rotondes@inha.fr avant le 13 octobre 2024.

Le congrès Rotondes a pour ambition de réunir l’ensemble de la communauté des jeunes chercheurs et chercheuses qui travaille à redéfinir nos disciplines. Artistes, archéologues, historiens et historiennes de l’art (du master au postdoctorat), élèves conservateurs, élèves conservateurs-restaurateurs, ou encore jeunes critiques d’art, nous vous attendons nombreux pour ce nouveau rendez-vous !

 

Comité scientifique et comité d’organisation restreint

 Membres du comité scientifique

Fanny CROZET, doctorante, Université de Technologie de Belfort-Montbéliard ;

Liyuan FAN, doctorante, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ;

Fanny GIRARD, conservatrice du patrimoine, musée Toulouse-Lautrec ;

Virginie GUFFROY, conservatrice du patrimoine, musée d’art et d’archéologie de Besançon ;

Lucie LAUTRÉ, étudiante, École pratique des Hautes Études et Institut national du patrimoine ;

Réjean PEYTAVIN, artiste ;

Les doctorantes et doctorants contractuels de l’INHA.

Membres du comité d’organisation restreint

Aline BONTEMPS, Marie COLAS DES FRANCS, Adèle CROSSON, Dina EICKLAND et Raphaëlle RANNOU, doctorantes contractuelles à l’INHA.

Pour toute question n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse : contact-rotondes@inha.fr.

 

Bibliographie sélective

Jay Anderson, « Living History: Simulating Everyday Life in Living Museums », American Quarterly, vol. 34, n°3, Baltimore, 1982, p. 290-306.

Art of the Past: Sources and Reconstruction. Proceedings of the First Symposium of the Art Technological Source Research Study Group, Londres, 2005.

Philippe Artières (dir.), « Le goût de la reconstitution » [numéro thématique], Sociétés et représentations, n°47, Paris, 2019.

Pierre-Yves Balut, « Restauration, restitution, reconstitution », RAMAGE (Revue d’archéologie moderne et d’archéologie générale), n°1, Paris, 1982, p. 175‑205.

Anne Bénichou, Rejouer le vivant : les reenactments, des pratiques culturelles et artistiques (in)actuelles, Dijon, 2020.

Gianenrico Bernasconi, « L’objet comme document : culture matérielle et cultures techniques », Artefact, 2016 | 4, Strasbourg, 2016, p. 31-47.

Jessica de Bideran, « Des restaurations de papier aux restitutions virtuelles, construction d’une reconnaissance scientifique et d’une mémoire patrimoniale », dans Isabelle Fabre et Cécile Gardès (dir.), De la médiation des savoirs : Science de l’information-documentation et mémoires. Actes du colloque international MUSSI, 21-22 mars 2016, Toulouse, 2016, p. 193-212.

Marie Bonin, Pascale Gorguet-Ballesteros, « Le fonds ancien du Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris : nouvelles perspectives de recherche », Chantal Georgel (éd.), Choisir Paris : les grandes donations aux musées de la Ville de Paris, Paris, 2015.

Jean-Luc Bonniol et Maryline Crivello (dir.), Façonner le passé : Représentations et cultures de l’histoire, XVIe-XXIe siècle, Aix en Provence, 2004.

Lara Broecke, « À quoi sert la reconstitution historique ? L’exemple d’un crucifix de Cimabue », dans Contribution à une histoire technologique de l’art, actes de journées d’études (Contribution à une histoire technologique de l’art), Paris, 2018 [en ligne].

Georges Brunel, « Restitution : les dangers d’une notion obscure », dans Environnement et conservation de l’écrit, de l’image et du son. Actes des IIe journées internationales d’études de l’ARSAG, Paris, 1994, p. 189-193.

Aline Caillet, « Le re-enactment : Refaire, rejouer ou répéter l’histoire ? », Marges, 17, Vincennes, 2013, p. 66-73.

Leslie Carlyle, « Towards historical accuracy in the production of historical recipe reconstruction », dans Tempera painting 1800-1950: experiment and innovation from the Nazarene movement to abstract art, Londres, 2019, p. 81‑86.

Leslie Carlyle, Maria João Melo, Vanessa Otero et Tatiana Vitorino,  « New insights into brazilwood lake pigments manufacture through the use of historically accurate reconstructions. », Studies in Conservation, vol. 61, no 5, 2016, p. 255‑273.

Hilary Davidson, « The Embodied Turn: Making and Remaking Dress as an Academic Practice », Fashion Theory, 23 (3), 2019, p. 329–362.

Camille Enlart, Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance, t. III, Paris, 1916.

Robert Fuchs et Doris Oltrogge, « Scientific Analysis of Medieval Book-Illumination as a Ressource for the Art Historian and Conservator », Gazette du livre médiéval, vol. 21, no 1, 1992, p. 29‑34.

Peter Geimer, Die Farben der Vergangenheit, Munich, 2022.

Roeland Paardekooper, « Experimental Archaeology: Who Does It, What Is the Use? », EXARC Journal, 2019/1, Leyde, 2019 [en ligne].

Haris Procopiou, « L’expérimentation : passé, présent, futur », Bulletin de l’APERA, no 1, Paris, 2021, p. 13‑16.

Olivier Renaudeau, « Du folklore médiéval à l’expérimentation archéologique, la révolution culturelle de la reconstitution du Moyen Âge en Europe », dans Le Moyen Âge en jeu, Bordeaux, 2010, p. 153-161.

Georges-Henri Rivière, Un musée-laboratoire : le Musée des arts et traditions populaires, Paris, 1947.

Pamela H. Smith, « Historians in the Laboratory: Reconstruction of Renaissance Art and Technology in the Making and Knowing Project », Art History, vol. 39, no 2, 2016, p. 210‑233.

Alan Sorrell, Reconstructing the Past, Batsford, 1981.

Audrey Tuaillon Demésy, « L’histoire vivante médiévale. Pour une ethnographie du “passé contemporain” », Ethnologie Française (vol. 44), n°4, Paris, 2014, p. 725-736.

Audrey Tuaillon Demésy, « L’histoire mise en vie ou l’apprentissage “par corps”. Dialogue avec Julie Deramond, le 15 juin 2022 », dans Dialogues autour du patrimoine. L’histoire, un enjeu de communication ?, Avignon, 2023, p. 263-271.

Lucy Wrapson (dir.), In artists’ Footsteps: the reconstruction of pigments and paintings, Londres, 2012.